« Des Tahitiens, des Français – leurs représentations réciproques aujourd’hui » – Bruno Saura
Nouvelle chronique, nouveau sujet et pas des moindres, la littérature en Océanie. Cet amour et cette envie de mettre l’accent sur les livres vient d’un désir d’une passionnée de littérature qui, abreuvée par des années de lecture de tout horizon, souhaite mettre en avant nos trésors et notre mémoire, ainsi que ceux de ces espaces non si loin de nos îles.
Ceci est un rêve éveillé, fougueusement animé par une volonté de faire rayonner cette littérature délaissée par le fast-food des réseaux sociaux, de ranimer la flamme des lettres perdues, pour qu’enfin les cœurs et les esprits s’épanouissent. Dans l’évasion et la compréhension mais aussi dans l’étude et la connaissance.
Et pour cela, je vous propose que l’on se donne rendez-vous tous les lundis pour présenter une œuvre littéraire. De sa délicatesse à ses sujets poignants, de sa ponctuation à son oralité ancestrale, nous voguerons à travers l’imaginaire, les souvenirs et le présent des auteurs.
LE CORPS DE L’ŒUVRE
Les sujets évoqués →
Anthropologie, sociologie, la représentation de l’Autre
Ici, nous sommes plus sur un écrit que je définis d’ « universitaire », c’est-à-dire une étude d’un sujet : la représentation réciproque des tahitiens et des français dans un domaine scientifique qui est ici la sociologie et l’anthropologie. Nous sommes moins dans les poèmes ou la fiction, mais là réside ce que je désigne ce grain de sel qui relève la saveur de la littérature. La littérature qui nourrit notre esprit par des sujets dont on ne se serait pas douté pour certains, une découverte pour d’autres, un goûter sucré qui ravive les papilles exténuées par une journée de travail, revigorant la curiosité et le vécu.
« Des Tahitiens, des Français – leurs représentations réciproques aujourd’hui », c’est une immersion dans une approche interculturelle. Un lieu où plusieurs cultures se touchent, cohabitent ensemble, qui se meuvent sur un même sol, dans une différence qui peut parfois, amener à des incompréhensions et des querelles : de par leur Histoire respective ou des relations jadis qu’elles ont pu entretenir par exemple. Nous commençons donc avec ce premier tome qui est une édition Au Vent des îles de 2011.
« Les consciences trient, les mémoires gomment, les regards déforment et opacifient. »
MES IMPRESSIONS
Ici, ne nous égarons pas dans une analyse, car là n’est pas l’objectif de faire fuir lecteurs potentiels et curieux gloutons de lecture, mais plutôt de donner une approche un peu plus légère à notre niveau.
« Dire qu’une langue est porteuse d’une vision du monde spécifique est exact, mais sa non-connaissance ne rend pas le dialogue impossible, car ce ne sont pas les langues qui dialoguent, mais les hommes et les femmes qui les utilisent. »
Ce qui est sublime dans cette œuvre que j’apprécie, c’est cette étude avec justesse puisque illustrée avec des exemples d’un quotidien que tous nous vivons, que nous soyons Tahitiens ou Popa’ā (pour reprendre les termes de Bruno Saura). Mais aussi dans cette approche scientifique, méticuleusement étudiée, sélectionnant les mots comme des mets de qualités, créant ainsi un plat de modernité et de tradition. Se faisant affronter, que dis-je ? Coexister de manière harmonieuse les Cultures, dans la bienveillance et le respect.
« Il ne s’agit que d’un essai, dans tous les sens du terme. Son but principal est d’ouvrir des pistes de réflexion, des domaines de recherche ; également d’interpeller. »
Et par cela, une introduction délicieusement formulée tend à expliquer cette approche, non sans risque, puisque susceptible de toucher que cela soit dans le positif ou le négatif. C’est donc avec régal que l’on se perd dans ces lignes pour reconnaître des situations, comprendre des points de vue, ressentir avec empathie l’Autre.
