Évelyne Le Cloirec, directrice adjointe de nuutania
Femmes de Polynésie entre en prison, impressionnée par les portes de métal, barbelés et barreaux qui clament l’enfermement. Évelyne m’attend au poste de contrôle où mon sac et mon autorisation sont vérifiés par les surveillants. Sous son masque, je devine le sourire, et son rire m’accompagnera tout au long de l’interview dans son bureau. Rencontre avec une directrice atypique, humaine, au caractère solide forgé par sa carrière pénitentiaire aux quatre coins de France.
UNE FEMME DANS UN UNIVERS MASCULIN
Évelyne Le Cloirec. Un nom qui évoque la Bretagne et l’air salé des rives d’Atlantique. Évelyne est demie, née à Tahiti et aujourd’hui directrice adjointe de Nuutania.
Évelyne a 23 ans quand elle débute comme surveillante pénitentiaire dans la plus grande prison d’Europe à Fleury-Mérogis. Elle avait d’autres aspirations mais doit vite subvenir aux besoins de sa fille. Rapidement elle se passionne pour ce métier.
Après six ans, elle vise le premier grade mais échoue à l’oral. Pour s’exercer au concours et vaincre sa timidité de l’époque, elle se présente au premier concours d’officier deux ans plus tard. Contre toute attente elle le réussit. De commandée, elle passe au statut de commandante. Instant de panique, ce n’était pas ce qu’elle avait prévu, mais elle accepte le défi.
Elle quitte l’équipe féminine, chaleureuse et solidaire de Fleury-Mérogis pour atterrir en Bourgogne. Nous sommes dans les années 1990. On vient d’ouvrir des postes aux femmes dans les quartiers des hommes. C’est nouveau et ça ne plaît pas à tout le monde. Accueil glacial de la part du chef de détention à Varennes-le-Grand. L’homme est misogyne et ne s’y fera jamais d’avoir une femme comme collègue. Il est grand, imposant et entrave brutalement ses projets.
« Jamais je n’ai cédé devant lui, finalement il a aidé à forger mon caractère ! »
ITINÉRANCE CARCÉRALE
« J’ai bourlingué dans beaucoup de prisons! »
Les postes et lieux s’enchaînent. Fresnes, Tarbes puis Le Havre où Évelyne prend son premier poste de cheffe d’établissement. L’accueil est rude : manifestations du collectif anti-prison, crachin et temps maussade, avec en prime la vue sur les raffineries. Sur le pont de Normandie, elle crie, taraudée par le regret des Pyrénées. Mais elle ne lâche rien.
« En 1994, je deviens cheffe d’établissement en moins de dix ans avec seulement huit mois de formation. »
Elle poursuit sa carrière à Béziers, puis à Pau. L’expérience est humainement riche mais difficile : les syndicats y sont puissants et opposants. Elle tient quatre ans, alors qu’habituellement le poste est repourvu chaque année.
« J’ai essentiellement appris à être directrice en autodidacte. Au fil de mon expérience, mais aussi en observant les autres, en analysant leur fonctionnement. »
Retour à Fleury-Mérogis, mais cette fois-ci en tant que directrice. Elle est à la tête du plus grand centre de jeunes détenus de France avec cent mineurs à gérer. La tâche est ardue.
« Pour moi, il est essentiel de se serrer les coudes. Je mets du liant dans les relations, je souhaite des rires, des échanges respectueux avec mes collaborateurs, on travaille mieux ainsi ! J’explique toujours avant d’amener une nouvelle mission, c’est ainsi que les choses évoluent. »
TAHITI
Évelyne arrive en fin de carrière et aspire à un retour aux racines. Depuis le pénitencier de Perpignan, elle postule régulièrement à la prison qui vient d’ouvrir à Papeari, mais sans succès. Évelyne reste déterminée : retourner à Tahiti lui tient à cœur. Au lieu de directrice, elle postule alors comme directrice adjointe. Il y a trois ans, elle arrive à Nuutania, dans ce bureau même où nous discutons et rions ensemble.
Évelyne se questionne régulièrement sur comment lutter contre la récidive. Elle met en place des actions, des formations pour les détenus, et se réjouit de la nouvelle convention avec l’UPF1. Il s’agit de deux formations que les détenus peuvent suivre à distance, le Diplôme d’Accès aux Études Universitaires, le DAEU, et la capacité en droit. Elle tient particulièrement à la cérémonie de la remise des diplômes, car les conditions d’apprentissage en prison sont difficiles, elle souhaite encourager les étudiants qui réussissent.
« Je n’ai aucun regret d’avoir choisi cette voie professionnelle ! C’est très stimulant. Même si je travaille parfois contre vents et marées. J’ai rencontré des personnes différentes, j’ai parcouru divers établissements et régions, cela a enrichi mon expérience. C’est un monde vivant, en perpétuelle évolution ! »
1 Université de la Polynésie française