L’art du tīfaifai selon Rava Ray (2/2)
Artiste aux multiples casquettes, Rava Ray, désormais installée sur l’île de Moorea, poursuit ses confidences au webzine Femmes de Polynésie sur son parcours inspirant aux quatre coins du monde et partage sa vision de l’art ancestral du tīfaifai.
La réappropriation de sa propre culture
Suite à une rupture amoureuse, Rava Ray décide de participer au Heiva 2018. Son rêve de petite fille se réalise quand on lui propose de devenir meilleure danseuse. Son travail chez Hawaiian Airlines lui permet de rentrer régulièrement pour les répétitions. Elle tombe amoureuse d’un danseur de la troupe, qui deviendra le père de ses enfants. En 2019, elle démissionne et revient s’installer au fenua. Lorsque nait son premier enfant, elle organise sa vie professionnelle le plus possible à domicile grâce au tīfaifai.
« Pour passer le temps à Hawai’i, j’avais pris des cours de quilting, technique de surpiquage sur une sorte d’édredon local, avec l’association Poakalani. Une fois que j’ai commencé, les mamies ne m’ont pas laissé arrêter. C’est le maître John Serrao qui m’a tout appris. Là-bas, j’ai connu une communauté qui se réunissait chaque semaine. Des Japonaises venaient aussi pour apprendre.
C’est comme ça qu’en rentrant à Moorea, je me suis tournée vers le tīfaifai. Ici, ça se transmet de mère en fille. Maman n’en cousait pas, mamie non plus. Il y a un lien à entretenir avec les anciens à travers cet art. Les motifs sont passés de génération en génération. Des arrière-grands-mères les ont laissés à leurs enfants. Peut-être qu’eux-mêmes ne font pas de tīfaifai, mais ils ont toujours le patron dans leur placard. »
L'art de la patience et du travail bien fait
Aussi passionnée qu’organisée, Rava gère son emploi du temps avec rigueur. Elle travaille plus de 8 heures par jour pour gagner sa vie, en menant parallèlement une activité de photographe. Elle crée ses propres motifs, innove en lançant des pochettes et des robes de mariées tīfaifai. Elle dessine également certains modèles de linge de lit pour la marque locale Aimata.
« J’ai de la chance, puisque les enfants vont maintenant à l’école. Quand j’ai un grand projet, que je dois faire du dessin, du découpage, j’aime bien avoir toute une journée devant moi. Le travail est constant. Si j’attends à la banque, j’ai toujours un petit projet avec moi. Je dessine pendant qu’on regarde un film. Le soir, je suis à côté de mon chéri, lui décompresse et moi, je fais de la couture. Je mets environ un mois pour coudre le plus simple tīfaifai, en travaillant dessus 1 heure à 2 heures tous les soirs. Le travail n’est pas dur, mais il faut de la patience et de la persévérance. »
L'importance de la transmission
Marquée par ses mois d’apprentissage à Hawai’i et le partage public qu’elle y a expérimenté, Rava souhaite participer à la diffusion de l’art du tīfaifai. Elle propose des ateliers accessibles à tous, et se sert de ses talents de photographe sur les réseaux sociaux (Facebook, Instagram) pour toucher un public plus nombreux. Reconnaissant la qualité de son travail, le service de l’artisanat traditionnel lui a décerné une carte de Maître Artisan.
«Même si je ne m’en sens pas vraiment digne, je vois ça comme une autorisation de partager. Je ressens cette obligation. On l’a partagé avec moi, donc je dois le partager avec les autres. Le tīfaifai vient des Missionnaires ; il est au carrefour de plusieurs cultures. Il faut le mettre dans les mains des gens qui vont s’en occuper comme il faut. Es-tu quelqu’un qui va faire vivre cette culture ? Mon rêve à moi serait qu’il soit vivant dans tous les foyers. Que quand un bébé naît, quelqu’un dans la famille lui fasse son tīfaifai. »
Rédactrice
©Photos : Rava Ray pour Femmes de Polynésie
Directeur des Publications : Yvon BARDES