Athéna, s’indigner pour informer
Dans une profession où beaucoup ont succombé à la pression et à la constante recherche du scoop, Athéna, du haut de ses 25 ans, est une véritable bouffée d’oxygène. Son énergie solaire, son goût de l’effort, et son refus catégorique de se reposer sur ses lauriers : autant de qualités qui forgent sa carrière, certes courte, mais non moins prometteuse. C’est avec sincérité qu’elle confie le récit de sa vie à Femmes de Polynésie.
Une voie toute tracée
Athéna grandit à Raiatea, où vit son père, alors correspondant pour La Dépêche et Les Nouvelles de Tahiti. C’est avec nostalgie qu’elle se remémore l’odeur du papier journal et son enfance bercée par les va-et-vient entre l’aéroport de l’île et les livraisons des précieux quotidiens, accompagnée de ses sœurs et de son papa.
« Ça m’a été bénéfique que mon père soit journaliste. »
Sa scolarité, la jeune femme l’effectue entre son île et Tahiti, où elle réside avec sa mère. Pour cette dernière, sa fille ira loin.
La fin et le début
Après l’obtention de son baccalauréat, Athéna poursuit ses études en métropole, où elle étudie la philosophie pendant un an puis entame une licence en sciences du langage, afin de devenir secrétaire de rédaction. D’une curiosité inassouvissable, elle se documente chaque jour, lit la presse internationale, passe énormément de temps sur les sites d’actualité. Une expérience qui lui fait voir le monde autrement et grâce à laquelle elle acquiert une certaine ouverture d’esprit.
« Je voulais tout savoir (…) je me suis demandée quelle était ma place dans le monde et je me suis posée cette question pendant toutes mes études. Ça a nourri ma volonté d’être journaliste. »
Et puis un jour, c’est toute la vie d’Athéna qui est chamboulée : en 2018, sa mère lui annonce qu’elle est atteinte d’un cancer de la vésicule biliaire. Une maladie rare, incurable et reconnue comme radio-induite. Pour Athéna, c’est le désarroi, d’autant que sa mère a toujours eu une bonne hygiène de vie.
« Je me suis toujours dit : mon pire cauchemar, c’est que ma maman meurt. (…) C’était mon pilier. »
Athéna s’empresse de rentrer à Tahiti, au grand dam de sa mère qui souhaite qu’elle termine ses études. Dans la foulée, la jeune femme s’inscrit au DU1 de journalisme dispensé par l’Université de la Polynésie française, et espère grâce à ce diplôme rapidement s’insérer dans la vie active. Mais la santé de sa mère se dégrade chaque jour, et Athéna jongle comme elle peut entre les cours et les visites à l’hôpital. Elle en profite pour commencer à constituer son carnet d’adresses auprès de ses professeurs, eux-mêmes journalistes. C’est d’ailleurs grâce à son audace qu’elle obtient son premier contrat de pigiste pour La Dépêche de Tahiti.
« J’ai écrit mon premier papier, je l’ai envoyé. Le soir, je devais aller voir ma maman. L’hôpital nous a appelés et d’un coup, avec mes sœurs, nous sommes montées dans la voiture et nous avons filé. Je savais qu’elle était en train de partir, je le sentais. »
Sa maman décède le soir même. Le lendemain matin, La Dépêche de Tahiti publie le tout premier article d’Athéna.
« Si tout cela n’était pas arrivé, je ne serais jamais revenue, et je n’aurais jamais eu ces opportunités. Sauf que ça, elle ne le saura jamais. Aujourd’hui, c’est mon plus grand regret. Chaque année, quand c’est l’anniversaire de son départ, c’est aussi celui de mon premier article. »
Il faut grandir
Le lendemain du décès de sa maman, c’est le déclic. Athéna se rend à Raiatea où son père et ses amis journalistes la conseillent et la forment à l’écriture journalistique. Pendant un mois auprès de sa famille, elle fait son deuil et prend un temps de répit. Puis c’est avec détermination qu’elle revient sur Tahiti, plus que jamais prête à embrasser sa carrière de journaliste.
