Régine Henry, la soigneuse de « te ara u’i », la tortue de Papearii
C’est un portrait un peu particulier que nous vous présentons aujourd’hui. Celui d’une femme modeste et admirable qui ne voulait pas que l’on fasse son portrait, qui ne veut pas être mise en vedette. Pourtant, son dévouement exemplaire et passionné au service de la célèbre tortue des jardins de Papeari, véritable patrimoine naturel local, devait être mis en lumière. Et finalement, Régine Henry s’est confiée à Femmes de Polynésie.
UNE VAHINE, ORIGINAIRE D’ALSACE, AMOUREUSE DES ANIMAUX
Originaire d’Alsace, Régine est sensible à la cause animale depuis toujours. C’est une raison familiale qui la pousse à venir en Polynésie il y a dix ans. Elle travaille pour une société de communication et fait des animations commerciales dans des magasins et supermarchés, pour promouvoir certains produits.
Parallèlement, elle confectionne des bonnets colorés, dont les jeunes sont friands, et crée pour cela sa marque et son entreprise baptisée « Max et Enzo » du nom de ses deux petits-fils, Maxence et Enzo Ariihau, dont le logo est composé, signe du destin… de deux tortues !
Elle entend justement rapidement parler des deux tortues du jardin botanique de Papeari auxquelles elle rend visite régulièrement. Sur une initiative personnelle et bénévole, elle prend très vite l’habitude de venir les voir deux fois par semaine pour leur amener de la nourriture.
« J’ai été très impressionnée par ces deux animaux majestueux, et j’en suis tombée immédiatement amoureuse. »
Et donc Régine apporte régulièrement des fruits et des légumes variés, et se prend d’une énorme affection pour ces deux merveilles de la nature, qu’elle traite exactement comme un petit chien, en leur parlant de manière familière, même si les tortues ne manifestent qu’une réactivité évidemment très lente. Cela peut surprendre à première vue, mais on est très vite convaincu de sa sincérité et de l’affection qu’elle porte à cette créature exceptionnelle.
« En 2015, on me remarque, et je signe une convention pour m’occuper d’elles. »
Son dévouement et sa passion commencent à sa savoir, et la direction de l’environnement lui propose une convention en 2015, pour cadrer son rôle et formaliser ses interventions. Elle devient donc en quelque sorte la nounou de ces deux ancêtres.
Une guide passionnée et généreuse
Si Régine ne se confie pas sur sa vie personnelle, par timidité et modestie, en revanche elle ne cesse de mettre en vedette le couple de tortues. Il faut la voir aborder les touristes, aller au-devant d’eux pour partager ses anecdotes, confier des récits, répondre aux questions des uns et des autres, inviter les visiteurs à consulter la page Facebook qu’elle a créée : « nos deux tortues et Maxenzo ».
Car ces animaux ont une Histoire (avec un grand H) totalement fabuleuse derrière laquelle Régine s’efface…
Tout commence au siècle dernier, en 1928 précisément, lorsque le gouverneur de Pennsylvanie, Gifford Pinchot, arrive à Tahiti au terme d’une expédition zoologique maritime. Pinchot avait, à bord de son bateau, deux tortues centenaires, dont il fit cadeau à l’un de ses compatriotes au nom célèbre : Charles Nordhoff, l’écrivain co-auteur avec James Norman Hall des « révoltés du Bounty ».
Mais Nordhoff quitte Tahiti à la fin des années trente, et lègue les deux tortues au Musée de Tahiti, situé à l’emplacement de l’ancien hôpital Mamao. Un musée qui déménagera (avec les tortues) vers Papeari, à la construction de l’hôpital, dans les années soixante.
