Lyncia et Aoa : une histoire de quartier engagé pour les forêts polynésiennes
C’est dans la vallée de Mo’aroa à Mataiea que Femmes de Polynésie retrouve, sous la pluie, Lyncia et son équipe entre les lianes, les fougères et les arbustes. Elle donne au groupe les dernières instructions avant de nous accorder un moment sous la bâche de la « cantine ». Avec Aoa, la première initiative polynésienne vouée à restaurer la biodiversité et l’état écologique des forêts locales, Lyncia s’engage sur le terrain en tant que chef d’équipe des agents forestiers.
Un quartier dans la forêt
Altruiste, Lyncia nous partage d’abord quelques mots sur sa team.
« On habite tous dans le même quartier, on est tous famille. Ça n’a pas été facile au départ car l’équipe est composée essentiellement d’hommes. On a appris à se connaître. Pour moi, ce qui est important, c’est une bonne entente et une bonne cohésion au sein de l’équipe. »
Aoa s’inscrit dans une démarche qui prend en compte l’impact social local en faisant appel aux résidents d’un quartier de la vallée pour édifier son équipe de terrain. D’après Mathieu, le directeur forestier, « Lyncia a un leadership naturel, une facilité innée à manager une équipe ». Championne de boxe anglaise de France jadis, au quartier, on l’appelle affectivement « patron ».
« Quand j’ai commencé, je savais qu’il n’y aurait pas de problème. J’ai un fort caractère. C’est grâce à mon père que j’ai appris à me forger moi-même mentalement. Dans ma famille, c’était le fa’a’apu, la boxe et le sport. J’ai tout donné pour la boxe et le fa’a’apu. »
D’une fratrie de 9 enfants, elle grandit dans l’exploitation agricole de son père à Papeari. Travail et résilience sont les valeurs fortes qu’elle retient de son enfance, les mêmes qu’elle applique aujourd’hui au sein de l’entreprise Aoa.
Aoa, un projet à vision long terme
Le ‘āoa, aussi connu sous le nom de ‘ōrā, décrit le banian en tahitien. Cet arbre aux racines multiples revêt un caractère sacré dans la mythologie polynésienne. Justement, l’entreprise se donne pour mission de restaurer l’équilibre en faveur des espèces polynésiennes pour augmenter la résilience de nos milieux naturels, et consacre plus de 20 ha de son domaine à la création du premier parc naturel en Polynésie pour sensibiliser la population aux enjeux d’une forêt en bonne santé.
« Cette semaine nous avons commencé le traçage du sentier pédagogique. »
Un travail conséquent, si l’on considère la nature du terrain abrupt envahit par les lianes et les arbustes.
L’équipe déploie son protocole d’action en plusieurs phases. La première étape consiste à reformer la canopée. Pour ce faire, depuis un peu plus de 7 mois, et du lundi au vendredi, de 6h à 15h, Lyncia et son équipe arrachent et coupent les espèces identifiées comme envahissantes.
« Il faut être courageux pour venir ici tous les matins. On a tous perdu en moyenne 15 kilos (rires). On le fait parce que c’est notre métier mais aussi pour le sens que notre action prend. Nous sommes engagés pour l’avenir de nos forêts. »
Mathieu explique que les miconias de plus 1m50 sont pour l’instant épargnés pour conserver une ombre suffisante, nécessaire au développement des arbres et arbustes indigènes1 et endémiques2.
Le directeur forestier développe :
« La deuxième phase consiste à recenser les plantules qui ont poussé. Surveiller ce qui est utile puis planter ce qui est désirable. On va remettre des Mara3, des Purau4, des Apape5… On ne va pas essayer d’éradiquer les espèces invasives, on va plutôt essayer de neutraliser leurs impacts négatifs. Le fait que les pisse-pisses (tulipier du Gabon) n’aient plus de lumière pour germer, petit à petit, ils vont arrêter de coloniser cet endroit. Si tu vois autant de tulipiers du Gabon, c’est parce que cette zone a été défrichée à un moment, probablement pour l’agriculture.»
Plus il y aura de surfaces couvertes, mieux la forêt se portera. Le travail se fait de bas en haut et à la mesure du végétal.
« On espère que ce que l’on va réimplanter va se propager naturellement. C’est en ça que notre entreprise est unique en Polynésie. C’est un travail avec une vision à long terme. Au bout d’un an, on voit déjà une évolution. Mais il faut laisser le temps au végétal. »
Un changement de vie radical
Auparavant gérante d’une roulotte sur la route de ceinture à Paea, Lyncia insuffle désormais de la quiétude dans son quotidien.
« On a dû fermer durant la crise sanitaire. Aujourd’hui, je me reconnecte avec la nature. »
Le bruit des voitures dorénavant substitué, le son du ruissellement de la rivière, des branches au vent et des oiseaux de la vallée subliment les journées de la garde forestière.
« Ici, je crée ma bulle. Quand les choses ne vont pas au mieux dans ma vie, j’arrive à respirer dans la forêt. J’arrive à mieux réfléchir. »
En Polynésie, les domaines forestiers sont quasiment laissés à l’abondon. Sous nos yeux, c’est toute une richesse de biodiversité qui est en train de disparaître. Si l’on ne fait rien, notre patrimoine environnemental et culturel est voué à se perdre. Mathieu précise que « l’état du lagon est intimement lié à la santé des vallées » et l’état de notre environnement à notre avenir. Lyncia enchaîne :
« Avant, je ne pensais pas du tout à l’écologie. Aujourd’hui, je me sens liée à cette forêt et engagée pour l’environnement. »
1 Originaires du territoire considéré, elles y sont présentes naturellement.
2 Espèce végétale propre à une région géographique spécifique.
3 Le Mara, Neonauclea forsteri, confiné à l’archipel des îles de la Société, est un arbre indigène en Polynésie française.
4 Le Purau est un des arbres ayant le plus d’utilisations en Polynésie française.
5 Le Rhus taitensis (Sumac de Tahiti) est une espèce végétale appartenant à la famille des Anacardiacées originaire de l’Asie tropicale et d’Océanie.
Yvon Régis Bardes
Rédacteur
©Photos : Niuhiti Gerbier pour Femmes de Polynésie
