Eli, l’encre d’un partage
Jeune, femme et tatoueuse, Eli aime les défis…
Petite, elle prenait plaisir à gribouiller dans la marge, aujourd’hui elle signe de son aiguille le plus beau des tableaux. Avec son air espiègle et son énergie débordante, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle vous laisse un souvenir indélébile. Femmes de Polynésie vous présente une main de fer dans un gant chirurgical…
LE CLAIR-OBSCUR
Aves ses origines polynésiennes, italiennes et espagnoles, Eli est une demi à la personnalité bien entière.
A la regarder d’un peu plus près, on perçoit instantanément cette dualité intrinsèque, ce beau mélange de cultures. Piqué d’influences internationales, son bras gauche contraste avec les motifs maohi qui ornent son bras droit. Et pourtant, ces deux univers que tout oppose se complètent à merveille dans son art.
Elle qui fuyait la foule choisit de quitter son fenua natal pour étudier l’architecture d’intérieur en plein cœur de la ville lumière, à Paris. Alors qu’elle travaille sur un projet, elle cherche à y intégrer une partie de sa culture et décide de composer autour des motifs polynésiens.
« J’ai commencé mes recherches et je me suis aperçue qu’il n’y avait que très peu de contenu sur internet. Je me suis rapprochée d’un tatoueur et rapidement le dessin l’a emporté. Je lui ai demandé de me prendre en apprentissage. »
L’INNE ET L’ACQUIS
L’attrait pour l’art, le manque grandissant et l’irrépressible envie de renouer avec ses origines la poussent à rentrer à Tahiti pour s’initier au tatouage.
Si elle reconnaît qu’elle a toujours aimé griffonner à ses heures perdues, elle a tout à apprendre de ce milieu. Pendant un an, elle recopie méticuleusement les modèles qu’on lui présente et plonge à corps perdu dans les pages du Patutiki¹.
« D’abord, je dessine et je regarde. J’apprends à nettoyer… C’était long mais j’étais contente de faire quelque chose qui me stimulait. »
Mais comment réfréner ce besoin dévorant de coucher ses idées sur la peau ? Impatiente de mettre la théorie en pratique, elle part se former à l’École Française du Tatouage pour travailler sa technique et sa dextérité.
Elle s’exerce d’abord sur des peaux de cochon et des pamplemousses puis commence à magnifier les corps de ses courbes minutieuses. Progressivement, elle se perfectionne et s’attache à mélanger les styles, c’est comme cela que se développe le sien.
Pour Eli, la beauté réside dans la contradiction, dans l’accentuation du contraste. Elle aime créer l’harmonie dans le chaos des genres, imbriquer des inspirations de tout horizon. Tout est question d’équilibre.
« C’est quelque chose qui me tient à cœur, de ne pas faire que du local. J’aime incorporer de la géométrie, du dotwork². »
A l’image de son travail, elle incarne ce contraste de cultures, la frénésie de la découverte et le besoin de composer avec l’autre.
RACONTER UNE HISTOIRE
Comme elle le dit si bien « les gens ne prennent plus vraiment le temps de regarder avant de toucher ». Eli, elle, est plutôt du genre à observer. Elle saisit un trait de personnalité parfois insoupçonné et elle l’encre sur le corps, pénètre la peau d’un récit.
« Parfois je vois une personne rentrer dans le shop et je me dis « C’est ça qu’il lui faut ». »
Avec beaucoup d’écoute et un peu d’intuition, elle parvient à capturer des bribes de vie et à les retranscrire.
SUBLIMER LES CORPS
Des lignes bien noires, des galbes fins, Eli cherche avant tout à mettre les courbes en valeur, à adapter son dessin à sa toile.
« Je m’inspire plus du corps et des formes que j’ai en face de moi que d’un style. »
Là encore, quelque soit la taille de la pièce, elle veille toujours à ce que l’encre ne fasse pas d’ombre au corps. S’il peut dissimuler une cicatrice, le tatouage ne doit jamais camoufler l’être.
Évoluer dans un milieu essentiellement masculin implique nécessairement de faire face à certains a priori. Aussi, Eli a vite compris que, si elle voulait trouver sa place, elle devrait s’investir deux fois plus. C’est toutefois sa sensibilité toute féminine et sa force de caractère qui lui ont permis d’ouvrir son propre Tattoo Shop il y a deux ans et de continuer à faire ce qu’elle aime le plus : être stimulée au quotidien.
1 L’art du tatouage des îles Marquises
2 Un travail en points. Technique qui rappelle le tatouage sans machine, le dotwork est donc naturellement privilégié pour la réalisation de tatouages de type mandala ou encore de styles géométriques, notamment ceux inspirés des tatouages polynésiens.
Caroline Baudin
Rédactrice Web
©Photos : Cyrielle Bergeon, Valérie Leung et Caroline Baudin pour Femmes de Polynésie