Jeanne Lecourt-Bouveret, entre amour de la perle et amour de son prochain
C’est dans la lumière des jardins de Paofai que la rédaction de Femmes de Polynésie retrouve cette dame solaire, au sourire franc et aux yeux pétillants.
Née à Tahiti d’un papa Normand et d’une maman de Tuha’a Pae¹, Jeanne est aussi Heipua. Alors que Jeanne nous confie son histoire, et sa relation fusionnelle avec la perle de Tahiti, Heipua nous confie être mue par la foi, l’entrepreneuriat, et le dévouement aux autres.
Elle nous inspire un portrait à deux voix, riche d’enseignements.
Présidente de l’association Vahine Arata’i No Porinetia, dédiée aux cheffes d’entreprise, elle transmet aussi ses savoirs en reiki et accompagne tous ceux qu’elle croise sur son chemin.
« Heipua » en tahitien, se traduit par couronne de fleurs. Près d’une fontaine, dans les jardins de Paofai, Jeanne commence par cette anecdote allégorique. À un an et demi, elle quitte Tahiti en bateau en direction de Marseille avec son papa marin. En Polynésie, il est alors d’usage, lorsqu’un bateau s’éloignait du quai des au revoir, de jeter une couronne de fleurs par-dessus la balustrade : si elle retombait à terre le retour à Tahiti serait proche, si elle tombait à l’eau, cela voulait dire qu’il n’adviendrait pas avant longtemps, ce qui fut le cas de la couronne de son papa.
Jeanne voguera ensuite dans tous les ports de France, avant d’entamer des études à Paris, à l’European Business School.
C’est à l’aube de ses vingt ans, fraichement diplômée, que sa vie prendra un tournant exaltant, lorsque sa maman lui demandera de revenir au Fenua. Elle ignorait qu’elle ferait la plus belle des rencontres avec la perle de Tahiti, pour laquelle elle s’investira corps et âme pendant plus de trente ans.
« Le joyau de la mer, c’est la perle. »
La perle, plus qu’une passion, le combat d’une vie
Même si elle était liée à la mer depuis sa plus tendre enfance, rien ne prédestinait Jeanne à baigner dans l’univers fascinant de la perle. Et pourtant, c’est par elle et avec elle qu’elle a vécu ses plus belles années.
Machine arrière…
A son retour à Tahiti, en 1988, sa maman lui propose d’intégrer l’administration, mais Jeanne décline.
« J’avais beaucoup d’ambition pour mon pays, j’avais fait des études pour apporter quelque chose à ma terre, à mon Fenua, mais je ne savais pas encore quoi. »
Commerciale dans l’âme, elle obtient un poste dans une société d’import-export pendant deux ans, jusqu’au jour où, par le hasard de la vie, elle rencontre Georges, un vieux monsieur des Tuamotu. Il lui propose de l’aider à vendre ses perles.
« J’ai hésité, je ne voulais pas quitter mon travail, en plus je ne connaissais rien à la perle. Mais j’ai accepté, car le défi m’a amusée. »
Peu de temps après, dans les années 1990, Georges présente Jeanne à un couple de Français, les Bouché, pour qu’ils la recrutent comme assistante. Ils lui lancent alors un défi : « On ne vend pas des perles comme on vend des camemberts. ». Jeanne valide, et vendra rapidement tous les lots de perles. Elle remplacera les chefs de ferme pendant leurs vacances, formera les vendeurs des bijouteries et assurera les modalités douanières … En tant qu’ambassadrice de la perle de Tahiti, elle participera à des salons internationaux, et partira en voyage aux quatre coins du monde pour animer dans plusieurs langues nombre de conférences et de master class.
Jeanne fait une pause dans son récit. Dans ses yeux, un mélange de mélancolie et de fierté : elle se souvient de sa première exposition privée à Vienne en 1994, et de son premier salon en bijouterie à Hong Kong en 1995, une tâche ardue où elle a dû faire ses preuves face à des experts en la matière. Elle fut accompagnée par un gemmologue français, embauché aussi par les Bouché, qui deviendra par la suite son mari.
En 1997, Jeanne rencontre Robert WAN, pour qui elle organisera, pendant un mois et demi, une tournée européenne des plus beaux palaces, auprès des plus grands joailliers, pour valoriser des perles d’exception.
En 2001, après 10 ans au service de Mr et Mme Bouché, elle les quitte pour former des vendeurs en bijouterie, avant de créer « Tahiti Pearl Market », en novembre 2003.
En 2006, toujours à la recherche de défis et de nouveautés, elle décide de rejoindre Robert WAN pour gérer ses boutiques en Polynésie. Elle a un seul objectif en tête : par ses contacts à l’international, ses connaissances et son expertise, Jeanne souhaite offrir à cette gemme océane, ses lettres de noblesse. Mais à son grand regret et malgré des années à œuvrer dans ce sens, la perle de Tahiti n’a jamais obtenu la reconnaissance escomptée, l’appellation « Tahitian » étant aujourd’hui perçue comme une couleur à l’international.
