Oihanu encre les identités
Quand Femmes de Polynésie déploie le matériel nécessaire à l’interview sur le point de vue du plateau de Taravao, lieu qui a vu grandir une partie de l’équipe, le sujet de la discussion n’est pas encore bien percevable. Pour cause, Hinerava ou Emeline, jeune entreprenante, scientifique et artiste dans l’âme, a plus d’une facette à dévoiler. Elle avoue ne pas avoir l’habitude de se mettre en avant, mais aujourd’hui, c’est la lumière qui décide. Dès lors que la conversation s’engage, l’atmosphère se personnalise, les chemins se multiplient et bercé par les bourrasques, tout devient clair : la nature s’exprime.
Pour mieux revenir
Intarissable source d’inspiration, rapidement pour Hinerava, la nature devient une vocation, une filière puis un métier. Quand elle intègre une école d’ingénieurs à Bordeaux, c’est à la sciences de la vie et de la terre qu’elle voue son temps et son énergie. 5 années passent où elle en ressort ingénieure en environnement avec une spécialité pour les milieux aquatiques.
« Mon plan était de me spécialiser en milieux marins car ma vocation depuis toujours, c’était de dédier ma carrière pour la cause environnementale. Je voulais aller me spécialiser en Australie sur la grande barrière de corail. La crise sanitaire ne me l’a pas permis, ce qui m’a fait rentrer ici. C’était peut-être une bonne chose, car j’avais besoin de me ressourcer. »
Au-delà du simple retour, Hinerava prend le chemin du questionnement identitaire.
« Retrouver cette chaleur humaine, cette façon de vivre, ça m’a fait beaucoup de bien. Je me suis rendu compte à ce moment-là qu’il y avait eu un vide, quelque chose qui avait arrêté de grandir en moi. »
Tandis qu’elle apprend le reo tahiti, et que le ‘ori tahiti devient une activité qui lui tient à coeur, tout porte à croire que sa place a toujours été ici.
« Le fait d’aller chercher par ma propre initiative ma culture, faire les choses que je ne m’autorisais pas avant, ça m’a montré que cette partie de moi m’appartient et que j’ai le droit de vivre cette origine. »
Oihanu
C’est cette partie qui était enterrée, elle lui voue désormais la lumière. Emeline, c’est aussi Hinerava.
« J’ai toujours été quelqu’un de très créatif, très manuel, un peu touche-à-tout. »
Malgré cela, Hinerava s’avoue difficilement artiste, l’essentiel pour elle étant de peindre, écrire ou de confectionner des bijoux.
« Tout cela c’est en fonction de l’émotion que je ressens, du moyen d’expression et de comment je souhaite la partager. »
Avec son projet artistique Oihanu, elle partage avant tout le sens, gardant comme pièce centrale l’amour qu’elle porte pour sa culture. De la sorte, elle observe, schématise et archive les tatouages, leurs sens et leurs récits.
« À chaque fois que je les dessine, je me dis qu’il y a tellement de sens derrière, et une grande histoire. En dessinant, je vibre, je m’anime. »
Telle une quête personnelle, elle entreprend un apprentissage accru de l’art traditionnel autant que Hinerava apprend à se connaître.
« En quelque sorte, c’est une révélation intime. Pour moi, c’est comme une photo, tel un souvenir. Avec ce tableau je peux me rappeler du sens. »
D’amour et de fenua
Perchés sur la crête nord du plateau de Taravao, tout autour de nous, les arbres chantent au rythme du vent tandis que l’odeur des fougères se révèle exposée à l’agréable chaleur du soleil. Nous accueillons le phénomène comme un doux rappel que nous sommes liés à la terre et avant même de pouvoir ancrer cette pensée, au loin la mer fait écho à l’immensité d’un ensemble à qui l’on doit le respect. Ici, nous côtoyons la richesse.
« Malgré notre éloignement et notre situation géographique, nous sommes réellement impactés.
S’impliquant de plus en plus dans les initiatives citoyennes, Hinerava revoit ses habitudes.
« Il y a vraiment un mouvement humain, une sincérité qui rassemble dans la bonne énergie. Donc dès qu’il y a une action, aussi simple soit-elle, j’essaye d’y participer. »
« Tu ressens comme une étincelle au plus profond de toi, une illumination qui te fait prendre conscience et te fait changer ton comportement. C’est un choc initiatique, une graine posée dans ton cœur qui va rajouter quelque chose à ton existence. »
Quand Hinerava nous parle d’engagement, elle n’évolue pas dans la peur ni dans l’animosité, elle respire l’espoir. Et l’inspiration qu’elle tire de son fenua, elle l’exprime en amour.
« On a vraiment une terre et une mer riche avec qui on entretient un lien fort. On peut ressentir un respect de ce qui nous entoure. C’est ce qui connecte le tout. »
Pour elle, la dégradation de l’environnement est synonyme de perte d’une grande partie de notre patrimoine culturel. Animée d’aspiration, Hinerava souligne l’ampleur de ce qui l’inspire :
« La Polynésie c’est ma passion, mon bonheur et mon expression. Elle est aussi en pleine évolution, mais elle restera toujours très riche car beaucoup de personnes œuvrent pour cela. »
Émeline ou Hinerava, ce vide, cette recherche, cet apprentissage sont l’histoire de bien d’entre nous. Et si ces lignes s’écrivent pour vous, sachez que vous n’êtes pas seul.