Tuiana Brodien, la danse lui a sauvé la vie
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C’est une princesse du ‘ori Tahiti dont nous vous parlons aujourd’hui. Une jeune fille de la presqu’île qui manquait de confiance en elle et qui se retrouve meilleure danseuse du Heiva et à la tête d’une école de danse renommée. Tuiana BRODIEN s’est confiée à Femmes de Polynésie
PREMIERS PAS AU CONSERVATOIRE DE POLYNESIE FRANCAISE
Petite dernière d’une famille de la presqu’île, la jeune Tuiana était un garçon manqué. Ses jouets préférés c’était de faire des cabanes dans la nature, cette nature de Tahiti Iti sans les clôtures d’aujourd’hui. Elle voulait en profiter aussi souvent que possible au point d’aller faire une petite promenade en pirogue le matin avant l’école pour observer les canards sauvages.
« La culture polynésienne a toujours été importante dans notre famille »
Ses parents voulant que leurs enfants soient imprégnés de culture locale, voilà que Tuaina est inscrite toute petite dans un cours de ‘ori Tahiti. Cela permettait à cette gamine de faire comme ses grandes sœurs. Au départ, Tuiana se souvient que c’était une contrainte, un calvaire. Il n’y avait pas eu de déclic, mais ça lui permettait de faire une activité extra-scolaire avec ses petites copines.
« C’est décidé : je veux ressembler aux danseuses du clip ! »
Malgré cette volonté farouche de ressembler à ces jolies vahine gracieuses, la petite Tuiana souffre encore de cette image de garçon manqué mais aussi de cette peau trop « blanche ». Un malaise qui la poursuivra.
SES RENCONTRES MARQUANTES
Malgré tout, son envie d’évoluer est plus forte elle décide d’intégrer l’école de danse de Moeata Laughlin à la presqu’île, dont elle apprécie l’ambiance qui ne ressemble pas à une école stricte. Elle commence à aimer la scène et le public, à se sentir plus à l’aise. Elle sent l’adrénaline quand elle doit danser en public et elle aime ça.
« La rencontre avec Tumata Robinson a été décisive »
Elle a 13 ans quand elle rencontre la chef de la troupe Tahiti Ora : Tumata Robinson, pointure du ‘ori tahiti qu’elle admire. A l’époque Tumata était un des piliers des Grands Ballets de Tahiti. Elle assiste à un premier cours, celui des « chevronées ». À ce moment, personne ne connait le niveau de Tuiana, on la laisse assister au cours en l’invitant quand même à venir à celui des débutantes.
À sa grande surprise, Tumata lui dira à la fin du cours, de rester chez les « chevronées ». Tuiana se rappelle encore d’entendre Vaheana et Tumata la comparer à Moena, qui à l’époque (en 2003) n’avait certes pas encore eu le titre de meilleure danseuse, mais qui était déjà bien connue dans le monde de la danse. Tuiana a du mal à y croire… en fin d’année Tuiana fera un Trio avec 2 autres de ses copines pour le gala de fin d’année. Une nouvelle aventure commence alors pour elle…
LES GRANDS BALLETS DE TAHITI, ENFIN…
Elle a presque 14 ans quand elle participe au HEIVA DU CŒUR qui se déroulait à Te Fare Tauhiti Nui, ce soir-là, l’école de danse de Moeata offre un spectacle, Tuiana savait que les Grands Ballets De Tahiti s’y produirait également. Après son spectacle, elle fonce s’asseoir dans le publique pour admirer le show des Grands Ballets de Tahiti. C’est alors qu’elle rencontre pour la toute première fois ces 2 figures iconiques des Grands Ballets de Tahiti, Teiki et Lorenzo.
Elle s’en souvient comme si c’était hier, ils s’approchent, reconnaissent son père et tout en s’adressant à elle, ils lui disent « tu dois être Tuiana, je te laisse admirer le spectacle, car un jour tu seras sûrement parmi ces artistes ».
Elle en ressort des étoiles pleins les yeux. Elle veut y croire et accepte d’assister à une de leurs répétitions. Ils faisaient passer des castings afin de garder les « meilleurs » artistes. Après sa première répétition, la jeune fille est en pleure, elle pense ne pas être à la hauteur, manifestement, elle s’était trompée.
Elle se retrouve rapidement sur la scène de l’intercontinental (tout juste 1 mois après sa toute première répétition) où elle enchaine toutes les chorégraphies du spectacle. Passer d’un spectacle d’école de danse à un show professionnel, requérant discipline, rigueur, etc… La petite Tuiana commence enfin à approcher le but qu’elle s’est fixée toute petite.
