Léonore Caneri, faire vivre l’oralité en Polynésie
Depuis notre première entrevue en 2018, Léonore Caneri n’a eu de cesse de nous surprendre. Toujours à l’affut de nouveaux projets, elle continue de nourrir l’art oral de notre pays avec créativité. C’est donc avec l’envie d’en savoir plus que Femmes de Polynésie est reparti à sa rencontre.
LA PLURALITÉ DES ORALITÉS
Passionnée par les histoires, amoureuse des mots, Léonore Caneri a fait du métier de conteuse sa vocation. Elle connaît les planches du Petit et du Grand théâtre par cœur et pourtant, elle ne se croyait pas destinée à l’art théâtral. Cependant, en 2011, elle est contactée par le metteur en scène Julien Gué et l’écrivaine Rai Chaze afin de jouer dans Il a neigé aux Tuamotu.
« Ce qui m’a convaincue, c’est que Julien m’a dit : ‘on va te détester’. J’ai pris ça comme un challenge. »
En 2013, elle interprète le rôle mythique écrit pour Édith Piaf dans Le Bel Indifférent de Jean Cocteau.
« C’est un rôle tellement difficile, un parcours émotionnel intense et complet. »
Dans le public, ses amis la voient éclore sur les planches, et leurs retours lui confirment la portée de cette expérience scénique.
« Ils ne m’ont pas reconnue, c’était le plus beau des compliments. Je ne me considère pas comme une excellente comédienne, mais je suis très à cheval sur le travail d’acteur. »
Ainsi, Léonore doit se rendre à l’évidence. Elle n’est plus seulement conteuse, la voici devenue comédienne.
« J’ai accepté que l’oralité, ce n’est pas seulement le conte, l’oralité est pluridisciplinaire. »
AUX CÔTÉS DE LA JEUNESSE
En 2015, notre oratrice se voit proposer la présidence du jury du concours d’humour le Tahiti Comedy Show1.
« Je ne me sentais pas légitime car j’étais la seule popa΄ā du jury et c’est tout de même un concours pour la jeunesse polynésienne. Puis, je me suis rendu compte de quelque chose que j’ignorais chez moi : le flair. »
Elle accepte la mission, suite à la proposition que lui fait Martin Coeroli, et son flair la pousse à repérer deux jeunes comédiens, Abel Tua et Hitinui Barff, initialement rejetés par le jury. Léonore use de son droit de veto, et ces derniers gagnent le concours en open quelques semaines plus tard.
« Si quelqu’un est doué mais que personne ne le voit, moi je le verrai. »
La même année, elle devient aussi coach des finalistes, continuant même lorsque le projet n’est plus financé par l’UPJ2.
« Quand j’ai des perles entre les mains, je ne peux pas les laisser tomber. »
Un groupe se forme, composé de ces jeunes talents en quête de rire et de faire rire. Ils se nomment “Les 1supportables”.
ŒUVRER AVEC LE RIRE
Cette capacité de transmettre les émotions par le rire, celle qui se fait désormais appeler « coach » sait qu’elle peut encore l’exploiter, l’offrir à d’autres publics. En 2016, elle est recrutée par l’association Pu O Te Hau3 afin de mettre en place des séances d’art-thérapie pour les femmes victimes de violences.
« L’objectif, c’était d’enlever cette peur viscérale qui existe profondément chez ces femmes. »
À travers des ateliers d’improvisation, elle leur concède un moment de légèreté et de libération émotionnelle.
« Je travaille beaucoup sur le rire pour leur faire cracher des émotions qu’elles se retiennent d’exprimer. »
MISE EN SCÈNE ET CRÉATION
En tant que conteuse, Léonore s’est aussi essayée à la mise en scène. Elle crée les spectacles Le merveilleux voyage mā΄ohi du Père Noël en 2006 et La fille fa΄a΄amu du Père Noël en 2007.
« Je me suis rendu compte que lorsque j’écris des spectacles, je vois la mise en scène. Exactement comme un chorégraphe qui crée une danse. »
Malgré ces expériences, elle ne se considérait pas encore comme faisant partie intégrante de la vie théâtrale polynésienne, gardant son rôle de diseuse de légendes. En 2024, elle est approchée par Françoise Ellis Lequenne pour mettre en scène Te Taote tiavaru4.
« La pièce m’a plu et je me suis dit qu’avec une mise en scène assez édulcorée, ça pourrait être très drôle. Pari réussi ! »
Les deux premières représentations en 2024 font salle comble au Grand théâtre, un triomphe.
« Il y a un humour ici, et qu’est-ce que c’est drôle ! On rit des choses de la vie. »
Pour les années à venir, ce sont les pieds dans le sable que Léonore Caneri se voit continuer à vivre, tout en célébrant l’art oral, pilier de notre culture.
« Les Polynésiens sont talentueux pour les arts de manière générale, ils ont de la graine de comédien en eux. La plus grande richesse de la Polynésie, c’est les Polynésiens. »
1 Concours d’humour local avec plusieurs prix à gagner, dont le 1er prix stand-up permet de remporter une tournée dans les comedy clubs de Paris
2 Union Polynésienne pour la Jeunesse
3 Centre d’hébergement ouvert depuis 1989, il a pour mission d’accueillir et soutenir les femmes (avec ou sans enfants) victimes de violences
4 : En français, Le médecin expatrié
Rédactrice
©Photos : Cartouche, Odile Dufant, TFTN pour Femmes de Polynésie
Directeur des Publications : Yvon BARDES
Pour plus de renseignements
Léonore Caneri a également mis en scène les spectacles :
- UPA UPA en 2012 avec l’association Horo’a
- Domination en 2019 avec les Pukan’s Prada et la troupe de danse All In One
- En Attendant Godot en 2023 de Samuel Beckett, avec des comédiens de la troupe Les 1Supportables
À VENIR
- Léonore Caneri prépare une nouvelle adaptation de la pièce En Attendant Godot de Samuel Beckett pour cette fin d’année 2024.