La boîte à trésors de Flora Hart
Faites retentir le carillon de la boutique My Flower, à Uturoa, et vous serez aussitôt propulsés dans un voyage historique. À 83 ans, Flora Hart, dotée d’une mémoire prodigieuse, tient en haleine chaque visiteur qui pénètre dans son magasin de curiosités. Femmes de Polynésie a été invité à ouvrir son riche album de souvenirs.
Flora est née à Raiatea en 1940, d’une mère originaire de Taha’a et d’un père d’origine anglaise. Ce dernier avait vu le jour aux Marquises en 1879.
« Quand j’entends qu’on nous a interdit de parler notre langue, c’est absolument faux ! C’était interdit uniquement à l’école parce que le certificat d’études était en français ! Je n’ai jamais ressenti d’entrave au tahitien. La preuve, je le parle très bien. Aujourd’hui qu’on entend le tahitien à la télé, qu’on l’apprend en classe, on le parle mal, on le baragouine ! »
Les nuits au mont Temehani
« Quand j’étais petite fille, après la séance de cinéma (et oui il y avait le cinéma Tony !) si la lune était haute, j’allais avec mes oncles et d’autres cousins chasseurs au mont Temehani suivre les traces des cochons sauvages. Là-haut, allongés dans les fougères, on discutait jusqu’à s’endormir. Vers les 5 heures du matin, l’un de nous disait : « Māmū ! Taisez-vous ! ». Alors on entendait les fleurs apetahi éclore : « bop, bop, bop », les boutons s’ouvraient. Il y en avait tellement que les sons se succédaient ! Au lever du soleil, on avait devant nous un tapis blanc de centaines de fleurs ! »
À l’âge de 8 ans, Flora repart vivre à Tahiti. Sa scolarité achevée, elle est employée comme secrétaire à l’école protestante de Tahiti, l’école Charles-Vienot, sur Pape’ete, dans les années 1959-1960.
« Avant, on parlait d’Église protestante universelle. Maintenant, d’Église protestante mao’hi. Alors, comment s’appelle celle de Nouvelle Calédonie ? la religion protestante kanaque ? et celle de Métropole ? la religion protestante française ? Je n’adhère absolument pas car on est en train de sectoriser la religion, de créer des groupes. Pour moi, la religion est universelle, elle doit rassembler et non pas diviser. En plus, l’identité n’a rien à voir avec la religion. J’ai mon identité mao’hi qui est souvent bafouée d’ailleurs car je suis claire de peau. Mais celle-ci n’a pas de rapport avec ma religion. »
La « magnifique » période Gambier
Après un séjour de 4 ans aux États-Unis, Flora découvre les Gambier en compagnie de son 2e mari. Ce dernier, ingénieur, fut chargé du reboisement de l’archipel de 1966 à 1968.
« J’y ai vécu pendant les tirs nucléaires aériens. On a même assisté à une naissance dans le blockhaus de Rikitea. L’enfant s’est appelé Canopus, du nom de la bombe ! Je me souviens qu’un accord avait été signé avec le Commissariat à l’énergie atomique pour qu’il achète une bonne partie de ses légumes sur place, carotte, navet, chou, salade, tomate, radis… la terre est si fertile ! Malheureusement quand j’y suis retournée il y a quelques années, je me suis rendu compte que plus personne ne cultive ! J’ai même vu des cartons de légumes en provenance de Tahiti dans les épiceries ! »
Esprit affûté, Flora remarque bien d’autres changements, notamment le délaissement du patrimoine bâti comme l’ancien couvent de Rouru complètement enherbé ou le tombeau du roi Maputeoa qui suinte de toutes parts.
« Les Gambier, voilà une île qui est riche en patrimoine mais les gens se sont tous mis dans la perle et ont oublié le reste, la plantation, qui les nourrit, et les monuments du passé. »
Un musée aux merveilles
Après Moorea et Tahiti, la famille, constituée de trois enfants, s’installe sur l’île sacrée. En 2001, la soixantenaire (61 ans) se voit attribuer un local autour de la gare maritime. Dans My Flower, Flora vend des fleurs : logique ! De nos jours, nombre d’objets variés y sont exposés : instruments de musique, bijoux finement ciselés, penu, tableaux originaux, rostres de marlin sculptés, coupe-papier en bois de tiare, couteaux sculptés en bois de rose ou en os et ce casse-tête étonnant du Vanuatu… autant de trouvailles provenant des Marquises, des Australes mais surtout des Raromata’i.
Tout en riant, Flora s’empare d’une lance munie de deux imposants hameçons et, quelques centimètres plus haut, de deux belles porcelaines. De quoi s’agit-il
« C’est un leurre à pieuvre. Sur le récif, on le glisse dans l’eau ; en pénétrant, les coquillages émettent un son qui attire la pieuvre — elle raffole des porcelaines, c’est son caviar ! Une fois qu’elle a rampé sur le manche, on la ferre et elle se prend dans les crochets. Cela se pratique encore de nos jours aux Tuamotu. Le Polynésien est très créatif, imaginatif et habile de ses doigts. »
La boutique de Flora n’est que la face émergée d’une vaste collection qui sera exposée du 10 au 27 mai prochain à la mairie de Uturoa.
Les pétroglyphes inconnus
Bien qu’elle passe nombre d’heures dans son magasin, Flora joue aussi les archéologues.
« Avec des amis et mon petit-fils Hotuarii, j’ai découvert dans la vallée de Avera Rahi des pétroglyphes. Comme nous suivions le lit de la rivière, un reflet de soleil a éclairé une grosse pierre et, soudain, wouah ! j’ai vu deux tortues et une ressemblance d’homme levé. J’en ai parlé au maire de Taputapuatea qui connaît cette pierre mais elle semble impossible à soulever. Le risque, c’est que le ruisseau charrie ses eaux jusqu’à la recouvrir d’autres roches qui masqueront à jamais ce trésor. Il y a encore beaucoup de choses à découvrir mais il faut parcourir son île. Et question sauvegarde du patrimoine, il ne faut pas attendre. »
Rédactrice
©Photos : Gaëlle Poyade pour Femmes de Polynésie
Directeur de Publication : Yvon Bardes