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Portrait

Au secours des oiseaux marins du fenua

Publié le 20 avril 2022

Pour la plupart d’entre nous, le chant des voitures agglutinées, le hurlement des coqs urbains dégénérés et le jappement collégial des chiens rendus fous font partie du protocole matinal. Loin du vacarme à l’acoustique bétonné dans l’idéologie du développement, dame nature crie sa détresse à l’heure où la biodiversité s’effondre. C’est par amour que Tehani Withers a entendu l’alerte et avec vocation qu’elle livre combat. Grâce à la jeune chargée de programme pour la restauration des motu inhabités de la SOP Manu1, Femmes de Polynésie fait chanter les oiseaux avant qu’il ne soit trop tard.

Karapoo iti et Tapiko - Rapa

Horizons pluriels

Tahiti iti berce l’enfance quelque peu singulière de Tehani. D’un côté, Singapour par sa mère, de l’autre, son père, enfant du pays, mais aussi d’origine néo-zélandaise. À vrai dire, le long nuage blanc a toujours été le deuxième fenua de Tehani.

« On a encore beaucoup de famille là-bas. On y a passé beaucoup de temps, quand ma petite sœur était malade. À l’époque atteinte d’une leucémie, elle va beaucoup mieux aujourd’hui. »

Ornithologue passionné, son grand-père paternel va susciter l’enthousiasme de la jeune fille pour les espèces aviaires. Plus tard, durant ses études à l’université de Waikato, à la passion, elle ajoute l’expertise professionnelle.

« La Nouvelle-Zélande, c’est le pays de la conservation, vraiment un bon exemple à l’échelle mondiale. »

Comme l’indique sa maitrise sur le Takahē, un oiseau endémique qui ne vole pas, la conservation n’est pas une tâche facile. En effet, cette étude la mène sur les traces d’un envahisseur des plus coriace : l’hermine.

« C’est pire que le rat, car c’est un animal qui aime nager. On en retrouvait souvent sur des îlots éloignés du littoral.  En comparaison, le rat est un ennemi plutôt facile à combattre en Polynésie française. »

Rapa iti

Sur les îlots où nichent les oiseaux marins du fenua, le rat est l’ennemi numéro 1.

Les motu inhabités, les derniers remparts

« Il y a de grandes colonies d’oiseaux marins rares en Polynésie. Surtout les océanites, les puffins et les pétrels. Ce sont les oiseaux marins les plus en danger dans le monde, après les albatros. »

Ici, ces oiseaux souffrent des espèces introduites, telles que le rat noir, le rat du pacifique, le chat, le chien, mais aussi la chèvre et le mouton. Mais sur la plupart des îlots inhabités, il semblerait que leurs seuls prédateurs soient le rat du pacifique. 

Teuaua Ua Huka, Motu Takae Ua Pou, Tauturau Rapa, Rapa iti

« On ne s’en rend pas compte, car ce sont des zones inhabitées, mais les oiseaux disparaissent. On rentre dans la 6e vague d’extinction des espèces dans le monde. Ici, c’est la même chose avec les oiseaux. »

Loin de nos yeux, mais encore trop proche de notre impact.

« Si l’on ne fait rien, petit à petit, ces grandes colonies d’oiseaux marins vont disparaître. »

Teuaua Ua HUka

Les actions de restauration prennent tous leurs sens sur les motu exempts d’humain. Car, sur les îlots satellites de Rapa, les motu de Ua Huka ou l’atoll de Temoe aux Gambier, parmi d’autres, les oiseaux marins nichent dans des conditions encore idéales.

