Coraly Nakeaetou, lever le tabou de l’indivision
Femmes de Polynésie reçoit Coraly Nakeaetou sur un canapé moelleux, à l’ombre d’un arbre où bourgeonnent les bougainvilliers en ce début d’hiver austral. Dans ce cocon, nous prêtons une oreille attentive à son histoire. Rencontre avec une vahine audacieuse qui a décidé de briser les tabous et de sensibiliser la population locale au sujet de l’indivision foncière1.
Coraly est d’origine marquisienne et espagnole. Elle grandit avec sa famille polynésienne dans la commune de Taravao. Ayant toujours aimé dessiner, elle entame un bac professionnel en communication visuelle plurimédia au lycée Don Bosco, à Pirae.
« Ce que j’appréciais, c’est qu’on touchait à tout. »
Son intérêt se portant plus vers les activités artistiques, elle se réoriente vers le CMA. Mais Coraly fait de l’hypotension et est sujette à des malaises qui l’empêchent de suivre les cours avec assiduité. Elle quitte la structure et enchaîne les petits boulots.
« Je n’ai pas honte d’en parler, j’ai fait une longue dépression à cette période. »
Elle décide néanmoins d’entretenir sa créativité en participant à des expositions et en proposant des prestations en tant que graphiste. Ses tableaux ont une dimension engagée.
« Quand je dessine, je m’inspire vraiment des problèmes sociétaux. »
Suite à ces aventures, Coraly décrète qu’il est temps de prendre soin d’elle et retourne dans sa famille.
« Lorsque je suis revenue dans le cocon familial, je me suis intéressée à ce que faisais ma mère. »
Sa maman, Sandrine Nakeaetou-Bry, est experte en évaluation immobilière.
« Elle voulait créer quelque chose de nouveau et là est venue la question de l’indivision. »
Après une expérience familiale liée à l’indivision, Sandrine et Coraly prennent conscience que ce sujet touche de nombreuses familles polynésiennes et prennent le parti de leur venir en aide.
« La thématique de l’indivision, c’est toujours source de conflit. Souvent, les problèmes viennent du fait qu’il y a de la méconnaissance des procédures et d’un non-respect des parts d’héritage. »
Sandrine lance son entreprise, Fenua Mentor Formation, spécialisée dans l’immobilier et le foncier polynésien. Coraly, elle, l’épaule.
« Au début, je servais d’esprit critique. Comme je n’y connaissais pas encore grand-chose, j’étais là pour voir si les notions étaient assimilables. »
Passionnée d’anthropologie, de sociologie et d’histoire culturelle, Coraly se plonge avec ardeur dans ce nouvel apprentissage.
« Au premier abord, je ne le prenais pas vraiment au sérieux car je ne connaissais que le métier de négociatrice et commerciale en immobilier. Mais j’ai été prise de passion pour le métier de formatrice en idivision. J’adore creuser, trouver la source pour trouver une solution au problème initial. »
Notre expert-foncier en herbe a le goût de la réflexion. Elle devient rapidement cheffe de projet et animatrice d’ateliers au sein de l’entreprise.
« J’apprends de deux manières. J’apprends moi-même en apprenant aux autres. »
En intervenant auprès des familles concernées par l’indivision, Cora et Sandrine éduquent et accompagnent.
« C’est toujours merveilleux de voir dans le regard des gens qu’ils comprennent que finalement, ce n’est pas un sujet compliqué. Il suffit d’apprendre ensemble. Les familles arrivent à discuter entre elles, avec bienveillance. »
Persuadées que les clefs se libèrent lorsque les langues se délient, elles exhortent à ne pas ignorer ce sujet de la répartition des terres.
« Il faut en parler. Plus vite on en parle et plus vite on trouve des solutions. »
Si Coraly s’est lancée corps et âme dans ce nouveau projet, cela ne l’empêche pas de conserver un amour pour les arts et la création.
« J’aimerais beaucoup sensibiliser à l’indivision, à ses origines et à ses conséquences. Dans toutes les familles polynésiennes, il y a des questions de terres. »
Bien qu’il soit de notoriété publique, ce sujet reste souvent d’ordre privé, parfois au détriment d’une partie de la population, privée de ce qu’il lui revient.
« L’indivision n’a vraiment pas sa place en tant que sujet tabou. »
La mère et la fille mettront bientôt en place la possibilité de devenir négociateur en indivision. Ainsi, elles partageront non seulement leurs connaissances, mais aussi la capacité de transmettre en toute conscience à ceux qui les entourent et qui rencontrent des problèmes d’indivision non résolus.
« Quand on cache toute la poussière sous un tapis, elle finit toujours par remonter. »
1 Il peut arriver qu’une ou plusieurs personnes soient propriétaires d’un même terrain. Pour en faciliter le financement, l’entretien, un régime de propriété définit cette situation : l’indivision juridique d’un terrain.
2 Centre des Métiers d’Art.