Kendra Godefroy, partir pour mieux revenir !
Notre galerie s’enrichit aujourd’hui du portrait d’une jeune femme aux valeurs polynésiennes chevillées au corps. Etudiante en ressources humaines à Bordeaux, Kendra Godefroy a fait le choix de partir pour mieux revenir. Une expérience de vie dont elle espère tirer le meilleur au profit de son île natale. Femmes de Polynésie a croisé sa route…
Il est 11h45 ce 27 novembre 1996 lorsque Koraly, Titaina, Kendra Godefroy voit le jour à Papeete. 22 ans plus tard, le bébé devenu une jeune femme sérieuse et détendue aime faire des blagues, évite de se prendre la tête et surtout savoure chaque instant passé auprès des siens, amis et proches.
« Pourquoi Elle ? » se demande Kendra. Pour quelles raisons lui a-t-on demandé de partager un bout de son histoire aux femmes de Polynésie ?
FILLE DU REGGAE
Commençons par le début. Dire que Koraly aime énormément le reggae serait un pléonasme. Petite, elle était toujours avec ses deux grands frères qui n’écoutaient que ça. Bien-sûr, comme les jeunes de son âge elle aime aussi les musiques actuelles que tout le monde écoute. Mais à ses oreilles « le must du must » reste « les musiques locales de chez nous. ».
Elle avoue avoir une préférence pour le chocolat noir, « C’est bon pour le moral », son hobby préféré « c’est vraiment dormir ». Ce n’est pas très « bouge pour ta santé » mais c’est vraiment l’un de ses passe-temps favoris.
« Mis à part ça, j’aime faire la fête comme tous les jeunes, rien de nouveau, aller me balader en voiture et lire des bouquins, les dévorer même ! »
METISSE DU PACIFIQUE
Son père est né à Tahiti et sa mère en France. Une métisse du Pacifique qui reconnaît avoir eu la chance d’avoir deux parents extraordinaires dont elle ne changerait pour rien au monde. Ils sont sa raison de vivre et sa motivation de tous les jours.
Malgré le fait qu’ils soient bien différents l’un de l’autre, elle dirait qu’ils lui ont tous les deux appris l’humilité, à être indépendante et forte quoi qu’il arrive. Elle a appris auprès d’eux que la vie n’est pas toujours rose mais ce n’est pas une raison pour baisser les bras.
« L’importance c’est d’aller de l’avant, de voir le bon côté des choses et surtout de ne pas oublier qu’il y a pire, alors remercions le « grand architecte » comme dirait mon père ! »
Une entrée en matière linguistique un peu difficile au début mais après « c’était que du pur bonheur ». En revenant à Tahiti l’année d’après, la collégienne a repris le cursus normal. Elle a obtenu un BAC STMG spécialité Ressources Humaines au lycée Paul Gauguin en 2015, ensuite elle a fait 2 ans de classe préparatoire aux grandes écoles de commerces au lycée de Papara.
LA période des plus belles rencontres en amitié. L’isolement et la charge de travail permettent de tisser des liens…durables. « Aujourd’hui, on ne peut pas vivre les uns sans les autres. ». Depuis, l’étudiante a passé les concours et a été admise à Kedge Business School sur le campus de Bordeaux en Master 1.
OUVERTURE AU MONDE
Le retour au fenua ne fait partie de ses projets immédiats. « Seulement pour les vacances et pourquoi pas faire un ou deux stages en 2019 », précise l’îlienne. Mais ses études et sa carrière l’attendent ailleurs. Elle a envie de profiter d’être à l’étranger pour apprendre des autres, de découvrir de nouvelles cultures et de nouveaux paysages et surtout… « de bien manger ! ».
Elle a eu l’occasion de voyager de nombreuses fois : Nouvelle-Zélande, Australie, Canada, France et récemment la Chine. La voyageuse ne veut pas s’arrêter là, elle sait la chance qu’elle a de faire des études qui lui permettent de voir du pays alors elle en profite au maximum.
« Faire le tour de l’île c’est bien mais faire le tour du monde c’est mieux. »
Notre Globe-trotteuse est de ceux qui pensent qu’il est mieux de forger sa carrière à l’étranger, créer son petit réseau, se faire de l’expérience et acquérir une multitude de connaissance avant de rentrer. Une fois à la maison, « on fait péter les contacts et tout ira bien ! Bien sûr je plaisante ! ». C’est pourtant bien le secret : faire jouer son réseau. C’est comme ça que ça marche partout ailleurs à la seule différence que l’on prouve aux autres de quoi on est capable.
