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Culture

Ludmilla Tapea Chin Meun : une grande dame de la langue tahitienne

Publié le 28 juin 2023
Enseignante passionnée, Ludmilla Tapea Chin Meun a consacré sa vie au reo tahiti, publiant des livres et inventant des jeux de société. À 63 ans, elle vient d’être nommée simultanément à l’Académie tahitienne et au ministère de la Culture. Retour sur le parcours infaillible d’une Femme de Polynésie.
Son élan pour la langue tahitienne date-t-il de son enfance ?

« Pas du tout ! À la maison, on ne parlait que français pour éviter d’être puni à l’école puisqu’il était interdit de parler local en classe. Mon père était gendarme, le seul Tahitien parmi les farāni ; c’est à la sortie de la brigade que j’ai appris le tahitien avec les copains. »

Le déclic survient en intégrant l’École Normale de Pirae en 1978 ; là, profitant de cours dispensés exclusivement pour les Normaliens et alors que l’Académie tahitienne venait d’éclore, elle ressent le besoin d’apprendre mieux la langue de son pays.
Nommée conseillère technique au ministère de la Culture, Ludmilla Tapea Chin Meun traduit en tahitien tous les courriers qui y sont produits.

40 ans d'enseignement

Ludmilla fait carrière comme professeur de français et de tahitien à Tahiti et aux Raromata’i, de la primaire à l’université. Sa retraite précoce à 51 ans ne sape en rien sa vocation. Elle continue de transmettre bénévolement dans nombre d’établissements scolaires. L’effet sur les enfants ainsi que sur les jeunes des CJA (1) est bluffant.

« En les invitant à parler tahitien à l’école, où ils ne parlent généralement que français, les enfants ont été comme libérés. Ils se sont mis à progresser dans toutes les matières, même en français ! Au niveau du comportement, ils ont aussi changé ; ils semblaient plus à l’aise, plus posés, venaient davantage vers les adultes, parlaient de tout. »

Aujourd’hui, Ludmilla adresse chaque jour un message en tahitien à ses propres enfants.
Elle rattrape, en quelque sorte, le temps perdu, car elle ne leur a pas parlé tahitien dans leur enfance.

« Cela m’était impossible ! Mon éducation à la française m’a bloquée. Mon mari pareil, je lui disais « parle chinois à tes enfants » mais il ne l’a pas fait. Par contre, avec mes petits-enfants, rien ne me retient ! Aujourd’hui, dès que je vois un enfant, je lui parle tahitien, je lui dis « Ia ora na », je lui raconte ma vie, je lui fais des câlins ! Automatiquement, avec tous les enfants que je rencontre, parce que c’est ma langue du cœur maintenant. »

Apprendre en s'amusant

Innovante et motivée, Ludmilla a conçu elle-même plusieurs jeux de plateau, au sein de l’association Tu’iteari’i, pour faciliter l’apprentissage du tahitien.

« C’est un autre moyen pour permettre au Polynésien qui ne parle pas la langue de se la réapproprier. Nous avons, par exemple, ‘A firi ta’o ana’e qui veut dire Tressons les mots, mélange de Trivial Pursuit et Scrabble, il est destiné aux familles, aux amis. Les 300 mallettes sont épuisées mais on va rééditer. L’objectif est de vendre le moins cher possible pour que ce soit accessible. »

Le portrait de Ludmilla Tapea peint par Evrard Chaussoy.

Des livres populaires sur le parler local

Avec sa collègue Christiane Mare Fougerouse, Ludmilla a publié plusieurs livres sur les expressions tahitiennes, les proverbes ou encore les moqueries et jurons (2). Un livre consacré aux jeux de ficelles devrait sortir prochainement suivi, dans la foulée, d’un autre plus général sur les jeux traditionnels : jeux de dames, de bâton, de corde, de jonglage, etc.
Amoureuses des mots, les consœurs cogitent également à un recueil d’expressions autour des îles, comme « Taha’a, l’île-vanille » par exemple, mais aussi celles moins connues comme « Raiatea fiente de poules » (!) afin d’en savourer l’origine historique.
Le départ de son mari après 40 ans de vie commune, en 2021, la laisse comme morte. Déprimée, elle traverse une année très sombre tout en sauvant les apparences avec sa gaieté habituelle. Le soutien sans relâche de sa famille et de ses amis, son implication dans le reo tahiti et sa boulimie de travail la font remonter à la surface.

« Le tahitien, c’est ma langue et ma culture, en plus de mes très proches, il me maintient en vie. »

« Oui, les académiciens ne sont pas tout jeunes ! Mais ce sont eux qui ont la sagesse et le temps de transmettre. »

Une double reconnaissance

C’est sans doute sa combativité qui, aujourd’hui, lui vaut d’avoir été nommée simultanément au ministère de la Culture et à l’Académie tahitienne !
Les deux établissements situés avenue Pouvana’a a Oopa voient donc Ludmilla partager son emploi du temps, désormais très serré, entre deux nouvelles fonctions trépidantes. L’Académie, qui a pour mission de conserver et promouvoir la langue tahitienne au travers de grammaires, de dictionnaires, d’écrits divers…, Ludmilla, la jeunette du groupe, entend bien en dépoussiérer l’image auprès du grand public.

Conseillère technique à la Culture

Quant au ministère de la Culture, piloté par Éliane Tevahitua, Ludmilla s’est retrouvée dans ses murs sans avoir rien sollicité, entourée d’anciens élèves qui considéraient que la place de leur ’orometua (prof), son surnom affectueux au ministère, était là, de toute évidence.

« Je suis responsable de la traduction en tahitien de tous les courriers. Je vais aussi visiter les services liés à la Culture, rencontrer les personnels et m’informer de leurs projets pour les aider. C’est hyper intéressant ! Je n’ai fait qu’enseigner toute ma vie, ici j’apprends beaucoup. Alors, je fonce ! »

L’enseignante collabore régulièrement avec Speak Tahiti, un centre de formation au reo tahiti. Nombre d’expressions tahitiennes peuvent d’ailleurs être écoutées en ligne.
Ce poste consacre une vie dévouée à la langue tahitienne, le suc de l’identité polynésienne d’après Ludmilla.

« Tu sais parler tahitien, tu es mā’ohi, tu ne sais pas parler tahitien, tu n’es pas mā’ohi ; tout est dans le Verbe. »

(1) Centre des Jeunes Adolescents.

(2) Nā Tātou Terā – Nos expressions tahitiennes d’hier à aujourd’hui, Association Tā’atira’a Parau, 2020.

 

Gaëlle Poyade

Rédactrice

©Photos : Gaëlle Poyade et Ludmilla Tapea Chin Meun pour Femmes de Polynésie

Yvon Bardes, directeur de publication

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