Tautiare, l’esprit de compétition
Femmes de Polynésie file sur l’eau rendue éblouissante par le soleil encore haut dans le ciel. Nous sommes à Pirae, sur la barque en aluminium du Club Ihilani. Devant nous s’imprime le double sillage du va’a de Tautiare, trace éphémère sur l’eau ridée. Nous découvrons une jeune femme d’un abord doux et tranquille, ce que dément son incroyable parcours sportif. Impression confirmée sur l’eau, à peine sa rame frappe les flots, que son regard exprime le fond de son âme : un concentré de force, de concentration et de détermination. Elle franchit les obstacles avec griserie, pour ne faire qu’un avec son va’a ou sa moto-cross. Découverte d’une jeune femme taillée pour repousser ses limites et gagner.
GRANDIR AVEC LE SPORT
« J’aime gagner, me surpasser, évoluer. »
L’activité physique rythme depuis toujours la vie de Tautiare Manate, et scande chacune de ses journées. Le soleil se lève à peine que déjà elle s’entraîne. L’astre solaire disparaît et voit Tautiare reprendre ses exercices de cardio, musculaires ou de rame. Entre deux, elle suit ses cours à l’université pour sa licence de droit. Peut-être qu’elle sera juriste, ou avocate, mais son futur lui paraît encore loin. Aujourd’hui, ce dont Tautiare rêve, c’est de gagner.
« C’est grâce à mon papa que je fais beaucoup de sport, tous les jours, y compris pendant les vacances. »
Duo père-fille qui court, qui rame, qui pédale, qui soulève des poids, qui roule en moto. Complicité où le sport est le trait d’union entre deux générations, entre deux genres. De son père, Tautiare hérite la force physique et morale inhérente aux habitants de Rurutu. Sa mère, qui soutient indéfectiblement sa fille, vient de Tautira, berceau du va’a.
« J’ai gagné beaucoup de titres en rame, dont le championnat du monde de vitesse catégorie cadette en 2018.»
COMPÉTITIONS
Après le covid et la vie en suspens, 2022 se profile riche en championnats. Tautiare a participé fin mars au marathon Polynésie 1ère va’a, elle va partir aux Mini-Jeux du Pacifique, et songe peut-être à d’autres grandes courses de Tahiti.
« Être sportif compétiteur va de pair avec une vie dure. Il faut savoir mettre des priorités et éviter de se laisser distraire. Je privilégie les entraînements au détriment des sorties avec mes amis. Mais ce sont des sacrifices qui paient. Car une fois l’objectif atteint, quelle fierté et quelle satisfaction ! »
Depuis l’école primaire, Tautiare participe à des cross, depuis le collège, elle rame, et elle débute le motocross au lycée.
MOTOCROSS
Tautiare commence le motocross à 17 ans. Souvent elle tombe, et toujours elle se relève. Après un an seulement, elle participe à des championnats et déjà se démarque. En 2021, elle arrive deuxième en catégorie femme, quatrième en catégorie loisirs mixtes. En quelques mois, elle apprend tout : la mécanique, les vidanges, les sauts. L’accident aussi.
Au début, Tautiare était réticente pour sauter en moto. Mais à force d’entraînements, elle tombe amoureuse de cette sensation.
« Moi et ma moto on ne fait qu’un. Quand je roule, je me sens libre. C’est moi qui la guide, qui la contrôle. J’aime la vitesse, l’adrénaline, le côté dangereux. Surtout pendant les grands sauts. Je repousse mes limites. »
Un jour, alors qu’elle décolle à cinq mètres du sol, son amortisseur arrière lâche, elle accélère involontairement, la moto retombe avec sa cavalière. Le guidon s’enfonce dans son ventre et forme un hématome sur le pancréas1. Après un court passage à l’hôpital, Tautiare n’a qu’une hâte : retrouver sa moto ! Elle reprend les sauts sans tarder.
« Mes parents me font confiance, ça me rassure. »
VA’A
En moto : l’adrénaline. En rame : la sensation de glisse.
« J’aime quand le vent se lève, quand il y a de la résistance, j’aime me battre contre ses rafales. Au retour, dos au vent, mon va’a surfe sur les vagues, c’est la récompense, je me régale ! »
Si l’eau est trop calme, la jeune femme s’ennuie.
« J’ai un rythme de vie intense, je ne m’ennuie pas ! »
Cette cadence s’est encore intensifiée depuis peu. La jeune femme se prépare pour les Mini-Jeux du Pacifique de 20222 qui auront lieu en juin aux îles Mariannes du Nord. Elle s’entraîne au club Ihilani à Pirae, en V1 ou V6, encadrée par la coach Vaimiti Maoni, championne du monde de va’a.
« Je me fixe un objectif, je veux réussir, ça me pousse jusqu’au bout. Pour sortir de sa zone de confort, il faut se motiver ! »
Tautiare braque le regard droit devant elle, concentrée, c’est ainsi qu’elle avance avec son va’a, c’est ainsi qu’elle va dans la vie. Avec une farouche détermination.
1 Glande annexe du tube digestif située derrière l’estomac
2 La 11ème édition des Mini-Jeux du Pacifique se tiendra dès le 18 juin à Saïpan aux îles Mariannes du Nord. Elle rassemblera une vingtaine de pays autour de plusieurs disciplines sportives dont le va’a.