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    Portrait

    Maheata, "les produits du terroir m’ont transformé !"

    Publié le 29 janvier 2019

    Depuis « Les bons p’tits plats de Maheata » sur Radio 1 à l’émission « Le Meilleur Pâtissier », le moins que l’on puisse dire c’est que la cuisine réussit à Maheata ! Une recette à succès qui tranche avec sa vie. Battue, violée et finalement survivante, Maheata a souhaité briser la loi du silence avec ce témoignage poignant qu’elle a accordé à Femmes de Polynésie

    BATTUE ET VIOLÉE

    A peine née, Maheata quitte Papeete pour un archipel plus au Sud : Les australes. Là-bas il est une tradition bien ancrée qui veut que l’ainé des petits enfants soit confié aux grands-parents pendant ses dix premières années. Maheata ne déroge pas à la règle, elle sera nourrie à la culture de Raivavae. Une enfance paisible partagée entre grands-parents affectueux et amis joueurs. Et quand le cycle de la scolarité vient bouleverser la vie paisible de Maheata, ses grands parents ne peuvent se résoudre à la voir partir du cocon.

    « Et pourtant ma grand-mère me disait toujours « Maheata ta destinée est de faire de grandes choses. »

    Se doutait-elle du parcours qu’elle aurait à faire pour y parvenir ? Nul ne le sait. Toujours est-il qu’une fois le retour programmé, celle qui enfant avait été élevée selon les principes de l’amour et la liberté va basculer dans un univers parelle. Un univers où sa mère n’était pas comme les autres. Professeure à Pomare le jour, elle devenait une femme violente le soir venu chez elle à Hotuarea.

    « Nous habitions dans un fare en bois et ma mère me battait 3 à 4 fois par semaine. Les gens ne racontent pas forcément qu’ils ont été battus dans leur adolescence, mais moi je connais pleins de gens qui ont été frappé par leur parents pour rien. »

    A ce moment de la conversation, Maheata éprouve le besoin de briser la glace. Elle nous révèle qu’elle a été le souffre-douleur de sa mère durant toute son adolescence.

    « La moindre chose qui n’allait pas c’était de ma faute, je prenais des coups pour mes frères et sœurs, j’étais le bouc-émissaire. J’étais un défouloir pour ma mère et mon père nous a quitté pour former une autre famille, mais elle avait une valeur qu’elle a gardé c’est le travail.»

    On devine que les nuits à Faa’a sont terribles pour Maheata. D’autant qu’en plus d’être battue, elle est violée… à 12 ans.

    « Nous vivions derrière Cash and Carry, ce que j’ai vécu, de se faire violer et tabasser, toutes les filles de mon quartier l’ont vécu, je ne suis pas un cas isolé, sauf que moi aujourd’hui je peux en parler et j’ai une voix que peuvent porter pour toutes ces filles qui ont été violées. Jamais je n’aurais cru que mes recettes m’auraient permis d’être le portevoix de filles massacrées. T’es obligée de vivre des choses comme ça pour ensuite donner du bonheur aux gens ! »

    Sa grand-mère a été à ce moment clé de sa vie le pilier sur lequel elle pouvait se reposer.

    « Parce que tous les jours j’ai en mémoire le combat qu’elle a mené pour que j’ai une vie stable et sereine. Elle a payé toutes nos factures, les frais scolaires et mes études. Je me dis que si elle a réussi dans un moment de sa vie un peu compliqué, pourquoi pas moi qui ai tout reçu de sa part jusqu’à faire des études, je ne pouvais pas être autrement qu’au top niveau ! »

    INDÉPENDANCE

    Sans ce soutien Maheata pense qu’elle serait devenue quelqu’un « de méchant ».  Elle est tout à fait l’opposé. La plus grande leçon qu’elle a retenu de sa grand-mère est qu’elle grandisse en s’assumant toute seule. Elle a quitté la maison à 18 ans, commencé à travailler très rapidement et à gagner sa vie.