« Je m’étais fait un planning. Il fallait que j’aie une idée de sujet par jour. Pour moi, c’était au moins un article par jour. C’était mon seul moyen pour gagner de l’argent. Je devais me débrouiller toute seule. »
À 21 ans, Athéna est forcée de prendre son indépendance. C’est à partir de ce moment qu’elle déploie ses propres ailes. Après plusieurs mois en tant que pigiste pour La Dépêche, elle intègre finalement l’équipe en CDD, et se forme sur le tas.
« Je commence à découvrir la rédaction… et un travail, un vrai travail ! »
Une première expérience professionnelle qu’elle traverse avec patience, car il faut faire face aux préjugés, aux personnalités qui s’offusquent presque d’avoir une aussi jeune femme comme interlocutrice.
« Sur le terrain, c’est difficile avec les gens, car ils voient une gamine devant eux. C’est plus difficile d’être jeune que d’être une femme. Les gens ne me prenaient pas au sérieux, même des personnalités, des ministres. Parfois, ils disaient bonjour aux autres journalistes et ils ne me calculaient pas. »
Heureusement, Athéna peut compter sur la bienveillance de quelques-uns de ses confrères, comme Gilles Tautu ou Sam Teinaore, qui l’encouragent lors de ses débuts sur le terrain. Avec le temps, Athéna s’endurcit. Elle est reconnaissante envers ses premiers mentors du plus ancien quotidien de Polynésie : Bertrand Prévost qui a eu confiance en elle en lui offrant son premier article. Yann Roy, sévère, mais juste, qui la pousse à approfondir son analyse et à être plus rigoureuse. Et puis Florent Collet, grâce à qui elle fait grandir la flamme qui anime sa vocation d’informer à tout prix et le plus justement possible.
« Heureusement que j’ai eu ces guides sur mon chemin. Je me suis formée sur le tas et ça n’aurait pas été possible sans ces personnes. »
De la caméra au journal télévisé
La carrière d’Athéna prend un tournant majeur lorsqu’elle intègre la rédaction de Tahiti Nui Télévision en tant que journaliste reporter d’images (ndlr, JRI). Elle qui est habituée à la presse écrite apprend à filmer et monter ses propres sujets qui viennent animer le journal télévisé.
Très vite, elle franchit les étapes : elle prend la parole en direct face caméra et ne cesse de s’améliorer. De la jeune journaliste à la voix hésitante, elle prend vite l’assurance d’une JRI confirmée. Elle couvre des événements importants, tels que les élections présidentielles et législatives ou encore la venue du Président Emmanuel Macron en juillet 2021. Elle réalise son premier magazine, insiste pour présenter son tout premier débat sur la légalisation du cannabis au fenua. Puis finalement, après un an à TNTV et plusieurs mois d’entraînement, elle devient le nouveau visage du journal télévisé.
« Depuis que je suis montée à la présentation, les gens ont un tout autre regard sur moi. La télé, ça m’a donné une certaine légitimité dans mon travail et sur le terrain. »
Aujourd’hui, Athéna reconnaît que son métier tient une place très importante dans sa vie. Quand elle en parle, ses yeux brillent et les mots lui manquent presque pour expliquer ce qui l’anime tant.
« Mon but à moi, c’est de dénoncer ce qu’il y a à dénoncer, mais surtout d’informer correctement. On a un rôle utile, c’est un métier important et qui a beaucoup été sali et dévalorisé ces derniers temps. »
Avec une carrière déjà bien accomplie, que peut-on lui souhaiter de plus ? Peut-être de toujours garder sa ferveur, celle qui lui permettra certainement de remettre au goût du jour le journalisme d’investigation…
1Diplôme d’université “Les bases du métier de journaliste”
Evaina Teinaore
Rédactrice
©Photos : Evaina Teinaore pour Femmes de Polynésie