Océane : Mettre en œuvre des témoignages pour ouvrir la parole sur la violence
La résilience est au cœur de son métier de psychocriminologue, qui la confronte à la violence humaine. Ses œuvres sont des portes ouvertes sur les zones et les vécus les plus sombres, ceux dont on ne parle pas. Désormais bien ancrée au sein de la Polynésie en perpétuelle mutation, Océane allie engagement, passion et vocation pour que l’envers du décor idyllique de nos îles soit traité avec toute la tendresse et résolution qu’il mérite. Se frayant une place parmi les toiles de la psychologue, entre violences conjugales, sexuelles et intra-familiales, Femmes de Polynésie ouvre la discussion.
« Il y a tellement de sujets dont on pourrait parler. La Polynésie n’est pas qu’une carte postale. Il faut en parler, car lever des tabous, ça peut changer des vies. »
C’est dans une chambre réaménagée en atelier de peinture qu’Océane nous reçoit. L’espace est empli de regards car l’artiste privilégie les portraits. Tandis qu’elle s’installe au milieu des toiles, elle entame le récit d’une partie de son histoire.
« Je suis psychologue, spécialisé en criminologie et en justice. J’ai cette vocation depuis toujours, mais si on remonte à mes 18 ans, je voulais faire de l’art-thérapie en milieu carcéral. Et pour cela, j’avais tenté le concours des beaux-arts. J’ai été recalé sans explications. »
À la sortie de son BAC, elle entreprend des études de psychologie.
« Je suis tombé amoureuse de cette discipline. J’ai découvert les neurosciences et la criminologie qui ont été mes deux spécialités. J’ai laissé l’art de côté en me concentrant sur ma vocation de psychologue. »
De sa campagne profonde, elle poursuit à Tours puis à Lille pour sa dernière année. Bien que reléguée au deuxième rang, sa passion pour la peinture ne la quitte jamais, car Océane peint depuis sa plus tendre enfance.
« Mes parents ont voulu m’offrir un cocon. Ils m’ont mis des pinceaux dans la main. J’ai passé mon enfance à essayer de parfaire ma technique. Je pouvais recopier 50 fois le même dessin. On n’avait pas de cours sur Internet, YouTube… Ça prenait beaucoup plus de temps. »
La Polynésie, une famille d’adoption
En 2020, Océane part pour la Polynésie « par hasard ». Après avoir postulé pour une offre d’emploi dans son domaine, elle se retrouve deux semaines plus tard les valises aux mains, direction l’inconnu.
« Arrivé dans l’avion, je me demandais encore ce que je faisais. Je ne connaissais rien ni personne. Trois jours après mon arrivée, à l’issue d’un coucher de soleil, j’ai ressenti comme une énergie qui me disait que c’était ma place. Comme si ce moment, ce lieu répondait à des questions que je ne m’étais pas encore posées. Quelques jours après, je rencontrais c’elle qui allait devenir ma meilleure amie Polynésienne. On a capté nos deux énergies. J’ai trouvé ma place comme une fa’a’amu1 de l’étranger. »
Très vite, un écho à son enfance retenti lorsqu’Océane se met sur toile les histoires, les portraits.
« À la base, je ne pensais pas me professionnaliser dans le milieu artistique, c’est quelque chose que je fais pour moi. C’est une amie qui m’a dit que je devais l’exposer et ne pas le garder pour moi. Et pour mon anniversaire, elle a contacté les galeries. »
Il aura fallu 10 ans, 20 000 kilomètres et le regard d’une amie pour qu’Océane renoue avec sa passion, mais surtout pour qu’elle ose la présenter à un public. Aujourd’hui, ses créations engagées sont le reflet de son parcours et de la sincérité dont elle fait preuve entre sa vocation et sa passion.
« J’expose dans le but de lever les tabous. Je pense que si mes œuvres ont un objectif, c’est celui d’ouvrir la conversation, de participer à donner la parole. »
Un métier et un art engagés
Pendant longtemps exclusivement dans le domaine de l’aide aux victimes, désormais, Océane œuvre également dans le milieu du soin.
« Je recevais des victimes d’infractions pénales en tous genres. Ici, ce sont beaucoup de violences intra-familiales et de violences sexuelles. Je travaille également pour le milieu du soin avec des personnes dialysées et des enfants en situation d’obésité, cela-dit, je garde le côté judiciaire avec l’animation de groupes de parole sur les violences conjugales. »
Son champ d’action ne s’arrête pas aux victimes, car la psychologue reçoit aussi les auteurs de violences.