« Je me souviens d’un concours de danse au Lycée Samuel Raapoto, où des copines m’avait inscrite sans que je le sache, je suis arrivée 2ème car je n’avais pas respecté le thème qui était La Végétation, je suis arrivée cheveux lâchés avec juste mon paréo, sans rien pour orner ma tête (rires), j’imagines si j’avais respecté le thème »
L’AVENTURE ‘ORI TAHITI
Une autre aventure commence avec les tournées à l’étranger, pour son plus grand bonheur à tout juste 15 ans, Le rythme de vie de Tuiana change. Elle alterne l’école avec les répétitions en semaine et les shows en week-end, la danse prenant une place de plus en plus grande dans sa vie. Elle décrochera un Baccalauréat Economie et Social à 16 ans.
« Mes parents ne m’ont pas laissé le choix ! (rires) c’était d’abord l’école avant la danse »
« les Grands Ballets m’ont appris que la danse était une façon de vivre »
Vient le moment de l’université, Tuiana sait que la danse occupe énormément de temps dans sa vie, et elle a du mal à gérer les cours, les répétitions, les shows, les tournées, elle décide de faire son dernier spectacle « Nui, Terre des Dieux » avant d’intégrer un autre groupe de danse, moins intense dans sa vie artistique.
C’est alors qu’elle intègre Hei Tahiti où elle fera le Hura Tapairu et quelques shows sur les paquebots, et encore de belles rencontres amicales (les copines de danses). En parallèle, autre expérience pour une jeune fille tahitienne : se présenter à un concours de beauté, et, avec une copine elle tente celui de Miss Taiarapu.
C’est une de ses meilleures amies qui y participe et la convint d’y participer également. Elle le fait pour s’amuser mais aussi pour se lancer un autre type de challenge. Le soir de l’éléction, elle reçoit l’écharpe de 1ere Dauphine Miss Taiarapu, cependant le comité Miss Tahiti l’approche, c’est Loanah Baker qui voudra lui offrir cette chance de participer à Miss Tahiti. Mais la jeune Tuiana, tout juste majeure et pas du tout confiante en elle, prend peur et ne donnera pas suite malgré les sollicitations.
« Je me suis toujours sentie comme le vilain petit canard. »
On pourrait qualifier de paradoxe le fait que cette jolie polynésienne ait des doutes sur elle-même au point de se considérer comme un vilain petit canard, mais Tuiana explique que si elle adore se produire sur une scène pour danser, de devoir défiler sur une scéne en maillot avec des talons n’était pas ce qu’elle trouvait de plus gratifiant pour une femme. Cette expérience lui aura quand même apporté beaucoup de confiance en elle, un cygne en devenir…
VINGT ANS, DEVENIR MAMAN…
Grand Tournant dans la vie de Tuiana : la naissance de son fils. Vient le temps du bilan pour cette jeune maman qui vient de trouver un sens à sa vie et le moment de prendre ses responsabilités. Elle décide de se faire discrète pendant un moment pour mieux se consacrer à son rôle de maman. Mais aussi parce qu’après avoir subi une césarienne Tuiana n’arrivait plus à danser.
Elle mettra deux ans à retrouver son niveau de danse. Souvent il y aura eu des larmes mais elle a la danse dans le sang et voulait revenir vers sa passion. L’idée de travailler pour elle-même faisait son chemin, ce qui l’a conduit à ouvrir son école à la presqu’île en 2010, lui valant très vite une petite notoriété.
DEUX ANS A NOUMEA
Tuiana part en Calédonie avec sa petite famille. Chez nos voisins du Pacifique, elle découvre qu’il y a aussi là-bas un vrai amour du ‘ori tahiti. Un jour, lors d’une animation au centre-ville de Nouméa, elle fait preuve d’audace en allant spontanément proposer une démonstration de danse tahitienne en solo, suivie de l’enseignement de quelques pas de base aux spectateurs présents sur place. (avec le recul, plus jamais j’aurais le courage de refaire ça (rires).
La demande est telle que l’ouverture d’une école lui semblait évidente, ce qu’elle a fait, et ce qui la fait revivre. D’autant qu’elle monte un groupe de shows et se produit dans les hôtels ou des prestations lors de mariages. Ce n’est pas tout, Tuiana se produit également au Gibus, c’est un restaurant cabaret où elle enchaîne des shows en solo avec comme autres artistes des « transformistes ». Elle gardera de très bons souvenirs de cette expérience dans ce milieu qu’est le Cabaret.
Avant son retour au fenua elle fait un grand spectacle avec tous ses élèves de l’école de danse (une centaine). L’expérience calédonienne lui aura été profitable en lui permettant notamment d’aborder la scène autrement.
RETOUR AU FENUA
En 2013, Tuiana rentre au fenua pour retrouver sa famille. Sa presqu’île lui manque, le goût des choses simples comme une promenade en pirogue avec son fils. Il s’ensuit une période où elle travaille comme secrétaire en ville… journées très longues avec l’aller-retour quotidien depuis la presqu’île, mais ce rythme l’empêche de voir son fils grandir, le temps file trop vite…
Grosse alerte de santé en 2015 avec une péritonite foudroyante qui l’emmène aux bloc opératoire. Elle ne se remet pas bien de son opération. Plusieurs mois alités et une question la travaille : pourra-t-elle reprendre la danse ? Le chirurgien parle d’une opération ressemblant à une césarienne, encore une fois Tuiana pense au pire.
