Melanie Shook Dupré, une peintre piquée au tiare
Enracinée à Huahine depuis près de 25 ans, Melanie Shook Dupré ne cesse de rendre hommage, au travers de ses tableaux, à la générosité de la nature tout comme à celle des habitants de l’ile. À 70 ans, l’Américaine dégage un enthousiasme et une énergie créative qu’elle destine à la fondation d’une oasis pour les artistes à Fare. Femmes de Polynésie lui a rendu visite dans sa galerie-atelier historique de Maeva.
Élevée par une maman céramiste et directrice d’école d’arts ainsi que par un papa professeur d’université, Melanie Shook Dupré a naturellement baigné dans la culture dès son plus jeune âge. Son éducation picturale formelle commence à 12 ans lorsqu’elle gagne une bourse d’étude pour l’école du samedi au très renommé Columbus College of Art and Design de l’Ohio. Comme une destinée toute tracée, sa formation se poursuit avec une 3e année universitaire à Aix-en-Provence où elle s’enivre des nombreux lieux propices au dessin comme l’école des Beaux-Arts et l’association des Artistes Indépendants Aixois où posent des modèles professionnels. L’étudiante crayonne également dans les cafés, sur les places animées et au cœur des exceptionnels sites provençaux de plein air. À cette occasion, la jeune femme double sa formation artistique de l’apprentissage du français. Après une année au Maroc, Melanie prend la décision ferme de vivre de ses mains en Californie où elle s’exerce à l’art du vitrail.
La Polynésie, un amour de jeunesse
En 1979, Melanie a 24 ans ; elle décide de rejoindre son petit ami embarqué sur un yacht croisant dans les mers du Sud. Elle entreprend alors un voyage incertain qui l’amène de la Californie vers les Samoa américaines puis à Tahiti. Émerveillée par l’ambiance locale, elle se présente à Sandy Winckler, le fondateur de la galerie éponyme, et multiplie les rencontres avec les artistes locaux avant de rentrer, à regret, aux États-Unis.
« Durant cette année « sac à dos » sur Moorea, je dessinais surtout à l’encre de Chine et je peignais des aquarelles. Mes œuvres ont été exposées à l’ancien Fare Manihini, situé à la Maison de la Culture de Papeete. Tout s’est vendu en deux jours ! Je séjournais à l’hôtel Stuart, qui n’est plus en fonction aujourd’hui mais dont le bâtiment demeure voisin de l’hôtel Tiare. Je logeais dans la chambre 14, celle-là même qu’avait occupée le peintre Matisse bien des années auparavant ! »
L’installation à Huahine
Comme elle se l’était promis, Melanie revient en Polynésie 20 ans plus tard et emménage avec ses deux enfants à Huahine. Au contact de ce pays, son inspiration explose. Elle produit énormément : des peintures à l’huile, à l’acrylique mais aussi des aquarelles et des dessins, des pastel tendres et gras. Admirant Claude Monet, le fondateur de l’impressionnisme, Edgar Degas et l’américaine Mary Cassatt, l’espagnol Sorolla ou encore l’américain John Singer Sargent, elle peint de nombreux paysages, diverses natures mortes et excelle dans l’art du portrait. Ses personnages semblent animés d’une vie propre tellement le regard, le grain de la peau ou le soyeux d’une chevelure rivalisent avec la photographie. Melanie choisit elle-même ses sujets, portée par son inspiration ; aussi ne travaille-t-elle pas sur commande, par crainte de devoir « flatter » la personne qui s’expose à son examen et de passer à côté de son intuition.
« J’aime observer les Polynésiens – je vis avec l’un d’eux depuis 22 ans –, leur façon de vivre et leur gratitude : les gens sont plein de māuruuru ! Même s’ils ont tendance, comme tous les humains, à magouiller des problèmes, ils ont ce côté qui oublie tout et qui aime. »
Tout en demeurant à sa place, Melanie se sent immergée dans la culture locale, en attestent ses toiles dont les titres sont généralement en reo tahiti, ainsi que le nom de sa galerie : ΄Ūmatatea, qui désigne le bourgeon floral.
« La culture tahitienne m’enchante, mais je ne cherche pas à devenir tahitienne. Je suis une Américaine amatrice de langue française. Par-dessus tout, je suis une peintre qui observe. »
L’art, ça se travaille !
De ses origines familiales, Melanie conserve des préceptes de labeur et de persévérance. Rien à voir avec l’image du génie doué d’un talent tombé du ciel.
« Être artiste, c’est une activité à vie ! Il faut travailler ; même quand on se destine à l’abstrait, il faut être exigent sur chaque trait posé sur le support. Moi-même, qui suis perfectionniste, je ne suis jamais complètement satisfaite de ce que je fais. Mais quand je signe une toile, cela signifie qu’une bonne partie de ce que j’ai réalisé me convient. »
Bientôt un workshop sur Huahine
Persuadée que l’émulation collective est un formidable levier de progression, Melanie rêve d’un laboratoire favorisant la rencontre et l’échange entre artistes professionnels et amateurs. Celle qui a, par le passé, dispensé des cours à quelques jeunes, notamment Manea Macé (formée par la suite au Centre des métiers d’arts de Tahiti), est convaincue que davantage de Polynésiens s’exprimeraient au pinceau si un tel lieu existait. Pour cela, elle a acquis une maison en cours de rénovation à la sortie de Fare. Les très impressionnants tāmanu, le majestueux banian protégeant les vestiges d’un marae encore enfoui ainsi que le délicat bassin de nénuphars, qui n’est pas sans rappeler les célèbres Nymphéas de Monet à Giverny, apportent déjà leur contribution à l’édification d’un espace inspirant.
« Je veux y attirer des peintres qui voyagent avec leur atelier et qui, à l’occasion d’un workshop, accueilleraient des gens pour leur donner des cours. J’ai très envie d’organiser des ateliers de dessin d’après modèle afin que chacun partage ses techniques. »
Nul doute que l’ancrage de Melanie Shook Dupré dans son art et dans cette ile l’aideront à réaliser cet ambitieux projet.
Rédactrice
©Photos : Gaëlle Poyade pour Femmes de Polynésie
Directeur des Publications : Yvon BARDES