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Portrait

Irma Brotherson Druart : la liberté de penser n’est pas une question d’époque

Publié le 31 août 2023

En juillet dernier, Femmes de Polynésie est allée à la rencontre de Irma Brotherson Druart sur Raiatea. Comme l’eau qui dort, cette femme, tranquille en apparence, devenait effervescente dès lors que les souvenirs émergeaient. Quel étonnement de voir qu’à 85 ans son humour décapant n’avait pas pris une ride ! Le 2 août, Irma lâchait une ultime boutade en poussant son dernier souffle. L’éventail fleuri d’histoires qu’elle nous conte sur le Uturoa des années 1950 n’en est que plus précieux. 

Commençons par le commencement et par ce qui explique la peau enneigée, les yeux bleu outremer et les cheveux si clairs de Irma

« Mon grand-père, Peter Brodersen, né en 1850, est originaire de Copenhague. À l’époque, les Allemands pourchassaient les Juifs, alors il a fichu le camp du Danemark et, avec son frère, il est parti en Afrique du Sud travailler dans des mines d’or. Ils ont été payés en lingots ! Par la suite, à bord d’un baleinier, ils ont parcouru le Pacifique et se sont échoués à Fakarava avant d’atteindre Tahiti. Sur Pape’ete, comme ils fréquentaient la communauté anglaise qui attirait pas mal de monde, ils ont connu la famille Hunter, à laquelle appartenait ma maman. Cette société comptait beaucoup de jolies Polynésiennes ; mon grand-père est tombé amoureux de Paea Tuarii Hunter, une sirène de Opoa, une demie puisque, dans les années 1920, la population était déjà bien métissée.  »

Le couple Brotherson (qui change en Brodersen)¹ s’installe sur Raiatea où ils donnent naissance à leur tribu de gosses, dont Christian, le père de Irma, qui, adulte, se met en ménage avec Laiza Horley, anglaise d’origine. Irma voit le jour en 1938, elle est le numéro 10 d’une fratrie composée de cinq garçons et cinq filles. Si elle était née de sexe masculin, elle aurait été attribuée à une certaine Mildred, dans le cadre de l’adoption polynésienne. 

Une enfance rurale heureuse

« Sincèrement, je ne regrette rien de mon époque. On vivait à Fetuna, tout au sud de Raiatea ; on n’avait ni frigidaire, ni route, ni eau courante mais on ne manquait de rien. Mon papa faisait venir l’eau d’une source avec un ingénieux assemblage de bambous en guise de tuyau. Il y avait du poisson à profusion que les garçons capturaient au filet. Le matin, mes frères allaient traire les vaches, on en avait une dizaine. Avec ces seaux de lait, ma mère inventait des fromages, fabriquait du yaourt et même du beurre avec une baratte à manivelle, je l’ai toujours d’ailleurs. Ma maman était très créative, elle faisait des gâteaux, de l’ice-cream coco. Quand le coco avait germé, elle faisait de la confiture avec le uto², de la gelée, de la soupe, des desserts, elle imaginait plein de choses pour sa famille. De nos jours, transformer la nourriture, c’est pas du tout branché. »

Le marae chantant

À Fetuna, Irma se rappelle également d’un marae très spécial, un marae qui chantait les airs du Tiurai !

« Alors que la maison familiale n’était plus habitée, mon frère y avait fait venir un ami électricien pour revoir l’installation. Sa journée de travail accompli, cet homme va se promener sur la route quand il entend de la musique. « Tiens ! il y a une bringue dans les environs et je ne suis pas invité ! » se dit-il. En se rapprochant, il se rend compte que le son sort des cailloux. Le marae chantait, il avait même un répertoire varié ! On a fait venir des spécialistes qui ont confirmé les chants. Ce marae, situé en bord de route, est tout ce qu’il y a de plus visible de nos jours. »

Irma lors d’une réunion familiale avec des cousines de Nouvelle-Zélande.

 Les aînés bien grandis, les parents d’Irma décident d’emménager sur Uturoa, « à la ville » donc pour mieux instruire les plus jeunes. Ils achètent un terrain littoral à quelques centaines de mètres de l’aéroport; or ce terrain comporte une concession maritime qu’ils remblayent, gagnant de la surface sur le lagon. De là, Irma fréquente l’école protestante.