En 2010, Jeanne est embauchée au sein de la Maison de la perle, en tant que responsable de promotion. Elle repart alors vers d’autres pays pendant quatre ans (Liban, Asie, Inde, Dubaï, Israël, États-Unis, Europe), et côtoie de nouveau les plus grands du monde de la bijouterie. En 2011, place Vendôme, elle a un rôle central lors de l’exposition en l’honneur des 50 ans de la perle de Tahiti. Son émotion fut grande en vibrant à l’unisson des Toere au sein de cet écrin du luxe français.
Cette même année, elle initie auprès des professionnels internationaux, la « Unified Pearl Grading System ». Pendant 10 ans ils créent une classification unique de toutes les perles du monde. En janvier 2014, elle crée la première Fédération Perlière de Polynésie Française (FPPF), dont Marcelle Howard est aujourd’hui la présidente.
« La première appellation était » les perles de Bora Bora « , j’ai encore les archives de la Dépêche de 1965. En 2025, on devrait célébrer les 60 ans de la première perle de Polynésie présentée au public à l’Assemblée territoriale. Pour cette occasion, j’ai présenté aux autorités un projet pour organiser un congrès mondial de la bijouterie à Bora en accord avec les organisateurs internationaux, mais on m’a annoncé qu’il n’y avait pas de budget. Je préfère ne pas en parler, car ça fait trop mal. J’arrête de me battre, c’est fini. »
Entreprendre et créer au service des autres
Heipua, de la famille Vivish-Garbutt, se dit extrêmement attachée à Jeanne d’Arc, au féminin sacré, elle aime défendre la liberté et ses valeurs. Elle est aussi maître reiki et enseigne les énergies.
En somme, elle aide chacun à se relier au champ des possibles.
En 2018, elle crée son centre de formation, POLYMANA, et assure une formation en création et gestion d’entreprises (CGE) pour le SEFI, et sera la référente pendant 3 ans auprès des petits porteurs de projets. Elle les accompagne, les épaule dans l’élaboration de leurs business plans
Constatant leur isolement à la fin de leur cursus, elle les motive à se regrouper en association : « Ma’ohi creator, les créateurs d’emploi de demain » dont elle est présidente d’honneur Elle donne également des cours à la chambre de commerce, sur la gestion de projets, le commerce international ; elle forme aussi les vendeurs omnicanaux, et les futurs directeurs commerciaux.
Cette volonté de guidance, surtout envers les femmes, s’est traduite l’an dernier par la création d’une association de patentées et entrepreneures de Polynésie « Vahine Arata’i No Porinetia », dont elle a pris la présidence.
Heipua aime développer son pouvoir créatif : le mois prochain aura lieu le 1er salon de l’entrepreneuriat au féminin, au Polynesian Factory, les 15-16 et 17 novembre.
Ce salon réunira une vingtaine d’exposantes, dont une grande partie exposera pour la première fois. Il y a aura également des conférences et ateliers sur l’entreprenariat, des présentations sur les richesses du Fenua (perles, etc.) et sur le développement personnel.
Cette communauté de plus d’une cinquantaine d’adhérentes est organisée de façon transversale, avec des commissions qui agissent avec leurs propres membres, leurs idées, etc.
La mission d’Heipua est claire : mettre ses compétences aux services de la jeunesse polynésienne et des vahine pour les révéler. Elle aimerait que cette association devienne un label, l’emblème du partage des savoirs, de l’entraide ; mais aussi des valeurs des entrepreneures Polynésiennes de souche, de cœur et d’adoption…
« Mon truc, c’est entreprendre, créer, mettre en place des choses. J’entreprends avec un stylo qui s’appelle la foi. C’est un état d’esprit l’entreprenariat, ça fait appel au bon sens, à l’observation, à l’analyse, aux ressentis. Les idées me viennent directement lorsque je visualise les projets aboutis. Et puis, la créativité, c’est comme un muscle, ça se travaille.. »
Avec cet entretien, Jeanne a souhaité rendre un ultime hommage à la perle, et à la relation intense qu’elle entretient avec elle… Telles une mère et sa fille, elle nous dit qu’il est temps de couper le cordon.
« Cet article est pour moi l’occasion de couper, de ne garder que ce que la perle m’a apporté de meilleur dans la vie. J’ai tellement de passion pour cette gemme océane, ce cadeau divin… Aujourd’hui, c’est un peu plus Heipua qui continuera le chemin. »
1 Archipel des Australes.
Julia Urso
Rédactrice
©Photos : Julia Urso pour Femmes de Polynésie
Directeur des Publications : Yvon BARDES