« On peut appuyer nos actions de terrain sur les recherches de Jean-Claude Thibault qui a fait un énorme travail d’inventaire. D’après ses observations, dans les années 1990, on estimait la population de Kakikaki2 à près de 1000 individus sur les motu de Rapa et Marotiri, désormais, nous l’estimons  à environ 200. Ce constat est catastrophique et place l’espèce en catégorie CR, soit en danger critique d’extinction. »

Rapa, actions de terrain

Aujourd’hui, la dératisation a déjà été entreprise sur certains sites. Le combat pour la sauvegarde de la biodiversité locale bat son plein et les résultats sont positifs. L’association recense de plus en plus d’oiseaux sur les motu inhabités sans prédateurs.

Korue, Océanite à gorge blacnhe

Les oiseaux marins de nos îles passent le plus clair de leur temps en mer. Leur présence sur nos îles est essentiellement saisonnière, car ils s’y installent pour nicher.

« Le KakiKaki est un bon exemple. Malgré de longs mois en mer, il revient toujours sur l’un des motu de Rapa. C’est également le seul oiseau marin endémique de Polynésie française. »

Et en parlant de Rapa, Tehani souligne l’importance des communautés dans la conservation et la restauration des sites.

Rapa iti

« Les communautés locales ont toutes leurs spécificités. Nous nous adaptons, car nous ne pouvons rien entreprendre au long terme sans eux. Notre souhait, c’est de créer des sanctuaires pour les oiseaux qui seraient gérés par les communautés locales. À Rapa, nous sommes aidés par l’association Raumatariki. »

La sauvegarde de la diversité bioculturelle

« Beaucoup de pêcheurs se fient encore aux oiseaux pour détecter le poisson. Au-delà de l’aspect utilitaire, il existe également un aspect profondément culturel. »

L’enjeu de la conservation de ces écosystèmes est majeur, car à l’égale des plantes, les noms locaux des oiseaux représentent une partie essentielle de la culture polynésienne. Dans la pêche, la mythologie ou le spirituel, l’oiseau a sa place dans le monde polynésien.

Camping Motu Mokohe Ua Pou

« Protéger un oiseau, c’est aussi protéger la culture locale. Si les hommes de ces îles ont donné un nom à ces animaux, c’est qu’ils étaient importants dans le quotidien des populations et donc dans leur culture. Perdre ces oiseaux, c’est perdre une partie de sa culture. »

Les oiseaux de mer nocturnes ont également leurs places dans certains lieux isolés de Polynésie.

« Le KakiKaki et le Korue3 sont des oiseaux nocturnes et rarement aperçus en mer. Pourtant, ils ont un nom. Cela porte à croire qu’il y en avait plus avant et qu’ils avaient une signification. »

Malheureusement, certains noms se perdent. Alors que d’autres subsistent, leurs significations semblent oubliées.

Oiseau tagué - comptage oiseaux, Rapa iti 2019

Une grosse partie du travail de conservation commence avec l’acquisition des connaissances. Dans ce cas, les tupuna sont l’une des meilleures sources d’informations.

« Quand tu t’adresses aux anciens d’ici, souvent, ils parlent d’oiseaux qui n’existent plus ou qu’on ne voit plus aussi souvent. Cela nous donne une bonne base quant à la situation. »

Grâce aux missions de la SOP Manu et à l’engouement et la passion qu’insuffle Tehani en son sein, les oiseaux que l’on connaît aujourd’hui continueront de nicher sur leurs îlots inhabités. L’espoir que leurs chants soient entendus et que leurs noms continuent d’être prononcés par les générations de demain reste vif.

« Ce que j’aime dans mon travail, c’est de pouvoir mesurer l’impact que l’action peut avoir sur un écosystème au long terme, mais également de pouvoir assurer une biodiversité quasi intacte aux générations futures. »

Teuaua Ua Huka

1La Société d’Ornithologie de Polynésie Manu

2Puffins de Rapa

3Océanite à gorge blanche

Niuhiti Gerbier

Rédacteur

©Photos : Tehani Withers, Jean Claude Thibault, Fred Jacq, Roberto Luta, Jason Zito, Hadoram Shirihai et Niuhiti Gerbier pour Femmes de Polynésie

Pour plus de renseignements

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