« Elles vécurent heureuses mais n’ont pas eu de bébés tortues… »
Une tortue mâle et une tortue femelle, qui, étant de deux espèces différentes ne pouvaient pas se reproduire malgré leurs tendres rapprochements. Régine continue son récit et rappelle que depuis dix ans, une école locale leur avait donné des noms tahitiens : « te ara ta’u » (le veilleur du temps) pour le mâle et « te ara u’i » (le veilleur des générations) pour la femelle. Celle qui est devenue leur gardienne et leur « nounou » se plait à répéter aux visiteurs que « te ara u’i » a aujourd’hui 190 ans ! Cette longévité qui fait réfléchir quand on est face à elle, qui fait relativiser quand on imagine qu’elle a traversé les générations, et qui nous survivra sans doute.
LE DRAME : LA MORT DE « TE ARA TA’U »
Mais Régine reste inconsolable lorsqu’elle évoque la mort, début 2018, de la tortue mâle, « te ara ta’u ».
Elle est enterrée juste à côté de l’enclos où se trouve sa copine solitaire. C’est ainsi qu’aujourd’hui, il ne reste qu’une tortue visible par les visiteurs, et Régine la bichonne en redoublant d’amour, de dévouement et de passion.
« Je récupère des fruits et légumes invendus pour la nourrir. »
Régine continue de travailler pour des animations commerciales sur Taravao mais le jardin botanique est devenu une destination quasi quotidienne, et, depuis que son action est cadrée dans une convention avec le territoire, elle ne compte plus les heures auprès de « te ara u’i ». Elle prend l’habitude de récupérer des fruits et légumes invendus d’une grande surface de Taravao, et fait la même chose auprès de Kalani Texeira (ex ministre de l’agriculture) qui lui laisse gracieusement et régulièrement un stock de produits ne pouvant être vendus. La nourriture de cette tortue de 190 ans se compose donc essentiellement de bananes, de pommes, de manques, de noni, ou de feuilles d’hibiscus. Et « te ara u’i » semble attendre impatiemment son ma’a quotidien.
Régine connait par cœur ses réactions, elle interprète le moindre de ses grognements et nous prévient « vous allez voir, elle va bouger, elle va se dresser sur ses pattes » lorsqu’elle prend le soin d’arroser délicatement sa carapace.
QUEL AVENIR POUR UNE TORTUE DES GALAPAGOS DE 190 ANS ?
Evidemment, Régine pense à l’avenir de sa protégée. D’autant qu’une tortue de ce type peut encore vivre cent ans, et même se reproduire. Mais la solitude pèse sur la carapace de « te ara u’i », surtout depuis la mort de son compagnon.
Le grand projet désormais est donc de trouver une nouvelle tortue pour accompagner la survivante solitaire, si possible de la même espèce, condition nécessaire pour une éventuelle reproduction, et des pistes sont actuellement en cours. Régine a pris l’initiative de se déplacer, à ses frais, au mois de juin, à l’île de la Réunion après avoir cherché des contacts sur internet, ainsi qu’à Madagascar. Elle avait trop mal au cœur et beaucoup de chagrin quant à la manière brutale après quoi « te ara u’i » s’était retrouvée seule.
Régine espère que les autorités locales iront jusqu’au bout de ce projet, dans l’intérêt du patrimoine naturel polynésien, et pour sensibiliser le public et les scolaires à la protection des animaux, à l’Histoire de la Polynésie, et à l’environnement. Elle rêve que le ministre valide rapidement cette initiative et serait très fière que le jardin de Papeari retrouve enfin deux tortues.
Elle repart en voyage au mois de janvier pour ce projet. L’enclos actuel doit également être agrandi, et incluera la sépulture de « te ara ta’u », ainsi qu’un espace dédié aux fleurs. Si vous n’avez jamais été au jardin botanique de Papeari, il faut absolument vous y rendre pour découvrir ces lieux apaisants et merveilleux, sans oublier une visite à la tortue et rencontrer Régine qui va vous séduire immédiatement par sa gentillesse, son savoir et sa générosité.
Plus d’informations
Sur la page Facebook Nos deux tortues et Maxenzo
Laurent Lachiver
Rédacteur web
© Photo de couverture : Hélène Leroyer-Goulet
© Photos : Régine Henry, Tahiti Héritage, Mairie de Teva i Uta, Musée Gauguin