QU’EN EST-IL D’AUJOURD’HUI,
Nous assistons à une transition dans la réflexion de notre interlocutrice. Premier constat de Kendra : la culture polynésienne repose sur les relations humaines. Elle ajoute que l’on ne trouvera jamais dans les cultures européennes par exemple des grands-parents, des parents et des enfants vivant sous le même toit. La plupart sont à des centaines de kilomètres et ne se voient seulement pour des occasions spéciales.
« Or, chez nous, c’est tout à fait faisable et presque normal. »
La question n’est pas de fédérer la population sur « les enjeux humains au cœur des débats » mais plutôt de prendre conscience que la proximité et la solidarité que nous avons des uns et des autres en Polynésie est bien spécifique à chez nous et que nous ne trouverons pas ça ailleurs. L’entraide et le partage restent également encore dans nos mentalités et c’est ce qu’il faut garder.
« Bien qu’aujourd’hui, il y a malheureusement des individus qui ont oublié le sens de l’entraide et de l’hospitalité pendant que d’autres continuent à préserver ces qualités. »
La principale étant l’accueil. Nous savons et aimons recevoir. Kendra voit cela comme une qualité car de nos jours, agir de la sorte s’apparente à quelque chose d’extraordinaire alors qu’il y a quelques années c’était normal.
« C’est tout cet aspect altruiste qu’il faut remettre en place. La compétitivité, la concurrence, c’est bien, c’est ce qui nous permet d’être meilleur à chaque fois, mais il ne faut pas oublier d’où l’on vient et d’aider son prochain dans la mesure du possible. »
Pour fédérer ou plutôt susciter un déclic, « cela commence par l’éducation à la maison et à l’école ». De transmettre des valeurs fortes par des exemples et des activités.
L’EDUCATION EST UN ASCENSEUR SOCIAL
Faire de l’humanitaire est l’un des projets qui lui tient à cœur. Elle a l’ultime conviction que l’éducation est un ascenseur social bien plus important que l’on peut imaginer.
« On a le sentiment que c’est toujours les plus riches qui accèdent au pouvoir mais c’est faux ! C’est trop facile de dire ça. »
Dans de très nombreux pays, des jeunes souhaiteraient accéder à l’éducation mais ne peuvent pas faute de moyens, faute d’investissement du pays, des villages beaucoup trop reculés de la ville, etc. la liste est non exhaustive. Et on sait tous que parmi ces jeunes y en a qui sont envieux, curieux et qui veulent apprendre, qui veulent réussir.
« Personne n’a envie de rester dans la misère. C’est pour cela que j’avais envie de créer des écoles dans des pays sous-développés, pour leur donner une chance de montrer au monde entier de quoi ils sont capables quand on leur donne ne serait-ce qu’un bout de papier et un stylo. »
C’est un projet qu’elle a plus au moins abandonné parce qu’avant d’aider son prochain faut déjà être bien soi-même. Cela dit, elle compte bien revenir sur cette idée.
« Il y a déjà pleins d’associations qui le font et j’en ferais parti c’est sûr ! »
Kendra envisage cette année de faire du tutorat et des ateliers ludiques et pédagogiques à des jeunes et adultes touchés par des troubles psychiques. Le but est d’aller à leur rencontre leur faire du tutorat sur n’importe quelle matière qu’ils souhaitent et leur faire faire des ateliers afin qu’ils puissent s’évader et laisser parler leur créativité.
« Nous sommes une équipe de 6 personnes chacun à son rôle bien défini dans le projet et je m’occupe de la partie « événementiel » qui consiste justement à trouver des ateliers adaptés à leurs problèmes. »
Le projet s’appelle « Back to School » visible sur Facebook. Nouveauté : Kendra donne des cours de tutorat d’une heure par semaine à des collégiens, niveau 3ème. En parallèle, elle fait partie de l’organisation de la comédie musicale de Kedge Business School, la KOMU. Tout est assuré par les étudiants faisant partie du projet : trésorerie, chorégraphies, démarchage des partenaires et de la salle de spectacle… tout est géré par les étudiants.
