« Ruby moonlight » – Ali Cobby Eckermann
Nouvelle chronique, nouveau sujet et pas des moindres, la littérature en Océanie. Cet amour et cette envie de mettre l’accent sur les livres vient d’un désir d’une passionnée de littérature qui, abreuvée par des années de lecture de tout horizon, souhaite mettre en avant nos trésors et notre mémoire, ainsi que ceux de ces espaces non si loin de nos îles.
Ceci est un rêve éveillé, fougueusement animé par une volonté de faire rayonner cette littérature délaissée par le fast-food des réseaux sociaux, de ranimer la flamme des lettres perdues, pour qu’enfin les cœurs et les esprits s’épanouissent. Dans l’évasion et la compréhension mais aussi dans l’étude et la connaissance.
Et pour cela, je vous propose que l’on se donne rendez-vous tous les lundis pour présenter une œuvre littéraire. De sa délicatesse à ses sujets poignants, de sa ponctuation à son oralité ancestrale, nous voguerons à travers l’imaginaire, les souvenirs et le présent des auteurs.
LE CORPS DE L’ŒUVRE
Les sujets évoqués →
Australie, Histoire, aborigènes
Il est le temps de repartir dans un passé peu éloigné, dans des contrées non si lointaines, à quelques jours de navigations et à quelques coups d’ailes de là, en Australie. Ainsi, c’est sous la plume d’Ali Cobby Eckermann, poète aborigène de notre ère, que nous nous laissons transporter à travers ces pages, sur la terre de ses ancêtres au 19e siècle. Une époque où les aborigènes subissent une véritable traque humaine par les colons britanniques. Mais ne nous affolons point, la violence du terme “traque” est soigneusement choisie pour sa justesse, ne définissant pas la ligne directrice de cette œuvre car l’amour s’y glisse. L’amour véritable, simple, doux, s’insinuant sans crier gare dans les émotions les plus intimes de notre corps, un amour pourtant interdit, victime de sa propre humanité.
« Ruby moonlight », c’est un roman de douceur et de poésie, dans une réalité poignante d’un passé écorché à vif, dont les souvenirs de nos aïeux sont un témoignage à ne pas oublier. C’est un point d’ancrage qui amorce le mécanisme de la résilience, dans un corps littéraire assigné au roman, déployé sous la forme de poèmes, aérés, où mots et phrases flottent dans une histoire de mémoire. Cette œuvre est une édition Au Vent des îles de 2023, traduit de l’anglais par Mireille Vignol.
« la nature peut tourbillonner
comme une feuille morte
parfois se faire papillon
ou endeuillée à terre
se faire poussière »
MES IMPRESSIONS
Alors que l’on tourne les premières pages pour se délecter des tous premiers mots, c’est un réel envol vers une époque. Une ère dans un air d’ōrero, une adresse aux lecteurs, un chant déclamé par Nature qui, chaque jour, nous apprend à comprendre le monde qui nous entoure.
« méliphages barbe rouge prennent des nuances de vert
le bleu des mérions superbes vire au brun camouflage
fie-toi à la nature »
L’oralité se meut dans l’écrit comme une évidence où l’hybridation linguistique s’y ressent également car s’y faufile des mots de la langue de leur clan. Un mariage finement déposé dans le corps francophone/anglophone selon les versions, donnant à voir un concubinage similaire à nos îles.
« elle recueille les dernières braises dans un coolamon
la tradition suit les méandres d’un sentier battu
le long d’une rivière apaisante »
Pourtant, dans cet océan de mémoire et de tradition, nous observons la réverbération d’une réflexion. Celle de l’avenir des aborigènes et des conséquences de la loi terra nullius.
« la survivante est une lubra
de la tribu des Ombres
le clan vit ici depuis
l’aube des temps
de sa disparition
qui s’apercevra ? »
De ce témoignage s’y ressent, compatissant ou empathique, une douleur et une force.
« les vents du cap adoucissent mon cri
sur les récifs de la trahison
quand le navire vogue et me berce »
Également, comme je le disais tantôt, l’amour s’immisce dans ces pages. Un amour interdit, un amour caché et pourtant fort, sincère, fabuleux. Au creux du bush australien, entre le sillage d’une rivière et sous un bois fraîchement humecté par la brise du matin, brille dans l’obscurité de l’aurore, des sentiments d’une nuance cristalline.
« il chuchote des mots tendres
ruby moonlight
elle est une gemme
brasillant dans la nuit noire »
Et c’est avec ce poème qui a la consonance de son propre titre que nous nous laissons, afin de laisser perdurer un suspens manifeste, invitant à la découverte de cette œuvre.
POUR QUEL PUBLIC
« Ruby moonlight » est un roman qui est accessible à partir de l’adolescence, néanmoins percé de violence, adoucit par l’amour, affûté par l’Histoire. Sa lecture aisée n’en fait pas moins un roman empreint de force, de douleur, de paix et de partage, dont chaque sentiment n’est pas à négliger si l’on souhaite l’offrir. Que cela soit pour soi-même ou pour un proche, il est toujours mieux d’adapter le choix en fonction de la personnalité et de la sensibilité de chacun.
Cette douceur littéraire nous embarque dans un passé qui peut résonner en nous, un écho à notre cœur, du moins il a résonné pour ma part.
« hélas mon gars ô quelles mésaventures
surviennent en pays étranger
mais le chant de l’âme ne faiblira point
grâce à la félicité de ta langue maternelle »
Et vous, l’avez-vous lu ? Partagez vos impressions
Rédactrice
©Photos : Manutea Rambaud pour Femmes de Polynésie
Yvon Bardes, directeur de publication