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    Portrait

    Kehaulani Chanquy, au gré des "Heiva i Tahiti"

    Kehaulani Chanquy, au gré des « Heiva i Tahiti »

    Publié le 11 décembre 2017

    C’est sur le motu d’Arue, un jour de pluie battante que Femmes de Polynésie est allée à la rencontre de Kehaulani CHANQUY, à la tête de la troupe de danse tahitienne HITIREVA. En toute convivialité et simplicité, elle nous raconte son incroyable parcours dans le monde du Ori Tahiti.

    1997 : Mon premier Heiva

    À l’âge de 15 ans, je participe à mon premier heiva avec TOA REVA, le groupe de Manouche Lehartel. C’est un groupe particulier où la cohésion, l’esprit familial, sont importants, je me sens extrêmement bien. J’aime cette ambiance, c’est un vrai partage. Tous ceux du groupe aident. C’est vraiment une superbe expérience. Je décide l’année d’après de la renouveler et c’est trois heiva en tant que danseuse sans responsabilité particulière auxquels je participe.

    2000 : L’école de danse Ahutoru Nui

    Par la suite, à 18 ans, j’ai été approchée par un chorégraphe. Au moment où j’arrive sur le devant de la scène, il me propose une responsabilité. J’ai bien compris que je passais à une autre étape. D’élève danseuse, j’allais devenir prestataire de cours de danse, puis responsable, à la tête de l’école de danse AHUTORU NUI de la commune de Arue. C’est un groupe de filles. Je mets en scène une petite chorégraphie, m’intègre bien dans le groupe, jusqu’au jour où l’école s’ouvre sur le motu. Cette école était dédiée à quelqu’un à la base, mais au moment de l’ouverture, cette personne décide de ne plus enseigner dans cette école. On me propose ce projet, j’avais 18-19 ans. J’étais encore étudiante au Lycée, je me suis dit : pourquoi pas ? Je n’étais pas connue dans le monde de la danse, ni en tête de ligne, n’ai pas remporté de prix, alors j’y vais tranquillement.

    C1-3
    C1-1

    Les cours ont lieu les mardis et jeudis à 17h et les mercredis et vendredis après-midi. Les weekends, vendredis, samedis, dimanches, je travaille dans les restaurants familiaux. Je ne suis pas à la recherche d’argent, mais je n’aime pas rester sans activité. Rester devant la télé, ce n’est pas un rythme que j’aime. L’école de danse commence à s’agrandir. J’ai utilisé la manière du conservatoire et me suis déplacée dans les écoles d’Arue donner des cours de danse. Pendant 6 ans, pour donner l’envie aux enfants de la côte-est de goûter un peu au Ori Tahiti. Au fur et à mesure ça porte ses fruits, les enfants rentrent chez eux et disent à leurs parents qu’ils veulent danser avec Kehau.

    2006 : LE GROUPE DE DANSE HITIREVA

    Hitireva est née d’une volonté de vouloir enseigner plus que les bases, qu’il y ait un côté plus traditionnel. J’ai envie de pouvoir évoluer. Pas évoluer dans le sens moderne de la danse, mais avoir ma propre interprétation tout en s’enrichissant des traditions. Avec un groupe de deux amis, on a eu envie de s’exprimer sur la musique, l’interprétation de la danse, les costumes. On veut être le cerveau du groupe, imposer nos idées. On s’est plus préparés pour le Hura Tapairu en 2006. Le fait d’affronter des jeunes enfants, avec leurs parents, d’avoir un rythme de travail, de préparer des costumes, gérer mon organisation familiale pendant six ans, fait que je gagne en confiance.

    Ce premier Hura Tapairu est un grand fiasco, nous ne sommes pas sélectionnés, ce que l’on avait fait n’avait ni queue, ni tête. Il y a dans ma danse quelque chose de pas cohérent. Je l’avoue car on a des juges experts qui sont chefs de groupe avec une thématique dans leur spectacle qui est cohérente. Mais je me décide quand même en 2007 de faire le heiva. Je n’étais peut-être pas claire et précise sur mon thème et sur mon spectacle mais ça a beaucoup plu à certaines personnes qui ont décidé de me suivre. Je suis soutenue par pas mal de personnes qui me poussent, alors on y va.