    « Mon premier job ? j’ai travaillé 3 ans à l’hôtel le Méridien. J’ai fait une formation d’éclairagiste, donc je sais ce que s’est que d’éclairer une scène pour des événements. »

    En véritable manutentionnaire, elle portait les câbles, réglait les lumières et éclairait les danseuses de ori Tahiti tous les week-ends pendant les buffets. A l’hôtel elle entend dire que Radio 1 cherchait un chargé de production, elle a candidaté et a obtenu son CDI.

    « C’est comme ça que j’ai appris à faire de la Radio, à faire de la Télé, et que je suis passée à l’antenne. »

    On aurait pu croire le chapitre « vie difficile » clos, mais non ! Il y a un an, après 8 ans de vie commune, son conjoint lui annonce vouloir mettre un terme à leur relation. Elle part en lui laissant voiture et appartement. De zéro elle gravit un à un l’échelon de sa vie et voit finalement cette séparation comme un signe, un moyen de s’affirmer, de montrer la femme forte qu’elle est, cette femme finalement que sa grand-mère lui a toujours dit qu’elle allait devenir.

    « J’ai tout quitté, je suis partie de Radio 1 et pendant un an j’ai fait ma vie avec ce qu’elle comporte depuis c’est-à-dire ma participation à l’émission « le Meilleur Pâtissier », un nouveau compagnon qui m’épaule et m’apporte cet équilibre que j’ai perdu avec la disparition de mes parents et grands-parents. »

    Six mois plus tard elle passe un concours, les 4D, D pour diamants, adressé aux femmes entrepreneuse qui se lançaient dans un projet.  Elle le remporte et dans la salle où se passait la remise des prix il n’y avait devant elle aucun homme. Et on lui demande « raconte nous qui tu es ? »

    « C’est à partir de ce moment là que j’ai tout raconté alors que je ne l’avais jamais fait avant. Je me suis rendu compte que beaucoup de gens me suivaient sur internet, 20 000 followers, et je reçois depuis très longtemps des messages de femmes me disant « mais tu es tellement courageuse, forte et motivante » je voulais qu’elles sachent d’où je tenais cette force. Tu ne deviens pas forte comme ça, tu le deviens parce que quelqu’un t’accompagne dans tes choix. J’ai lu beaucoup de livres sur les réussites dans l’entreprenariat comme Steve JOBS, et tu es obligé de passer par des phases comme ça qui sont importantes, qui sont des combats personnels que tu dois mener seule avant de devenir quelqu’un d’important, avant d’y arriver. »

    Maheata travaille depuis d’arrache-pied pour consolider ses bases. Pas une journée ne se passe sans qu’elle ne soit active, partage et donne de l’amour. Celle qui a grandi dans une famille très pauvre a réussi à accepter sa situation et à pardonner.

    « Sur son lit de mort, la dernière phrase que ma grand-mère ait dite c’est « Tu es une femme importante, tu vas changer la vie des gens autour de toi, tu vas apporter ce que tes parents ne t’ont pas apporté ». C’est donc pour ça que je travaille beaucoup avec les écoles, je le fais bénévolement, parce que ça me fait tellement plaisir de rencontrer ces jeunes qui écoutent ce que je dis et je m’investis aussi beaucoup auprès des femmes pour témoigner. »

    NOUVEAU DEPART

    A 27 ans, Mahaeata prend la décision de ne pas attendre d’en avoir 40 ou 50 pour changer de vie. Si elle avait des choses à faire c’est maintenant à commencer par répertorier les recettes culinaires de chaque archipel.

    « J’ai grandi avec une grand-mère qui m’a transmis l’amour du bien manger et du bien manger local. Mon seul regret est de ne jamais avoir pris de note et que toute cette transmission qui s’est faite a été pour l’essentiel transmise par voie orale. Je veux constituer un recueil que mes enfants utiliseront ainsi que mes arrières petits-enfants…»

    Réintroduire les produits locaux dans l’assiette de nos concitoyens devient sa priorité. Une évidence suite à un constat établi lors d’une rencontre scolaire.

    « Il y a trois ans lorsque je me suis rendue dans ma première école à Faa’a, j’avais découpé de la papaye et de la mangue puis j’ai demandé à un enfant de me dire ce que c’était. Il n’a pas su me répondre ! »

    Maheata s’est donc rendue auprès des maraichers et se rend compte que le patrimoine culinaire de notre pays n’existe pas. Pourtant elle est persuadée qu’une centaine de recettes l’attendent quelque part.

