La joie de Joanita
Fin d’après-midi à Faa’a. Le collège Notre Dame des Anges semble désert, l’air est calme et doux. La porte d’une salle au rez-de-chaussée s’ouvre, une réunion d’élèves s’achève, animant brusquement la cour. Femmes de Polynésie vient pour interviewer une professeure, mais il en ira autrement. Nous nous retrouvons face à quatre enseignantes emplies d’enthousiasme. Presque d’une seule voix, elles clament que toutes ont leur mot à dire ! Que l’une n’est rien sans les autres, qu’elles œuvrent main dans la main, qu’elles sont les anges de NDA ! Elles, et tous les autres qui travaillent pour les adolescents d’aujourd’hui, pour les adultes de demain. Successivement, ces femmes de l’ombre nous confient des morceaux de leur vie. Des témoignages truffés de force et de sensibilité.
GOURMANDE DE LA VIE
La première à s’installer face à nous est Joanita Mai. Interview spontanée et imprévue, une surprise comme un cadeau.
Joanita pétille de joie, d’ailleurs on la surnomme Joa. Elle avoue n’avoir rien à partager, pourtant rapidement ses paroles jaillissent, sa voix s’emballe, ses yeux brillent, c’est toute sa personne qui sourit. Tous les domaines de sa vie sont irradiés de cette joie, et même la maladie.
Son secret? Sa foi en Dieu, l’amour de sa famille, le soutien de l’équipe de NDA.
Et la passion pour son métier.
Très jeune se manifeste en elle l’envie d’enseigner l’histoire. À vingt ans, Joanita quitte ses parents et son île natale pour la France. Avide de découvertes, l’étudiante atterrit en Alsace puis parcourt l’Europe de l’Est, Londres, la Belgique, l’Allemagne et la Suisse. Elle s’en met plein les yeux, plein la tête, plein les papilles. Elle savoure les cuisines d’ailleurs, l’histoire, les connaissances, les rencontres, les partages. En plus du dépaysement, Joanita réussit sa licence d’histoire. La dernière année, elle découvre la pédagogie, un domaine qui paraît intimidant de prime abord, mais qui révélera bientôt toute sa richesse.
ENSEIGNEMENT ET BIENVEILLANCE
Dès 2011 Joanita commence à enseigner à Tahiti comme remplaçante en maternelle. Auprès des petits elle apprend la base, elle apprend tout. L’attention, la discipline, l’accompagnement.
« Ce sont des enfants qui m’ont permis de grandir. »
Plus tard, elle se confronte aux collégiens de NDA.
« J’ai appliqué avec les adolescents ce que j’ai appris avec les petits, en adaptant les spécificités liées à leur âge. »
Son credo, c’est la bienveillance.
« J’ai toujours agi avec le cœur, dans toutes les situations. Je suis une personne assertive1, ferme sur le fond, souple sur la forme. Je suis entière et ne peux cacher mes ressentis.»
Pendant six ans, Joanita enchaîne les remplacements de la maternelle au CM1. Elle gagne en maturité.
« J’ai été réconfortée par ce que j’aime faire, c’est-à-dire contribuer à créer cette société polynésienne bienveillante. »
Joanita entre à NDA comme surveillante générale et sa détermination se confirme :
« Ma mission c’est d’aider à faire des adultes responsables ! Mon travail reste un plaisir malgré les besoins, les attentes et les challenges du collège. »
LA MALADIE
18 avril 2018. Le diagnostic tombe.
« Je suis atteinte d’un cancer du col de l’utérus au stade 4. J’ai alors 35 ans, un mari, une petite fille. C’est la douche froide. »
Joanita est animée d’un mental d’acier.
« Cette maladie a été une bénédiction, et non un combat. Je suis croyante, j’ai tout de suite été dans l’acceptation ! »
Passionnée, absorbée par son travail, ses besoins s’en sont retrouvés négligés. Pour Joanita, la maladie est l’occasion de se redécouvrir, un message pour lui dire de ne pas s’oublier.
« Quand on a la foi, on mesure comment l’univers conspire à tout ! Cette maladie est l’aventure la plus extraordinaire qui me soit arrivée ! Une expérience qui m’a fait grandir d’une manière indescriptible. »
Joanita fait aveuglément confiance au corps médical. Elle enchaîne radiothérapie et chimiothérapie, subit tous les effets secondaires liés aux traitements, et poursuit avec la curiethérapie2 après une évacuation sanitaire en France.
Joanita est soutenue par sa famille, ses amis, ses connaissances. Par leur amour et leurs prières.
« Je ne suis rien sans ma famille, c’est mon socle. »
Sa voix se brise, les larmes affleurent. Regard complice vers ses collègues et amies.
« Toutes les personnes rencontrées m’ont construite, apporté leur lumière, fait la femme que je suis aujourd’hui. »
Aujourd’hui, Joanita est complètement guérie3.
« Tous les jours je suis reconnaissante, je suis dans la gratitude ! »
1 Personne capable d’exprimer des idées ou de défendre des droits sans agressivité envers autrui
2 Technique d’irradiation consistant à introduire des sources radioactives au contact ou à l’intérieur même de la tumeur.
3 Son cancer est en rémission, sa santé régulièrement contrôlée, et Joanita ne présente plus aucun signe de la maladie.
Doris Ramseyer
Rédactrice
©Photos : Doris Ramseyer pour Femmes de Polynésie