    2007 : Premier Heiva de HITIREVA

    Ce premier Heiva ? Catastrophique (sourire) ! C’est une autre gestion, bien différente de la petite formation du Hura Tapairu avec seulement vingt danseurs. Le malheur s’acharne sur moi car cette année, ils décident de ne pas faire de catégorie amateur et professionnelle. Tous les groupes étaient confondus, que tu sois novice ou professionnel. Je vais concourir contre des groupes professionnels. Je me remets beaucoup en question. J’ai l’impression que l’on s’acharne sur moi, mais on ne peut plus faire marche arrière. On a déjà démarré et ils décident de nous faire ça à deux mois du concours.  On s’est dit qu’on allait faire de notre mieux et on a atterrit à la quatrième place du concours. Je n’étais pas complètement déçue. Il y a eu beaucoup de critiques, très constructives pour moi sur le spectacle avec les enchaînements de tableaux et les costumes. Je décide de revenir en 2009. Il m’a fallu accepter la quantité de travail, mais l’envie est la plus forte. Des fois, quand on est jeune, on se pose des questions idiotes. Je n’ai pas vraiment de personne pour me soutenir culturellement. La collaboration est difficile avec mon auteure. Je pense que je n’avais pas la capacité d’être à la hauteur de ses idées en 2007.

    2009 : 2ème Heiva de HITIREVA – Victoire dans la catégorie Amateurs

    J’ai mis deux ans pour m’en remettre. Je me laisse embobiner par les paroles de mon entourage qui veut danser. J’ai eu l’occasion de travailler avec Jacky Bryant quand j’étais avec AHOTORU NUI. Donc je vais le voir, un peu culottée. Je lui dis que j’ai un groupe de danse, que je cherche un auteur qui pourrait écrire pour moi. La fusion est incroyable, et jusqu’à aujourd’hui encore. Son objectif, il veut nous pousser à gagner en catégorie pro. Cela ne reste pas sur l’écriture, il y a un réel partage. Une envie de parler de choses qui lui tiennent à cœur à travers la danse. La danse peut rassembler 250 personnes qui, lors d’un heiva se ré-enrichissent en langue, en culture, en connaissances. Il sait que c’est un moyen de communiquer et de toucher un maximum de personnes. Jacky nous accompagne sans être imposant. C’est grâce à lui que j’ai pu évoluer au niveau artistique. Donc en 2009, les catégories pro et amateurs ont été remises. Hitireva gagne sur le thème de la vallée « TE FAA ». J’ai des tableaux qui me viennent en tête quand je lis le texte. J’invite souvent Jacky à venir aux répétitions. Quand il y a des choses qui ne collent pas, qui n’ont pas de sens, il me le fait remarquer : « tu vois à l’entrée, on entend les oiseaux, le bruit de la cascade… ». On gagne en 2009 !!! C’est pour cela que je m’accroche à Jacky, il m’apprend beaucoup de choses. Il écrit toujours des thèmes abstraits. Nous passons de la catégorie Amateurs à la catégorie Professionnelle grâce à cette victoire.

    2010 : 3ème Heiva de HITIREVA

    Je me prends une bonne claque car je suis toute seule dans ma catégorie, il n’y a pas de concurrent. À la base, il y avait treize challengers qui se sont désistés. On fait le spectacle pour motiver tout le monde. Le thème de Jacky est : les nuits avec les constellations, des repères pour les polynésiens, « E AO TE PO », le monde de la nuit. Nuits pour la pêche, nuits pour les esprits, nuits pour se couper les cheveux, nuits avec la lune qui a son importance. C’est un thème très enrichissant. Mais c’est important de venir avec un spectacle toujours neuf. Je me rends compte qu’il me fallait un temps de pause pour pouvoir m’inspirer. En 2010, pas un chat.

