Jessica Tran : « C’est en restant engagés qu’on pourra changer les choses »
Enfant de l’Océanie, Jessica Tran est arrivée en Polynésie en 2018 pour étudier la biologie marine. Depuis ce jour, elle n’a cessé d’user de ses connaissances pour offrir à notre récif corallien le respect qu’il mérite.
LA DÉCOUVERTE D’UNE PASSION
Jessica est née et a grandi en Nouvelle-Calédonie. Son père est vietnamien et sa mère est malgache. Elle se définit elle-même comme ayant un parcours culturel de tous horizons. Au sortir d’un bac scientifique, elle choisit un peu par défaut une licence de biologie. Mais en deuxième année, elle réalise un stage lors duquel elle étudie des coraux, des échantillons en provenance de l’ile de Mo’orea.
« J’ai découvert que la biologie marine, c’est tellement large dans tous les domaines de possibilités, de passions, d’intérêts. Ce qui m’a plu, c’est le modèle corallien et l’écologie. Toutes les interactions qui existent au sein d’un récif corallien et l’importance du corail. »
Elle décide alors de se spécialiser. Pourtant, cette ambition n’était pas toute tracée.
« J’ai toujours vécu proche de la mer et ça je m’en suis rendu compte tard, en faisant une partie de mes études à Paris. Je me suis rendu compte que la mer a toujours fait partie de l’arrière-plan de ma vie, sans trop l’inclure. En commençant la plongée, j’ai appris à connaître la mer et je pense qu’on ne la connaîtra jamais vraiment. C’est en partie pour ça qu’elle m’obsède aujourd’hui. »
Cet amour de la mer ne la quittera plus.
« Ce que je préfère, c’est être dans l’eau. J’ai vraiment la chance d’avoir un métier de passion, je suis reconnaissante tous les jours. »
AUX CÔTÉS DE L’ASSOCIATION TAMARI’I POINTE DES PÊCHEURS
Alors qu’elle est encore étudiante à l’UPF, elle devient bénévole pour l’association Tamari’i Pointe des Pêcheurs1. Sur le terrain, la jeune biologiste se rend compte de l’urgence de la situation du secteur.
« Le lagon de Puna’auia, je le connaissais déjà parce que j’avais passé mon année à nager dedans. En y travaillant, j’ai eu un autre regard. »
En effet, les coraux sont envahis par la Turbinaria ornata2.
« Ce sont des algues brunes. Elles sont natives de Polynésie mais elles posent problème lorsqu’elles sont en trop grande quantité. Elles empêchent les coraux de grandir et les bébés de rejoindre le récif. De plus, elles ne sont pas consommables et étouffent les autres algues qui nourrissent les poissons herbivores. »
CRÉATION DU PROJET TO’A NU’UROA
Jessica se détermine à protéger ce lieu et participe, avec Tamari’i Pointe des Pêcheurs, à un appel à projet auprès de l’OFB3.
« J’ai commencé à écrire le projet avec un objectif très simple : qu’il y ait moins d’algues et plus de coraux. »
Ce dernier est retenu. Ainsi nait To’a Nu’uroa.
« Je ne m’y attendais pas du tout. C’était le premier projet que j’écrivais, j’étais biologiste depuis moins d’un an. Pour moi, c’était un peu tôt dans ma petite carrière et malgré ça, Tilda4 m’a soutenue et ça a commencé comme ça. »
Lancée dans une aventure sans précédent, Jessica ne nous cache pas la difficulté des objectifs qu’elle s’est fixés.
« S’attaquer à ces algues, c’est fastidieux, parce qu’elles ont plein de stratégies. Elles colonisent vite et loin, repoussent très rapidement. Elles ont très peu de prédateurs et donc sont très peu régulées naturellement. C’est pour ça qu’il faut les arracher au moins une fois par mois. »
Jessica s’occupe de la gestion du projet, de la sensibilisation à la protection des récifs coralliens et de la valorisation de ces algues en biotechnologies. Plongeuse professionnelle, elle rend compte de l’efficacité des actions sur le terrain à travers des rapports d’expertise. Ces retours d’expérience à l’issue du projet permettront aux acteurs de la protection de l’environnement et aux gestionnaires du territoire de mettre en œuvre des actions adaptées afin de restaurer des lieux stratégiques.
S’ENGAGER EN FAVEUR DU VIVANT
Pour notre biologiste, il est évident que l’écologie est une priorité qui nous concerne tous.
« On n’est pas obligés d’être biologiste pour se mobiliser pour la protection de notre environnement. »
Selon elle, il existe une multitude de manière de participer à cette lutte. En commençant par mettre la protection du vivant au cœur de notre fonctionnement, par offrir de nouveaux secteurs d’activités pour ne plus dépendre uniquement du tourisme et en ne comptant pas uniquement sur les associations pour effectuer un travail de terrain.
« Il faut écouter les scientifiques qui tirent la sonnette d’alarme depuis vingt ans. Les actions sont trop lentes. Tant qu’il n’y aura pas une vraie politique qui sanctionne les gros pollueurs, je resterai pessimiste. C’est décourageant, mais je crois qu’il ne faut pas baisser les bras. C’est en restant engagés qu’on pourra changer les choses. »
1 Tamari’i Pointe des pêcheurs est une association reconnue d’intérêt général, créée en 2008 par un groupe de pêcheurs. Son champ d’action se situe au niveau de la zone de pêche réglementée de Nu’uroa, à Punaauia.
2 Espèce commune d’algue brune, envahissante en Polynésie française. Elle se caractérise par des thalles rigides et piquantes, de forme subpyramidale à turbinée. Elle a un crampon de fixation lui permettant de s’attacher au récif.
3 L’Office Français de la Biodiversité est un établissement public dédié à la protection et la restauration de la biodiversité en métropole et dans les Outre-mer, sous la tutelle des ministères chargés de l’écologie et de l’agriculture.
4 Tilda TEHARURU est la présidente de l’association Tamari’i Pointe des Pêcheurs.
Rédactrice
©Photos : Cartouche pour Femmes de Polynésie, Mathias Clément, Studio Mape et Tahiti Ocean Explorer.
Directeur des Publications : Yvon BARDES