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Culture

« Matamimi ou La vie nous attend » – Ari’irau

Publié le 26 juin 2023

Nouvelle chronique, nouveau sujet et pas des moindres, la littérature en Océanie. Cet amour et cette envie de mettre l’accent sur les livres vient d’un désir d’une passionnée de littérature qui, abreuvée par des années de lecture de tout horizon, souhaite mettre en avant nos trésors et notre mémoire, ainsi que ceux de ces espaces non si loin de nos îles.

Ceci est un rêve éveillé, fougueusement animé par une volonté de faire rayonner cette littérature délaissée par le fast-food des réseaux sociaux, de ranimer la flamme des lettres perdues, pour qu’enfin les cœurs et les esprits s’épanouissent. Dans l’évasion et la compréhension mais aussi dans l’étude et la connaissance.

Et pour cela, je vous propose que l’on se donne rendez-vous tous les lundis pour présenter une œuvre littéraire. De sa délicatesse à ses sujets poignants, de sa ponctuation à son oralité ancestrale, nous voguerons à travers l’imaginaire, les souvenirs et le présent des auteurs.

LE CORPS DE L’ŒUVRE

Les sujets évoqués →

Scènes de vie, mémoire, enfance

Nous voilà à notre second rendez-vous hebdomadaire du lundi-littéraire. Et pour ce doux début, j’ai choisi de découvrir avec vous ce roman, « Matamimi ou La vie nous attend » d’Ari’irau.

C’est une œuvre qui touche, qui fait esquisser des sourires, caresse des sujets qui nous parlent, fait humer les arômes des souvenirs, tout en laissant choir des perles d’émotions à ceux qui en ont la sensibilité. Ce second roman d’Ari’irau, c’est une lettre à sa fille Matamimi, déposée au creux de nos mains, prête à être lue, sentie, ressentie, comme un présent intime où les souvenirs d’enfance si précis nous font penser à une autobiographie.

Son écriture simple au premier abord, nous happe inéluctablement, des mots qui hypnotisent et qui nous prennent dans leur profondeur sans même que l’on s’en rende compte, sans même notre consentement nous voilà déjà au milieu du roman.

 

La cadence est mise, organisée dans le temps, d’abord et brièvement l’histoire d’une mère. Puis c’est au tour de la vie de sa fille, Matamimi, de son enfance à son adolescence, pour devenir enfin une femme, accomplie, fière, au caractère bien trempé et à l’allure affirmée.

Cette édition Au Vent des Îles de 2006, nous plonge tout droit dans notre quotidien et sans vergogne, nous laisse tout émoi.

 « Car Matamimi, mon amour pour toi est limpide comme les eaux de nos lagons ; il ne peut pas rester anonyme, puisque c’est le plus beau. »

MES IMPRESSIONS

Matamimi « yeux de chat », c’est la mémoire d’une mère, une lettre ouverte, à cœur ouvert qui, sans retenue ni tabu, sème ses souvenirs qui miroitent aux nôtres.

 « Les femmes gardent toutes leur chapeau sur la tête. Myriade de chapeaux blancs, à vol d’oiseau, si les anges nous aperçoivent du haut de ce temple, myriade de chapeaux blancs d’une pureté scintillante. »

Une mère qui inculque ses valeurs, conseille d’après son expérience, parfois de manière maladroite, mais une mère qui souhaite le meilleur pour ses enfants.

 « Sache tout d’abord, que ton corps est ton pays. Qu’il ne faut pas le soumettre au protectorat ou sous la tutelle de quiconque. Qu’il n’appartient à personne d’autre que toi. Tu ne dois rien, en ce qui concerne ton corps, à personne. »

Et puis la littérature s’immisce, telle une anguille ancestrale sortant de sa baraque de pierres, surprenant les plus rêveurs qui, les pieds nonchalamment glissés sur les rochers glacés de nos rivières, sentent une visqueuse et glissante caresse. Si ce n’est pas l’une, c’est au tour des chevrettes avides de travail, triturant avec entrain de ses pinces acérées mais indolores, ces débris d’écorces humaines qui tendent déjà à être emportée par le foulement de notre marche effrénée sur le bitume et le sol brun. Mais nous nous égarons dans cette métaphore à rallonge, alors revenons à notre littérature :

 « Pour satisfaire aux goûts de tous, on y a inspiré les hommes et les femmes de lettres. Segalen qui voulait nous connaître mieux que nous-même. Mais surtout, Spitz, Chantal, et la francophonie bastonnée, Devatine, Flora, notre jongleuse des mots, danseurs, poèmes et tresses jusqu’à la racine de ton crâne, Titaua Peu et l’écriture innocente défiée, artiste et militante tant adorée, Célestine Hitiura Vaite qui a polynésianisé le discours dialogique de Socrate sur l’Amour : paraparau ! »

Des références modernes qui nous accrochent (ou nous raccrochent) à cette réalité polynésienne dans laquelle nous évoluons. Les mailles d’une chaîne explicitement montrée, accrochée, révélée à son public, un poumon à plusieurs voix qui inspire les créatifs et expire les vivants.

Et dans sa propre mise en abîme, Ari’irau réussit à déconstruire cette littérature mise à l’honneur par une réalité qui croque notre joue avec dérision, quant à la présence de l’écriture sur nos terres mais un manque avéré de lecteurs.

«« ’Auē  Ma’, toujours aussi dramatique ! Pourquoi le regard des autres est-il si important : les mots n’ont pas besoin d’être lus pour exister. Ma’, ’auē Ma’ ! De plein jour, on ne voit pas la lune, cela ne veut pas dire qu’elle n’existe pas ! » »

Enfin ce livre, de ses échos de vécu, il nous insuffle à la réflexion, celui de notre métissage. Une époque non si lointaine et néanmoins encore présente où la différence appelle aux moqueries et à l’inconnu. Une terre qui s’est vue mariée à d’autres cultures, engendrant un panel de couleurs humaines grandissante, amenant à une perte identitaire latente.

« J’ai demandé à ta grand-mère de ne t’adresser la parole qu’en langue vernaculaire, afin que tu ne te sentes pas exclue, comme moi, de ton fenua. »

Pourtant bien loin d’être une fatalité, comme nous pourrions le penser.

POUR QUEL PUBLIC

« Matamimi ou La vie nous attend » est une œuvre que l’on peut découvrir assez tôt dans l’adolescence pour une approche en douceur de la littérature, à la fois dans la manière d’écrire mais aussi concernant les sujets évoqués qui peuvent faire écho à leur instant présent. Des souvenirs houleux avec leurs parents, aux réflexions qu’ils ne comprennent pas, les deux partis, enfants et parents, pourront voir les deux côtés du miroir. Quant aux curieux ou passionnés plus âgés, ils pourront également s’identifier dans cette thématique du métissage que nombre d’entre nous peuvent ressentir.

 « Mais, et moi alors, qui je suis ? « Littérature de la marge, dans la marge, ni française mais française ». Littérature non lue : littérature vierge de ton pays natal, littérature pure non déflorée par les critiques qui s’essoufflent et ressassent.

 

ORALITURE MĀ’OHI, LA LITTÉRATURE POLYNÉSIENNE VIVRA LE DESTIN DE SES ÎLES.  »

Et vous, l’avez-vous lu ? Partagez vos impressions

Manutea Rambaud

Rédactrice

©Photos : Manutea Rambaud pour Femmes de Polynésie

Yvon Bardes, directeur de publication

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