Après cette épreuve, Tuiana décide de se faire tatouer une discrète petite plume sur le poignet droit, stylisé avec des motifs locaux en hommage à son fils et à la vie. Par amitié, ses copines se feront tatouer le même symbole.
« Je dois retourner vers ma passion, ma vie : la danse ! »
Elle se remet de son opération et remet en question son avenir professionnel, soutenu par ses parents et sa petite famille, ils la poussent à revivre de sa passion pour qu’elle s’épanouisse et soit heureuse. Mais Tuiana, prise de doutes, se demande si ça va fonctionner. En 2015, il y a 4 écoles déjà installées, comment se faire une place ?
L’ouverture de son école actuelle, à Taravao, va vite lui montrer qu’il n’en est rien, et le succès revient avec rapidement plus de cent élèves. Le secret c’est d’enseigner avec conviction, sincérité, bienveillance, discipline, rigueur et surtout beaucoup d’amour. Elle refait le parquet, les miroirs, pour obtenir un espace le plus adapté possible à ses cours.
« Il fallait que je partage ma vision de la danse. »
Tuiana est à nouveau dans son élément, vivant la danse au quotidien et fidélisant ses élèves. En 2014 elle avait intégré la Troupe Tamariki Poerani de Makau Foster, avec qui elle aura énormément appris également.
MEILLEURE DANSEUSE DU HEIVA 2016
En même temps, avec la troupe Tamarii Vairao, elle se lance dans le Heiva 2016, où la chef de groupe Alex Faua lui demande de concourir au titre de meilleure danseuse.
« Je ne me sentais complètement pas du niveau, elles étaient toutes très jeune, avec une excellente technique ».
Elle se lance malgré tout sans trop y croire. La voilà à enchainer cours de danse, préparation physique, show du Marae, et le Heiva… Beaucoup de stress, pas beaucoup de repos et la blessure arrive. Elle vient de se blesser à la hanche quelques jours avant le passage sur scène. Mais elle ne laisse rien paraître.
Elle est derrière le rideau, courbée, elle a du mal à marcher et à danser, des « strap » lui maintiennent la hanche. Dans un effort surhumain, elle se redresse, et, galvanisée par le son des to’ere, se lance dans son solo brillant sur le thème de Temehara, la déesse de la mémoire, que l’on peut voir et revoir sur Youtube, qui fera d’elle la meilleure danseuse du Heiva de cette année-là.
On ne peut pas imaginer, en revoyant les images, que sa prestation était aussi une lutte contre une douleur affreuse, une lutte contre elle-même. A la fin du solo, quand le rideau se referme, elle est inconsolable, elle ne se souvient de rien, elle est épuisée. Et à la soirée de la remise des prix, c’est une surprise, elle n’en croit pas ses oreilles, elle vient de remporter ce titre tant convoité. Commence alors des workshops à l’étranger, des tournages télévisés, en plus de ses cours dans son école de danse.
« Un rêve devenu réalité »
La petite Tuiana de Mitirapa, aura finalement atteint son rêve de devenir comme ces danseuses de ce fameux clip qu’elle avait vu la toute première alors qu’elle n’avait que 7 ans. Elle aura mis 20 ans et une multitude d’aventures plus enrichissantes les unes que les autres pour finalement arriver à réaliser son rêve. Depuis, elle fait prospérer son école et son titre de meilleure danseuse est la plus belle référence possible sur son C.V. Aujourd’hui, elle vit au quotidien du ’ori Tahiti, elle enseigne sur Taravao, et dans le monde.
« La danse m’a sauvé la vie ! »
Elle jongle entre sa vie professionnelle et personnelle, beaucoup de fatigue et de pression, elle fait un « burn-out ». Elle mettra une année entière pour s’en remettre, elle ne laisse rien transparaitre et face aux épreuves de la vie, elle continue de se battre pour ce qu’elle aime et ce qui la fait vibrer du plus profond de son âme : La danse.
Aujourd’hui nous l’avons rencontré un an après et c’est une femme épanouie, heureuse, et libre qui nous parle de son art avec énormément de passion et de conviction, fière de transmettre son savoir et son expérience. Face aux épreuves de la vie, elle conclut en disant que la danse lui a sauvé la vie.
Laurent Lachiver
Rédacteur web
© Photos :
Chorégraphie sur la chanson « e hina » de Emma Terangi (c) Blackstone youtube
Backstage Ahu Tahiti photoshoot (c) Blackstone youtube
Cours de danse avec les enfants (c) Facebook Tuiana