Dayna Tavaearii : le hīmene, un retour aux sources
Dans la commune de Arue, dissimulés derrière le stade où se mêlent les rires des enfants du quartier et l’écho des vagues qui se brisent sur les coques des bateaux, nous retrouvons Dayna Tavaearii. Cette femme, qui a consacré sa vie au hīmene1, se révèle à Femmes de Polynésie, au rythme des chœurs qui résonnent encore entre les murs de son école de chant traditionnel.
LA MÉLODIE DU DESTIN
Dayna Tavaearii nait dans une famille où la culture est une affaire qui se transmet de génération en génération.
« J’ai baigné dans la culture dans le ventre de ma mère, qui était une grande danseuse et chanteuse. Mon papa, lui, était auteur et compositeur. »
Très jeune, elle chante à l’église avec la communauté des protestants mā΄ohi.
« J’ai fait du gospel, du rap aussi à l’époque. Mais le chant traditionnel, c’est inné. Ça me prend aux tripes, je vis quand je chante. Quand je m’approprie les légendes d’autrefois, je me sens transportée à une autre époque. »
En 1988, à seulement 18 ans, sa paroisse lui propose de faire le ra΄atira2 au Heiva i Tahiti.
“Quand tu es jeune et que tu dois donner des directives à des personnes plus âgées que toi, c’est gênant. J’ai accepté, guidée par les gens de mon entourage qui croyaient en moi.”
À l’époque, le diacre Ariimihi, compositeur et auteur de la troupe, l’accompagne dans sa capacité à recevoir et offrir un enseignement.
« Il disait alors : « s’il y a une erreur, c’est de sa faute et la mienne». C’est une leçon très importante que j’ai appris ce jour-là. »
TRANSMETTRE ET VIVRE ENSEMBLE
D’années en années, elle se retrouve à diriger les groupes de chant de treize paroisses.
« Le travail ne change pas, mais le volume s’agrandit. »
Chaque année, elle participe au Heiva et se retrouve sur le podium, remportant le 1er prix en Tārava Tahit3, hīmene rū’au4 et hīmene Tumu5 en 2008. Depuis, elle a été quatre fois membre du jury du Heiva. Cette année, elle en est la vice-présidente, la deuxième fois depuis 2022.
« Je ne suis pas quelqu’un qui apprécie beaucoup la compétition. Apprendre, transmettre, vivre ensemble cette culture magnifique, c’est ça mon prix. »
Non seulement Dayna orchestre les groupes, mais elle est très vite amenée à composer les chants qui seront interprétés sur la scène mythique de To΄ata.
« Mon point fort, c’est de composer. Je me nourris de l’écrit. La mélodie chante dans ma tête quand je lis les paroles qu’on me donne. Tout ça, c’est grâce à mes parents et ce qu’ils m’ont transmis. »
Sa renommée attise parfois les jalousies, et son parcours n’est pas sans encombre.
« Par amour du chant traditionnel, je n’ai jamais reculé. Ces gens qui se moquent ne comprennent pas que les chants leur appartiennent à eux aussi. »
Quand la haine croise son chemin, Dayna lui répond toujours avec amour.
UNE VIE D’APPRENTISSAGES
En 2018, son ami Steeve Reea lui propose de rejoindre la Tahiti Choir School pour donner des cours de hīmene. Cinq ans après, elle crée sa propre école de chant traditionnel à Arue qu’elle baptise Pū Taru’u6.
« Il y a encore des pièces du puzzle qui me manquent. J’ai toujours soif d’apprendre. C’est mon école qui me forme. »
La professeure accueille ses nouveaux élèves avec bienveillance.
« Un enfant, un jeune, une personne qui pense ne pas savoir chanter et qui rentre chez lui en s’en sentant capable, c’est mon plus grand challenge. Tu sais chanter « Joyeux anniversaire », alors tu sais chanter. »
De sa voix harmonieuse, elle nous rappelle les différentes dimensions de cet art ancestral.
« Il y a lire, comprendre, chanter et vivre. »
Déconstruisant les idées reçues sur cette pratique culturelle, la musicienne née soutient l’idée que le chant traditionnel est à portée de tous.
« Ce n’est pas que pour les vieux, le hīmene c’est pour tout le monde. Le chant traditionnel, ça représente la vie, le retour aux sources. C’est une chose que l’on met de côté, et voir qu’on lui redonne de l’importance, ça me remplit de joie. »
Enfin, la cheffe de la troupe Taru’u conclut par des mots qui résument l’œuvre de sa vie :
« A here tā ‘oe hīmene. Il faut aimer son chant, persévérer et transmettre à nos enfants. Il ne faut pas que cette corde soit coupée, il faut qu’elle perdure des siècles et des siècles durant. »
Cette rencontre forte en enrichissements nous amène à nous questionner sur l’importance que l’on donne à nos valeurs anciennes et sur la nécessité de les garder bien vivantes et prospères.
1 Chant, cantique, cantilène. Mot tahitien emprunté à l’anglais “hymne”.
2 Chef d’orchestre pour les groupes de chant traditionnel
3 Type de chant traditionnel en polyphonie, le tārava tahiti est spécifique à l’île de Tahiti
4 Chant traditionnel performé par les doyens d’une troupe
5 : Chant polyphonique traditionnel
6 : Contraction de Ta : Tārava (variété de chant traditionnel), Ru > Rūàu (ancien, avancé en âge), ‘U > ‘Ūtē (l’une des formes traditionnelles du chant).
Rédacteur
©Photos : Cartouche pour Femmes de Polynésie
Directeur des Publications : Yvon BARDES