« Je n’ai pas de schéma d’intervention, j’essaye de m’adapter à la personne. J’utilise des outils assez récents comme l’art-thérapie, je me forme à l’hypnose et à l’EMDR ( = Eyes Movement Desensitization Reprocessing), qui est une thérapie psycho- neurobiologique brève, permettant le traitement des états de stress post traumatiques… J’essaye de venir avec le patient sur le pourquoi, il ou elle est là. C’est en fonction de la demande de la personne. »
Tel qu’Océane le conçois, dans son atelier comme aux expositions, les personnes qui nous fixent ou qui fuient notre regard représentent essentiellement des témoignages.
« Ce n’est pas forcément un patient ou une personne, mais plutôt des histoires, des énergies. Je suis très sensible à l’énergie des gens. J’essaye de ressentir ce que les personnes vivent, et à ma manière de le retranscrire d’une autre façon. »
Elle n’éprouve pas de difficultés dans son métier. Naturellement, la peinture joue le rôle de « sas » entre ce que la personne laisse et ce que l’artiste laisse sur la toile.
« J’espère que mon art est engagé. Il aspire à l’être. J’ai des messages à faire passer. »
Entre violence, identité et environnement
Parfois totems, taura3, parfois symbolique, les animaux présents sur ses toiles, nourrissent le message et complètent l’intimité du portrait.
« Il y a une grande histoire de reconnexion avec la nature, la culture et les traditions. »
« Pour moi, mes tableaux ne racontent que des belles histoires. Je comprends que certaines problématiques peuvent heurter. Mais c’est ça aussi, l’art. J’aime susciter des émotions. Je ne le fais pas pour que cela plaise. »
Alors Océane recueille et peint les paradoxes qui subliment notre territoire.
« Cette beauté de notre terre, de notre mer, la bonté des gens, mais derrière, il y a l’envers du décor dont on ne parle pas. Les violences intra-familiales mais aussi tout ce qui est lié à l’environnement et à la crise identitaire de nos jeunes et de nos moins jeunes. »
« Si on est mieux dans notre tête, peut-être qu’on peut être mieux pour le monde. »
Pour la psychologue, la violence conjugale ou intra-familiale est souvent perpétuée lorsque les mots ne viennent pas, lorsque tu n’as pas eu le droit d’avoir les mots ou que l’on ne t’as pas appris les mots. Ici, l’impossibilité de discuter engendre la violence.
« La violence devient un moyen de communication, parfois pour exprimer un mal-être, une souffrance ou ses émotions. »
Si elle peut s’adresser à toutes les femmes de Polynésie :
« Pour une bataille personnelle, un petit pea pea3 ou au contraire un cancer, une grande bataille, quelque chose d’énorme à vivre, positif comme négatif, il faut croire en soi d’abord. On est seul mais accompagnée. »
En ce qui concerne les projets futurs de l’artiste et de la psychologue, il faut s’attendre à « tous et à rien ». Elle nous donne des pistes quand elle nous dit qu’en mars prochain, elle travaillera sur les violences intra-familiales au lycée Diadème avec d’autres artistes locaux. Le 28 octobre, Océane réalisera une peinture en live dans les jardins de Paofai de 08h30 à 16h30 pour la ligue contre le cancer. La toile sera remise à la ligue à la fin de la journée.
Extrait d’un des textes présenté lors de sa première exposition :
« Je ne pourrai jamais oublier le jour où j’ai levé la main sur ma femme. J’ai conscience que rien n’excuse ma violence et mon geste. Ce jour-là, une grande dispute a éclaté. Mon jeune fils était présent. Le coup est parti, j’ai frappé ma femme devant lui. Mon fils s’est tout de suite interposé. Il m’a supplié d’arrêter. J’ai eu comme un flash à ce moment-là. Je me suis vu à sa place, au même âge. Mon père frappait souvent ma mère et je m’interposais. Je lui hurlais d’arrêter. Je me souviens de la peur et de la haine que j’avais contre lui. Finalement je suis devenu tout ce que je ne voulais pas devenir. Depuis ce jour, j’ai décidé que j’allais changer ma vie et celle de mon fils. Je veux lui montrer l’exemple et casser les chaines que notre famille se transmet de génération en génération. Ce n’est pas une fatalité, nous pouvons sortir de la violence. »
1 L’adjectif faʼaʼamu désigne les personnes et les pratiques autour du faʼaʼamuraʼa, les pratiques traditionnelles d’adoption ouverte, de confiage et de don d’enfant en Polynésie française, extrêmement répandues.
2 Une thérapie qui utilise la stimulation sensorielle bi-alternée (droite-gauche) en se pratiquant par les mouvements des yeux. Elle a pour objectif de guérir les traumatismes psychiques et les problèmes névrotiques.
3 Les tâura sont des animaux, végétaux et minéraux qui sont « alliés » avec des êtres humains, des familles, des clans.
4 Dans ce contexte : souci/problème.