Femmes de Polynésie Retrouvez nous sur
Site de Femmes de Polynésie Hommes de Polynésie

Je passe
d'un site à l'autre

Évasion

Allegra Marshall, ou l’art de raconter l’histoire

Publié le 12 septembre 2023

C’est sur un fond sonore de Bobby Holcomb que l’équipe de Femmes de Polynésie est allée à la rencontre d’Allegra Marshall, guide et historienne de talent. Elle nous accueille ce jour vêtue de sa tenue préférée, du vert citron et du rose fluo. Ainsi, elle s’attache à remettre de la couleur sur les pierres grises. Passionnée de généalogie et dotée d’une connaissance des lieux hors du commun, elle fait visiter les cimetières polynésiens, accompagnant les familles dans la recherche de leurs ancêtres.

Portrait d’une dame audacieuse, devenue au fil des années une référence, et la confidente de nombreuses familles polynésiennes.

Après de longues années de voyages en solitaire, Allegra a suivi l’appel du cœur qui l’a guidée jusqu’en Polynésie, il y a plus de 40 ans. C’est ici qu’est née sa vocation.

C’est d’abord le goût d’apprendre, et puis celui de transmettre, qui ont fait d’elle une personne informée, expérimentée, cultivée ; une experte en la matière. Rien dans ses représentations n’est laissé au hasard, et pour chaque question elle nous apporte la réponse, détaillée bien sûr !

C’est ainsi que nous découvrons, entre autres, les origines de l’Uranie, les histoires de lignées, de descendance, de filiation.

« Il y a 10 ans, j’ai commencé à aller dans les cimetières pour retrouver les tombes de certaines familles qui s’interrogeaient sur leurs ancêtres. Je les ai aidées à les nettoyer et à les fleurir pour la Toussaint. C’est là que je me suis dit qu’il y avait un réel besoin pour épauler les gens.  »

Suivre son instinct sinon rien

Rien ne la prédestinait à faire ça. Contre vents et marées, Allegra a suivi son instinct au prix d’un dur labeur, de nombreuses concessions et de grosses prises de risques.

Elle a quitté très jeune son Australie natale pour vivre une vie qui lui ressemblait. Elle a navigué dans toutes les îles du Pacifique, surtout sur des navires de fret, avant de choisir Tahiti pour sa richesse et son accueil du cœur, unique au monde. Elle s’estime chanceuse :

« Il y a des gens qui passent toute leur vie sans jamais connaître leur véritable mission. »

Au début, Allegra a effectué ses recherches dans le but de découvrir des territoires, avant qu’ils ne soient dévoilés aux touristes. Elle a commencé par embarquer sur le premier Aranui, ensuite le Tuhaa Pae à Rapa, l’île la plus au Sud de la Polynésie, et elle a visité vingt-six îles en bicyclette montagne sur le Kura Ora. Elle a capturé tout ce qui lui sert aujourd’hui, trente ans plus tard.

 

Sans raison apparente, elle a commencé à errer dans les cimetières, et elle a eu très rapidement soif d’apprendre, et de comprendre les histoires de ces lieux atypiques. Passer du temps dans les cimetières, étudier les tombes, sentir l’énergie qui s’en dégage, requiert concentration, communion et volonté pour pouvoir rendre aux familles ce qui leur appartient.

Après des années à collecter nombre d’informations sur les cimetières, l’idée de les faire visiter n’est au final pas venue d’elle, mais d’un ami, il y a seulement un an.

Ce dernier cherchait des activités à partager avec des collègues, et a demandé à Allegra de les accompagner pour cette visite singulière ; elle a ensuite été introduite dans un club de randonnée pour proposer des circuits explicatifs. Elle nous explique, sourire aux lèvres, que son public est cosmopolite, et que chacun s’intéresse à sa façon aux confins d’un lieu chargé d’histoire. Elle est la pionnière dans son domaine, et comme elle le dit : 

« Ce n’est pas souvent que l’on peut dire que l’on est la première. »

Il y a bien sûr encore aujourd’hui des obstacles sur son chemin, des individus qui contredisent, méprisent ou ne comprennent pas ce choix. Mais Allegra préfère regarder les choses holistiquement : elle est une gardienne de secrets, et elle s’imprègne des visiteurs, autant que ce qu’ils apprennent d’elle.

« Quand j’interroge des habitants venus des îles lointaines de la Polynésie, ils pensent toujours que je ne connaîtrais pas leur île. Les gens ne me croient pas lorsque je leur dis que j’y suis allée, et qu’en plus, je connais leur histoire et leur périple . »

Incarner et habiter sa passion

Beaucoup rêvent d’être ici pour se faire une place au soleil, mais Allegra a une âme d’altruiste, et elle n’envisageait pas d’être en Polynésie sans mettre ses connaissances au service des autres.