«Contre les microbes, le remède, c’était l’huile de foie de morue chaque matin, point final, pas autre chose. »

Elle obtient le Certificat d’études et, suite logique, se prépare à étudier sur Tahiti. Mais les mœurs de l’époque et son tempérament bien trempé lui valent quelques déménagements.

« Le lycée Gauguin, ça voulait dire aller en pension sur Pape’ete, trouver un correspondant qui veut bien de toi le week-end… avec moi, ça n’a pas fonctionné. Partout où j’allais, il y avait la révolution ! J’avais la langue pendue sur tout, quand j’avais quelque chose à dire, je le disais haut et fort !  »

Au bout de 3 ans, lassée de batailler, la jeune fille jette l’éponge et rentre sur Raiatea. En deux coups de cuillères à pot, elle apprend à taper à la machine et obtient un poste de secrétaire au service de l’Équipement.

Un sentiment de liberté

« À mon époque, tout était permis. Moi, on ne m’imposait rien, je faisais ce que je voulais ; on était une bande de copines hyper sympa, notamment Jeanine, la sœur de Flora Hart  on faisait les 400 coups ensemble. Le week-end, les bateaux de guerre venaient se ravitailler ici, et mon papa se chargeait de les fournir en fruits et légumes. Alors on sortait avec ces Américains de Bora, on allait dîner, danser, on sortait en boîte. C’était des rencontres entre le local et la viande importée ! Même après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les GI sont restés longtemps sur Bora, ils devaient écouler leur matériel, couler les canons au large et reconnaître des douzaines d’enfants ! »

Irma entourée de ses deux filles et des ses petits-enfants, lors de ses 80 ans.

Un cinéma itinérant de plein air

Parmi les sorties sympas, Irma se souvient du fantastique cinéma itinérant. Rasmus, l’un de ses frères, projetait des films en anglais dans les districts de Raiatea et Taha’a, des John Wayne, des Autant en emporte le vent… Surtout, il traduisait les dialogues en tahitien en direct ! Son humour très local faisait que tout le monde se bidonnait.

Celle qui présente comme un garçon manqué — en un coup de ciseau, l’adolescente est passée des cheveux aux fesses à une coupe à la garçonne ! — n’en est pas moins à la recherche de l’âme sœur, mais certainement pas le premier venu.

« Je me suis promis de ne jamais me marier avec un crétin parce que je me suis déjà retrouvée au milieu de bagarres. Je me marierai quand je serai prête et avec un homme mûr, sensé et dix ans plus âgé que moi. Quand j’étais jeune, j’envoyais chier tout le monde, gentiment et poliment. »

Quand Irma rencontre Jean, elle sait qu’elle a tiré le bon numéro. Lui, convaincu d’avoir trouvé la femme qui lui convient, la demande en mariage mais Irma botte en touche : la libre pensante Irma ne voit pas du tout l’utilité du mariage. Le couple fête néanmoins la naissance de Josiane en 1961, celle de Jean-Pierre puis de Jacqueline sans que la maman ne change d’avis.

Irma Brotherson en compagnie de son époux Jean Druart.

« Finalement, Jean a publié nos bancs à la mairie sans me le dire. Ce sont des amis qui m’en ont informé : « alors, ma grande, on se marie et on n’en parle même pas aux copains ! ». C’était la méthode forte, le seul moyen qu’il avait trouvé pour me faire plier !  »

À entendre Irma raconter ses histoires, on se dit que la liberté d’action et de pensée est un état d’esprit qui traverse les siècles. Quand notre monde semble se replier sur lui-même, son témoignage donne du courage et aide à voir le positif. 

¹ Le nom de famille danois a été anglicisé. Était-ce pour ne pas être confondu avec la famille Brothers déjà présente sur Raiatea ou bien parce que ce patronyme sonnait trop allemand ?

² Substance spongieuse qui se forme dans les noix de coco germées.

Gaëlle Poyade

Rédactrice

©Photos : Gaëlle Poyade pour Femmes de Polynésie

Directeur des Publications : Yvon BARDES

 

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