« Je suis co-responsable de la partie décor et costume. Un gros challenge au niveau des costumes car je ne sais absolument pas coudre à la machine mais ce n’est pas grave ça s’apprend vite. J’ai hâte de démarrer tout ça. Ce n’est pas un gros business donc on a vraiment un budget assez restreint. L’idée serait de faire de la récup sur tout et n’importe quoi. Mais j’adore ça et puis ma mère est l’une des fondatrices et comédienne et de la compagnie ChanPaGne des idées qui pétillent elle pourra m’aider sur certaines choses. »
L’AVENIR DE LA POLYNESIE SELON KORALY, TITAINA, KENDRA GODEFROY
Transition parfaite pour re-parler de ses tout premiers modèles de références : ses parents. Ils sont vraiment son inspiration et sa motivation. Tout ce qu’elle fait en ce moment même ce n’est pas seulement pour sa vie future mais aussi pour eux, les rendre fiers. Ils sont des exemples phare de ce qu’elle veut et ce qu’elle ne veut pas dans la vie.
« Après je ne vais pas vous sortir des noms comme Gandhi, Nelson Mandela ou même Malala Yousafzai comme la pluspart des gens le font pour montrer qu’ils ont un peu de culture. Ces personnes célèbres ont fait ce qui a été juste et ont accompli leur mission. A nous maintenant de faire de même et d’être notre propre référence. »
Et en termes d’analyses, Kendra en a une sur l’évolution sociétale de la Polynésie. Elle fait d’abord le point sur la situation économique et sociale qu’elle estime encore difficile. Le chômage et le niveau général de pauvreté sont encore bien trop importants. La grande majorité de nos produits sont importés, ce qui représente un coût, « et même quand on veut consommer local il faut sortir les billets. ». Le pouvoir d’achat est complètement réduit et les habitants saturent.
D’autre part, « le retard technologique est monstrueux ! ». A l’étranger tout ce fait par application, par internet.
« Il n’y a qu’à Tahiti qu’on envoie encore des sms, à l’étranger la 4G est allumée en permanence. Mais ça encore ce n’est pas trop grave pour le moment mais il va bien falloir se pencher là-dessus un jour ou l’autre. »
L’énergie et le traitement des déchets mériteraient largement d’être soutenus et même défendus jusque devant le ministère national.
« Nous vivons dans un pays avec du soleil. Selon le rapport annuel de l’IEOM, en 2017, la production d’électricité est majoritairement issue des hydrocarbures (63%) et seulement de 2% de la photovoltaïque. Il y a comme un problème. Même si le marché a connu une progression on voit clairement qu’il n’a pas le vent en poupe. »
« Concernant la gestion des déchets, on constate que le pays fait de son mieux notamment par un soutien financier mais selon le rapport de la DIREN en 2014, la production annuelle des déchets en Polynésie française est estimée à 147 000 tonnes en 2013, soit 544kg par habitant et par an. C’est énorme ! Il y a toute une campagne de sensibilisation à mettre en place et pas seulement des objectifs pour les communes. »
L’environnement et le développement durable doivent faire partie de nos principales problématiques.
« On parle de recyclage mais à aujourd’hui il n’est plus question de cela. Ce n’est pas recycler qu’il faut c’est REDUIRE. Un bon exemple à cela la nouvelle épicerie en ville où le concept est d’apporter nos contenants afin de les remplir. Il s’agit bien de réduire et non de recycler. »
Un autre secteur auquel on ne peut pas déroger, l’éducation. « Là encore les chiffres sont effrayants ! ». Le chômage ne s’améliore pas et que l’accès à l’emploi est difficile pour les individus qui n’ont pas les qualifications et compétences requises.
« Il faudrait tout d’abord se concentrer au niveau des îles qui subissent une séparation familiale précoce dû au fait que l’enseignement secondaire est majoritairement implanté à Tahiti. Ensuite, les sorties du système éducatif sans diplôme ni qualification concernaient 35% des élèves en Polynésie Française contre 10% en France, d’après La Cours des Comptes dans son rapport annuel de 2016. »
Sa conclusion sera pour vous femmes de Polynésie :
« Soyez fortes mais surtout indépendantes. Affirmez-vous et montrez de quoi vous êtes capables. Vivez pour vous et non pour la société. Faîtes vous belles, soyez bien dans votre corps et votre tête. Croquez la vie à pleines dents ! »
Jeanne Phanariotis
Rédactrice web
© Photos : Kendra Godefroy