Tehea Hopara Pambrun et les coquillages : un amour de 50 ans
Tehea est tombée dans la marmite aux coquillages dès son plus jeune âge. À 6 ans, depuis son hameau de Tehurui, à Raiatea, elle fouillait le récif à la recherche de porcelaine, pūpū et autres pépites marines. Cette passion, qui frise l’obsession, a fait d’elle une créatrice de bijoux naturels. Femmes de Polynésie est allée à sa rencontre à Uturoa.
Tehea a 67 ans, un tāne, deux enfants et sept mo’otua¹. Les voir lui rappelle sa prime enfance quand elle s’est entichée des coquillages comme un gosse qui collectionne les cartes Pokémon.
« Quand j’étais enfant, j’allais pas me promener. Dès que j’avais fini l’école, le mercredi, le vendredi et samedi toute la journée, j’allais dans la mer ! Moi j’aimais retourner les cailloux. Comme si je suis née dans le coquillage, j’aime tellement ça ! Et les vendre, ça payait mon billet d’entrée au cinéma protestant. »
Porcelaine (tigre, à tête de serpent, cauris, monette grise…), cône, pūpū qui ressemble à un minuscule escargot jaune, maoa², pāhua, kāveka, térèbre, mitre oblongue qu’on surnomme carotte en raison de ses taches orange… Tehea est intarissable quand il s’agit de présenter chacun de ses préférés. Elle les cueille vivants sur les motu proches de Tevaitoa, sur la barrière de corail, à même le sable ou dans environ un mètre d’eau. Elle préfère s’y rendre de préférence le soir, voire la nuit puisque ces animaux sont noctambules.
Tuamotu : le paradis des coquillages
Si Tehea se rappelle d’un éventail infiniment varié dans les années 1960-1980, ce n’est plus du tout le cas aux Îles-sous-le-Vent. Aussi son archipel de prédilection demeure-t-il sans conteste les Tuamotu. Rangiroa, Tikehau, Kaukura, Mataiva, Pukarua, Apataki… comme une chercheuse d’or, la passionnée écume les atolls, séjournant le plus souvent chez des copines.
« J’y reste trois mois, le temps qu’il faut pour ramasser et laver. Je rentre avec 20 à 30 sacs de 30 kg chacun. Il ne faut pas plus sinon, je peux pas les porter ! »
Alerte dans ses déplacements, Tehea a l’âme voyageuse. Ses trouvailles lui ont déjà ouvert bien des frontières, San Francisco, Honolulu et une ribambelle de villes métropolitaines comme Cannes, Brest, Marseille, La Rochelle, Dijon ou Cholet… Prochainement, elle espère représenter la Polynésie lors d’un salon de l’artisanat à Nouméa, grâce au soutien de la Chambre de commerce qui aide à payer le transport des marchandises.
Transmettre son savoir-faire
Ces foires, expositions et grands marchés permettent aussi à Tehea de capter un public plus large car elle aime partager ses connaissances, comme lorsqu’elle a enseigné cet artisanat durant six ans à Tubuai, aux Australes.
Sur Raiatea, la māmā coquillage rend les écoliers de Saint-Hilaire et de Anne-Marie Javouhey habiles de leurs petites mains. Elle reçoit également des étudiants du Cetad³ de Avera, qu’elle forme à ce métier minutieux. Patience, précision, dextérité, il en faut pour plier à angle droit les bandes de niau4 plat et blanc ou bien pour tresser les cordons à partir de bourre de coco filée.
Des espèces devenues rares
Cette spécialiste déplore néanmoins la disparition de certains spécimens comme le ‘areho qu’elle ramassait à Huahine sur les feuilles de caféiers. Il s’agit d’un escargot qui est associé aux coquillages, dans les sautoirs de Tehea, sans dépareiller. Et que dire du pū qui a totalement déserté le lagon de Raiatea-Taha’a ? Tehea suppose que la disparition de certains « coquillages » est due aux rats, à la pollution ou encore à de mauvaises pratiques.
« Quand les Polynésiens vont pêcher les pāhua5, parfois ils les ramènent sur le motu et les décortiquent sur la plage. Ensuite, ils abandonnent les coquilles à terre ! Alors qu’il vaut mieux les ouvrir directement sur la pirogue et les rejeter à l’eau car la coquille contient encore des restes de chair qui peuvent réensemencer le lagon. »
Comme un effet domino, la raréfaction du pū entraîne la prolifération de l’étoile de mer mangeuse de corail car celle-ci n’a plus de prédateur. Observant ces changements, Tehea se tourne davantage vers la nacre dont la ressource semble prospère.
« Plus tu es âgé, plus tu as des idées. Moi je veux toujours plus de coquillages, partout ! »
Celle qui passe régulièrement jour et nuit à percer et enfiler les coquillages — jusqu’à 200 bracelets d’affilée —, rêve de créer une coopérative qui permettrait de se fournir aux Tuamotu en matière première et de donner du travail ici aux femmes de Raiatea.
- Petits-enfants
- Burgau vert.
- Centre d’éducation aux technologies appropriées au développement.
- Le raphia désigne à la fois le palmier dont il est issu et la fibre bien connue aux multiples usages.
- Bénitiers.
Rédactrice
©Photos : Gaëlle Poyade pour Femmes de Polynésie
Directeur des Publications : Yvon BARDES