« Enfin, les Tahitiens remarquent que les Popa’ā croisent ou s’entortillent curieusement les jambes lorsqu’ils sont assis, attitude très peu virile mais curieusement copiée par ces fonctionnaires ou hommes politiques locaux qui ont justement l’habitude de fréquenter les Popa’ā. »
Les Cultures, de par leurs différences, ont familièrement tendance à se confronter car la différence et/ou l’inconnu effraie. Dans cet essai, nous évoluons sur plusieurs couches, une navigation dirigée par l’observation si toutefois nous prenons le temps de regarder ce qui se passe autour de nous.
« Un seul exemple suffira pour l’heure : les Tahitiens trouvent volontiers que les Popa’ā, parlent trop (avec d’autres Popa’ā, ou lorsqu’ils sont face à des Tahitiens). […] Le fait est qu’une perception culturelle réciproque et identique existe. A côté des Popa’ā qui s’étonnent des difficultés de communication des Tahitiens à leur égard (« ils parlent peu, préfèrent le silence ou les actes » […]). »
Ainsi, ni l’une ou l’Autre culture n’est rabaissée. Il n’est question que de compréhension mutuelle dans une étude qui aide à comprendre la perception de chacun dans un ping pong incessant mais bien éloigné d’un tournis intellectuel susceptible d’écorcher nos cervicales.
Ces diverses perceptions sont alimentées par la manière de parler, la langue utilisée, les habitudes vivaces de chacun que cela soit dans l’habit, la culture, la religion ou à travers l’homme dans son individualité puisque 2 sociétés différentes qui cohabitent, et malgré leur histoire qui les unissent, n’ont pas la même vision du monde, de la vie ainsi que des humains.
« Les hommes popa’ā paraissent aussi aimer porter des pantalons, envelopper leurs pieds dans des chaussettes, des chaussures de ville pointues. Les Tahitiens, de leur côté, réservent le port du costume habillé aux activités culturelles et à quelques rares manifestations officielles. »
Les stéréotypes ont la peau dure dans toutes les cultures. De la France avec sa baguette, son béret et ses croissants, à la Polynésie qui porte quant à elle l’image de la carte postale, les femmes et hommes dénudés néanmoins fleuris, où plages de sable blanc sont à perte de vue (alors qu’en majorité celles-ci sont de noir vêtues).
Partie intégrante de son image, chaque pays porte sur ses épaules les stéréotypes longtemps véhiculés par l’Histoire, les étrangers et les voyageurs.
« Spirituels, humanistes, tolérants, moralistes, les Tahitiens pourraient révéler aux Français une image d’eux inconnue si ces derniers prenaient la peine de les découvrir au-delà des apparences et des représentations stéréotypées de la jovialité, de la beauté, de la violence ou de l’indolence. »
S’il y a un 1 mot clé à retenir, c’est « perception ». La perception de l’un sur l’Autre, une perception en introspection, la perception mutuelle de chacun.
POUR QUEL PUBLIC
« Des Tahitiens, des Français – leurs représentations réciproques aujourd’hui » est un essai qui n’est pas forcément aisé à lire pour ceux qui débutent. Une tentative risquée si l’on n’est pas assidu et concentré car oui, malgré l’aisance à lire, je ne considère pas cette œuvre comme un « livre de chevet ». Mais pas de panique ! Loin de moi l’idée de véhiculer une quelconque « non accessibilité ». Disons plutôt que c’est un livre de culture et d’apprentissage, un genre écarté des romans à l’eau de rose qui sentent l’amour et le dévergondage.
Tous sont invités à découvrir, mais tous ne vont pas nécessairement apprécier l’écriture et le rythme si ce n’est pas un genre littéraire dont vous avez l’habitude de lire.
« Une langue que l’on ne souhaite pas entendre ou que l’on comprend mal n’est-elle pas agressive, comme chacun d’entre nous a pu en faire l’expérience lors d’un voyage à l’étranger ? »