Elle reçoit de plus en plus de demandes quant à des visites guidées, voire privées, et elle aime varier ses présentations en fonction de son audience et des ressentis qu’elle a le jour même.

Elle nous confesse qu’elle se rappelle exactement où sont enterrés certains membres de certaines familles, jusqu’aux détails près. Elle ignore pourquoi mais elle se sert beaucoup des photos, et elle montre quand elle le peut le visage des aïeuls.

Au détour des allées, elle nous apprend qu’en plus de ses nombreuses activités, elle donne aussi des conférences en Nouvelle-Zélande sur l’Uranie et les connexions néo-zélandaises.

Un travail de longue haleine​

Ce travail, que l’on qualifierait plutôt de mission, lui prend beaucoup de temps. Elle alterne ses visites avec des recherches historiques, généalogiques, mais ce qui est assez incroyable, c’est que tout est fait sans notes, seulement de mémoire.

Ses visites s’organisent généralement en deux heures, elle compte environ 14 personnes par groupe, elle distribue une fiche explicative pour chaque cimetière, et elle se rappelle dans presque 95 % des cas où sont enterrées les personnes lorsqu’on lui demande.

Enfin, elle propose un suivi après chaque visite, et elle tient à jour un planning bien minutieux.

Pour complémenter tout cela, elle se nourrit de livres, des archives du Service du Patrimoine, des sites historiques et des arbres généalogiques ; mais surtout des récits de familles, et des mystères qu’on lui confie.

Qu’il s’agisse des différents niveaux de l’Uranie, du cimetière des Lépreux, de Pomare ou de la Pointe des pêcheurs, Allegra est imbattable. Bientôt, elle élargira son champ d’action aux cimetières de Paea et de Taravao.

«  J’ai fait ça parce que je m’intéressais à l’histoire, je lisais beaucoup, en anglais et en français. J’ai une sacrée collection de livres, à Tahiti et en Australie. L’histoire d’ici m’a toujours intéressée, alors j’ai commencé à répertorier ce que j’apprenais, et je me suis dit qu’il y avait des personnalités passionnantes enterrées dans chaque cimetière. On parle toujours des mêmes, alors c’était pour moi l’occasion de parler des autres . »

C’est au milieu de sépultures qu’elle a trouvé sa place, dans un environnement paisible à côté duquel nous pouvons passer toute une vie sans jamais nous y arrêter. Voilà pourquoi elle souhaite, par ses conférences et ses récits, encourager les gens à parcourir les cimetières plus d’une fois par an. Elle nous confie qu’elle aimerait trouver des oreilles attentives pour que d’autres puissent prendre la relève lorsqu’elle arrêtera, surtout des jeunes.

«  Mon objectif est d’encourager aussi les jeunes à visiter leurs anciens ; ce sont eux les futurs historiens.  »

Et comme Allegra aime partager, elle nous avise de quelques conseils pour réussir et suivre sa destinée. Selon elle, nous créons notre propre chance, il suffit d’avoir un comportement simple et ouvert, de prendre des risques. Après de longues années d’errance, à absorber tous les éléments qui lui ont permis d’acquérir cette prodigieuse connaissance, elle vogue aujourd’hui dans le Pacifique, avec évidemment une préférence pour la Polynésie. Elle passe ici des moments chaleureux avec et chez les Tahitiens, pour qui elle aime confectionner gâteaux et autres gourmandises. Lorsqu’elle n’est pas invitée, c’est elle qui invite, elle est à l’aise partout et trouve des choses en commun avec beaucoup de monde.

Entre l’Australie où elle mène une carrière de consultante indépendante, et Tahiti, Allegra a le sens de la pluralité. La vie qu’elle mène à ici est à son image : discrète, authentique, singulière, captivante. Et c’est donc d’une façon plutôt originale qu’elle occupe ses journées.

« Être étrangère, c’est avoir l’avantage d’être neutre. Je ne suis peut-être pas la meilleure, mais je suis exaltée par ce que je fais. »

Julia Urso

Rédactrice

©Photos : Julia Urso pour Femmes de Polynésie

Directeur des Publications : Yvon BARDES

Pour plus de renseignements

Mail

À découvrir également :

Partagez Maintenant !

Newsletter

Abonnez-vous à notre newsletter pour recevoir du contenu de qualité

* En cliquant sur VALIDER, nous attestons que l'adresse mail ne sera utilisée que pour diffuser notre newsletter et que vous pourrez à tout moment annuler votre abonnement.