Tematai : Le dessin, son moyen d’expression
C’est juste avant de préparer sa salle de cours, dans la cour du Lycée Hôtelier de Punaauia, que Tematai accepte de dévoiler à Femmes de Polynésie ses croquis ainsi que son parcours. Aujourd’hui, si la jeune femme donne des cours de dessins aux enfants et transmet ses connaissances, c’est qu’il lui a fallu le temps et l’expérience nécessaires pour se découvrir et trouver son style.
La jeune artiste nous entraîne dans sa quête plus que prometteuse, mais loin d’être terminée.
UN UNIVERS RIEN QU’À ELLE
Tout commence aux Tuamotu, où Tematai grandit entourée de ses parents et de son grand-père. La jeune fille s’y épanouit sans télévision. Elle passe énormément de temps seule à dessiner, ce qui n’échappe pas au regard attentif de son grand-père, à l’époque bijoutier.
« Un jour, mon grand-père m’a demandé de dessiner quelque chose pour qu’il puisse en faire un bijou. J’ai dessiné une ballerine et il a adoré. Il en a fait un pendentif et aujourd’hui, c’est ma mère qui le porte. »
Lorsqu’elle prend conscience que ses dessins peuvent prendre une autre forme et faire plaisir aux autres, elle se découvre une passion pour cet art, qui devient alors son moyen d’expression privilégié ;un univers dont elle seule détient les codes.
« J‘ai toujours eu du mal à exprimer mes émotions, j’en parle très peu. Plus jeune, quand j’étais fâchée, mes parents trouvaient toujours des dessins affreux dans ma chambre. Et là, ils savaient que ça n’allait pas. »
LE DESSIN POUR THÉRAPIE
Tematai nous confie être insomniaque depuis l’enfance. C’est une des raisons qui l’a poussée à dessiner, encouragée par un thérapeute à pratiquer une activité qui la détend. C’est à neuf ans qu’elle découvre le manga. Elle tombe sur ces bandes dessinées lors d’une visite chez un oncle, féru de manga depuis déjà quelques années.
« Quand j’ai vu qu’on pouvait raconter des histoires en mettant en scène des dessins, sans avoir à trop écrire, j’ai trouvé ça génial ! J’avais enfin trouvé mon truc, mon langage ! »
Dès lors, ses histoires furent contées non plus au travers de mots, mais de dessins.
UN RÊVE AUQUEL ELLE DONNE DES COULEURS
À l’aube de ses vingt ans, elle ambitionne d’entrer au Centre des Métiers d’Arts de Polynésie. Armée de courage et de passion, elle se présente aux entretiens d’admission, prête à dévoiler ses créations au monde extérieur.
« J’ai présenté des mangas à l’entretien d’admission, et j’appréhendais car je suis consciente que c’est différent de ce qui est proposé ici. Et finalement, j’ai été admise. »
Elle y étudie le dessin pendant deux ans, ce qui lui permet d’apprendre différentes techniques, d’explorer différents styles mais aussi de voyager et de participer à des expositions et événements artistiques à l’international, notamment aux Etats-Unis.
« Je veux juste pouvoir m’exprimer. Mon objectif n’est pas de gagner de l’argent avant tout. Si j’arrive à en vivre, je serais vraiment heureuse, mais sinon ce n’est pas grave. »
L’artiste sillonne ensuite l’univers du manga en quête du style qui la caractérise. Croquis après croquis, celui-ci se dégage : en lien avec la nature, dans un esprit « kawaii », mais suscitant toujours une émotion dérangeante :le choc, le dégoût ou la colère par exemple.
« Ce qui est drôle, c’est que les enfants et les adultes ont toujours un regard différent sur mes dessins. Les enfants ont un regard innocent et naïf, tandis que les adultes y détectent les contradictions, les messages sous-jacents. »
L’ENSEIGNEMENT, L’ŒUVRE DU HASARD
Devenir professeure n’était pas l’avenir que Tematai avait envisagé. Une amie lui demande de donner des cours à des enfants pendant un stage d’été. Ce stage a duré une semaine. Tematai, elle, ne s’est jamais arrêtée. Elle est professeure de dessin depuis quatre ans.
« Je leur donne le matériel, les techniques et les outils. Ensuite, je les laisse libres de s’exprimer comme ils veulent. Et j’aime beaucoup mon travail. »
Son métier fait d’ailleurs écho à sa personnalité et son enfance au travers de certains élèves.
« Je suis comblée quand je vois l’évolution de certains de mes élèves, qui au début avaient du mal à s’ouvrir. Au bout de quelques cours, je les vois s’épanouir, s’ouvrir, car ils communiquent selon leurs propres codes. »
DES POSSIBILITÉS À L’INFINI
Et l’avenir sourit à la jeune femme, qui étend ses horizons.
« J’ai eu ma première commande il y a peu de temps. Je suis en train de me lancer dans les cartes de vœux personnalisables, les bandes dessinées. »
Au-delà de son métier de professeure de dessin, Tematai tient à réaliser son rêve de longue date, celui de transmettre aux enfants des connaissances sur la culture polynésienne. Et à ses yeux, le manga est le moyen idéal pour le faire.
« Une grande partie de mes élèves est fan de mangas. Ça bouge et c’est drôle. Les personnages sont attachants et ils apprennent des légendes japonaises. Mais quand je leur demande s’ils connaissent des légendes polynésiennes, ils citent souvent uniquement les plus connues. Et je trouve ça triste, car notre culture est tellement riche de par ses mythes et légendes. »
Le dessin prend vie sur une infinité de supports et Tematai possède toutes les clés pour donner à ses rêves les couleurs et les formes qu’elle imagine. Ainsi, nous pourrons accéder et comprendre son univers.
« Je pense que mon véritable objectif, c’est de partager mon monde. Certes, il est un peu bizarre mais je le trouve quand même pas mal (rires). »
Rédactrice
©Photos : Hina Teata-Carreel pour Femmes de Polynésie
Directeur des Publications : Yvon BARDES
