Tevaite Gutierrez et la mémoire du fait nucléaire
Sous le soleil de l’hiver des îles du Pacifique, la brise entonne le chant de notre hymne où se confond le vol des phaethons dans l’azur de Punaauia. C’est en ces temps rafraîchit que Femmes de Polynésie rencontre Tevaite Gutierrez, professeur d’Histoire-Géographie au lycée de Papara désormais. Elle nous conte brièvement son parcours pour hâtivement dépeindre l’intégration du fait nucléaire dans son enseignement où tacitement se déploie la mémoire. La mémoire de nos aïeux, le chemin du passé vers ce présent dans lequel nous évoluons quotidiennement.
La passion de l’enseignement
Polynésienne de ses racines, métissée de ses héritiers, Tevaite obtient son CAPES en 1994 et l’agrégation cette année en 2022.
« J’ai fait mes études à Paris comme toutes les générations de mon âge où il n’y avait pas d’université à l’époque. »
Le chemin de l’enseignement n’est pas une voie pré-tracée mais la découverte d’une passion ardente, notamment de l’histoire.
« J’ai choisi d’étudier ce qui me plaisait. »
L’enseignement est un feu ardent qui anime sa méthodologie en constante évolution.
« J’ai toujours envie de trouver des choses différentes à faire. Lorsque je suis confrontée à des difficultés de compréhension, je vais faire en sorte de comprendre pourquoi et d’offrir des manières différentes d’apprendre. »
« Il faut évoluer avec les élèves et il ne faut pas avoir peur de se tromper. Si quelque chose ne convient pas ou ne marche pas, il faut réfléchir à aborder le sujet différemment. »
Il faut comprendre, adapter et ajuster lorsque cela est nécessaire, nous dit-elle.
« L’histoire c’est avant tout la mémoire, ce sont des choses qu’il ne faut pas oublier, qu’il faut garder à l’esprit, ne serait-ce que pour rendre hommage à ceux qui ont fait des sacrifices. »
Comme elle l’explique si bien, l’histoire explique des faits d’aujourd’hui qui en va de soi de nos jours.
« Ce qu’on est aujourd’hui, vient de ce que l’on était d’hier. »
En notre temps, Tevaite entame sa 27e rentrée et depuis quelques années, a intégré le groupe de l’enseignement du fait nucléaire.
L’Histoire et le fait nucléaire
« Voilà 4 ans que je fais partie du groupe de l’enseignement du fait nucléaire. »
Formé en 2016, à la suite du discours du président François Hollande reconnaissant les conséquences des essais nucléaires en Polynésie et à l’initiative du président du pays et de l’État, le groupe a lancé la réflexion sur l’enseignement du fait nucléaire.
« Ce groupe territorial réunit des professeurs de toutes matières confondues. Nous avons réfléchi à la didactique par rapport à ce sujet et nous avons choisi l’axe des questions socialement vives. »
L’objectif, faire en sorte que l’on puisse parler du fait nucléaire, de par l’art, la musique ou les textes. Un sujet transdisciplinaire où les faits se croisent et s’entrecroisent, intégré aux programmes lorsque cela est possible, adapté aux compétences des élèves.
« Ce qui m’a toujours inquiété, c’est que des élèves ne soient pas au courant de ce qu’il s’est passé à Moruroa ou à Fangataufa. Aujourd’hui, pouvoir en discuter avec les élèves et que ça ne soit pas un tabou, c’est très important. »
« Il y a plusieurs façons d’en parler. On n’est pas là pour monter des polémiques, seulement pour parler car depuis trop longtemps on a occulté des faits. »
Désormais, cette époque est révolue.
« La société polynésienne a besoin d’intégrer ça pour avancer. Il faut leur donner des clés pour comprendre afin qu’ils puissent forger l’opinion qui est la leur. »
Des sorties et des rencontres extrascolaires permettent de confronter les élèves à cette réalité, leur permettant de prendre conscience de ce passé.
La mémoire comme étendard
« On ne peut pas oublier les gens qui ont fait des sacrifices pour cette société dans laquelle on vit. »
La visée de ces formations et de ces enseignements est de construire dans la compréhension de chacun. Assurant cette légitimité dans les différentes pensées forgées par la mémoire du passé.
« Comprendre comment l’Autre a construit sa mémoire par rapport à ça permet d’avancer et de vivre en concorde. Nous n’avons pas la même représentation ni le même vécu, mais ça s’explique, car nous n’avons pas la même mémoire d’un événement similaire. »
Effectivement, selon les îles, les ressentis et les échanges sont totalement différents, donnant à voir une nouvelle perspective du sujet.
« On ne vient pas pour dire que le fait nucléaire était bien ou mal, ça fait partie de notre histoire et on l’a tous vécu différemment et il ne faut surtout pas stigmatiser les uns et les autres. »
« Il n’y a pas de parole plus forte qu’une autre, ça fait partie dans tous les cas de la mémoire des Polynésiens. »
« Ce qui m’anime, c’est de donner les clés de compréhension du monde d’aujourd’hui en étudiant le passé. Bien que cela soit à dix mille lieux de leur préoccupation, j’espère juste que le message passe et qu’ils vont en prendre conscience. »
Apporter la réflexion, transmettre pour comprendre et se construire.
« Savoir d’où on vient pour savoir où l’on va, ou en tout cas en avoir une idée, je trouve ça fondamental. Si l’on a que des bribes, c’est plus compliqué. »
Tevaite nous rappelle cette richesse qui réside au sein de chacun de nous, la pluriculturalité polynésienne. Un héritage qu’elle rappelle de préserver en apprenant à connaître son prochain dans la perspective de mieux l’accepter.
Manutea Rambaud
Rédactrice
©Photos : Manutea Rambaud et Tevaite Gutierrez pour Femmes de Polynésie