    « J’ai envie de mettre en avant tous ces producteurs locaux que l’on ne voit jamais, pour les valoriser et ainsi valoriser nos produits du terroir. On ne leur donne pas la chance de les réunir dans des festivals que l’on pourrait organiser ici localement en invitant d’autres personnes à y participer afin qu’ils nous ramènent des techniques qui nous viennent du monde entier. Comme la technique de faire pousser des plantes dans l’eau, une idée qui il y a trois ans n’existait pas encore ici. »

    Et comme pour montrer l’exemple elle entreprend de réintroduire à hauteur de 30% des produits locaux dans son assiette. Les résultats sont spectaculaires en six mois elle perd jusqu’à 30 kilos. Maheata est de nature optimiste, elle est convaincue qu’un jour la cuisine polynésienne pourra « polynéiser » la cuisine d’ailleurs.

    « Ce serait mon rêve, je commence à le toucher du doigt. Grâce à ma participation à l’émission de « Le meilleur pâtissier » j’ai noué des contacts en France et j’aimerais faire venir certains chefs en Polynésie pour qu’ils puissent repartir dans leurs bagages avec un peu de notre façon de cuisiner. Est-ce qu’un jour quelqu’un va proposer quelque chose de chez nous à New york ? Je l’espère en tout cas ! »

    Dernier challenge en date : réaliser dix recettes pour une marque de mayonnaise bien connue des polynésiens. Niveau de difficulté : maximum et quand le réseau social s’en mêle en décriant la démarche on doit avoir les reins bien solides pour encaisser la virulence des commentaires.

    « J’ai eu droit à « mes pourquoi tu utilises ce produit là il est gras ». Les personnes chargées de la communication pour cette entité sont venues me voir en me disant que la filiale Bio allait être développée et c’est donc la mayonnaise issue de circuit répondant aux normes environnementales que j’ai utilisé. »

    L’idée est de changer les recettes, de donner aux gens une mayonnaise plus saine, bonne pour la santé et moins couteuse.

    « Je suis allé à Carrefour observer les habitudes alimentaires des tahitiens et tous les jours à 17 heures le rayon mayonnaise était toujours vide. Donc ça veut dire que les tahitiens adorent la mayonnaise et la consomment à toutes les sauces et sous toutes formes d’accompagnement : une cuillère à soupe dans le poisson cru chinois, dans les petits pois, les lentilles, bref le tahitien en mange à chaque repas »

    Allait-elle laisser les tahitiens consommer la mayonnaise de cette façon ou allait-elle proposer une alternative en leur proposant autre chose sans leur enlever leur pot de mayonnaise ?

    « Quand j’ai lancé « les bons p’tits plats » je me suis dit « qu’est-ce qu’ils ont les gens à la maison ? Dans le frigo de quelqu’un vous voyez comment il se nourrit : pâtes, légumes secs, frites, poulet en vrac, viande en vrac dans le congélateur. Lorsque l’on a connu que ça, ne venez pas me parler de quinoa ou de lentilles roses ! Ce n’est pas la mayonnaise qui est grasse, c’est la manière dont on la consomme qui fait qu’elle est grasse pour notre organisme. Je suis certaine que si l’on propose des recettes saines à toutes ces personnes et bien on aura tout gagné ! »

    Maheata a remporté une victoire bien plus grande que ce qu’elle a vécu jusqu’ici : l’estime de soi. A ses fans et notre lectorat elle adresse ce message plein de « bon sens » pour dit-elle « être une voix de la culture culinaire polynésienne ».

    « Mangez local, mangez ce que vous aimez, prenez le temps de cuisiner même si ce n’est que quinze minutes, prenez ce temps pour vous faire plaisir, je suis en train d’écrire un livre avec des recettes spéciale quinze minutes, je n’ai aucun doute sur son succès ici, cuisinez et passez du temps en famille, continuez à soutenir des enfants comme moi pour qu’eux-mêmes puissent un jour changer la vie des gens après. On peut briller autrement que par la danse avec notre culture ! »

    Jeanne Phanariotis
    Rédactrice web

    © Photos : Maheata Banner

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