    2012 : 4ème Heiva de HITIREVA

    La vraie compétition commence. Jacky écrit sur les couleurs dans le temps : TE U A TAU. Toutes les couleurs qui nous entourent ont une énergie particulière. C’est un thème abstrait qui me demande Bac+7 parfois (sourire). On est dans la catégorie « Professionnels » avec des concurrents, des groupes très connus. Avec l’expérience passée, on a fait beaucoup de progrès côté organisationnel. Côté artistique aussi, plus d’améliorations dans là où j’avais des lacunes. On arrive à la seconde place, c’était énorme.

    2014 : 5ème Heiva de HITIREVA

    C’est le thème du « MOTU », la naissance des îles que Jacky propose. Il affirme que le peuple polynésien n’est pas un peuple qui a dérivé, que les Dieux ont hissé la Terre des profondeurs des océans. Notre Terre est un cadeau, la plante qui pousse, l’eau qui coule, la mer qui nous entoure est un cadeau. C’est un hommage à nos îles. On est arrivés troisième. Je sais là où j’ai pêché. Je ne suis pas un chef de troupe qui râle. Le spectacle peut être beau et après ça va se jouer sur le ressenti. Il faut vraiment toucher l’excellence et être vraiment rigoureuse. Tahiti ora a remporté le premier prix cette année-là. Il y a trois formations très différentes :

    • Tahiti Ora, formation très carrée, véritable show dynamique, au niveau des déplacements, de la synchronisation, et beaucoup de tenues.
    • Pupu Tuhaa Pae, groupe plus traditionnel, authentique.
    • Hitireva, assez moderne dans les costumes.

    Il faut que je remette le couvert. Je sens que je peux l’avoir cette année mais mes concurrentes sont meilleures que moi sur quelque chose que je n’ai pas.

    2016 : 6ème Heiva de HITIREVA – La consécration : victoire dans la catégorie Professionnels

    Je procède autrement. La pression ! Il y avait douze groupes de danse. C’est cette pression qui m’a poussé à me dépasser. Je connais les capacités de certains groupes dans la création chorégraphique. Certains ont la capacité d’émouvoir le jury, de faire qu’il soit transpercé par la joie, de lui donner la chair de poule. Le heiva précédent était une année très dynamique, mais on a manqué d’émotion, de sensualité, de synchronisation. J’essaye de corriger mes défauts, j’ai confiance en mon spectacle. 

    J’ai une équipe de danseurs/musiciens très solidaire. J’ai l’impression de retrouver mon premier heiva avec Toareva au niveau de la complicité. Je m’y mets à fond. L’effectif de mes danseurs a triplé depuis le début. Il y a des adeptes, des gens qui aiment, des fans d’Hitireva (sourire). Deux cent cinquante hommes et femmes réunis, figurants, chanteurs, dont 40 musiciens. Ces personnes croient en moi et aiment mon travail. C’est une belle aventure. Le thème de Jacky cette année : « TIFAIFAI TO’U HIROA. » Mon identité : un tissage. On est parti de loin, c’était la construction d’un va’a. Toute une communauté se rassemble pour construire un va’a. On tisse, on rapièce des morceaux. C’est un peuple qui vit en communauté, solidaire pour avoir la force de traverser les mers. Je me projette vraiment loin. J’aime quand on me fait rappeler mes origines, mes coutumes. Nous obtenons la première place, c’est la cerise sur le gâteau !!!

    2018 : MARAE ARAHURAHU

    La préparation pour le marae de 2018 : un nouveau challenge ! C’est tout autre chose, on a soif d’innover, d’apprendre, de découvrir. Ce qui est très intéressant, c’est que c’est un événement bien subventionné. On va créer un spectacle libre sans se fatiguer avec les levées de fond. Récolter de l’argent, faire les costumes, organiser les répétitions… On n’a pas la pression sur la compétition. J’ai hâte !

    Tehina de la Motte
    Rédactrice web
    © Photos : Femmes de Polynésie et Stéphane Mailion Photography

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