Une seconde chance pour la jeunesse, le combat de Marie-Lou
“Je ne suis pas la seule qu’il faut mettre en avant, mais tous ceux qui m’entourent, sans qui Arii Heiva Rau n’existerait pas.” C’est avec ces mots que Marie-Lou Bygorre nous accueille. Nous avons tenu à vous partager notre émouvante rencontre avec une de ces Femmes de Polynésie, qui consacrent leur vie aux autres.
L’amour d’un père
Marie-Lou vient au monde il y a plus d’un demi-siècle, dans une famille polynésienne, à Moorea. Du sang chinois, tahitien, allemand et philippin coule dans ses veines. Son père, « un pur Chinois du Canton », est maraîcher, et fait vivre modestement des fruits de sa récolte sa famille et ses 4 enfants.
« J’ai perdu ma maman à l’âge de 7 ans. Mon papa s’est battu pour nous donner la force d’aller de l’avant. Il a endossé le rôle de papa et de maman: il tressait mes cheveux, lavait nos linges, cuisinait, en plus de son travail. »
Il inculque à ses enfants, dont la dernière n’a que 3 ans, des valeurs d’humilité et d’humanité, de dignité et de respect.
« On aidait papa dans le fa’a’pu, puis on marchait jusqu’à l’école, à 4 km de la maison, qu’il pleuve ou qu’il vente. Il fallait aller à l’école ! »
Marie-Lou a 10 ans quand sa tante, la sœur de son père, propose de la prendre avec elle, à Tahiti, et l’inscrire au Collège Anne-Marie Javouhey.
« Je préférais retourner chez mon papa et ma famille, où l’humain et l’entraide existent.»
Sa famille d’adoption, ses anges gardiens
Marie-Lou a 11 ans, quand le yacht d’un couple d’Américains jette l’ancre dans la baie d’Opunohu. Curieux, Marie-Lou et les autres enfants du quartier vont souvent les voir. Au bout de 3 mois, la barrière de la langue n’est plus.
« Une relation de confiance s’est instaurée entre nous. Je leur avais parlé de mes peurs de ne pas réussir dans la vie, car mon papa n’avait pas les moyens. »
Ému par cette petite fille à la réflexion mature, le couple propose de l’adopter.
« Mon papa leur a répondu : c’est à ma fille de décider. »
Marie-Lou accepte, à condition de garder son nom de jeune fille chinois, KONG YET SAN.
« Je ne voulais pas qu’on efface le nom de mon papa de mon identité. »
Elle grandit aux côtés de ses parents adoptifs, dans l’amour et l’harmonie, tout en maintenant et préservant sa relation avec sa fratrie et son père – qu’ils appellent affectueusement “papa KONG”.
« Aider ceux qui sont dans le besoin »
« En rentrant du lycée, je voyais de plus en plus de mes anciens camarades dans la rue. Je disais à mon papa adoptif : “Ce n’est pas normal, il faut que quelqu’un les aide !”, et il me répondait : “C’est peut-être toi qui le feras, Marie-Lou…” »
C’est ce que Marie-Lou veut faire dans la vie. Elle intègre une classe ETC 1 au collège de Pao Pao, pour apprendre tout ce que sa maman n’a pas eu le temps de lui transmettre : cuisiner, coudre, tenir une maison. Elle refuse de retourner dans une voie générale, elle veut un apprentissage pratique.
« Je voulais travailler dans l’humain, devenir infirmière. Alors j’ai intégré “Carrière sanitaires et sociales” à l’internat du Lycée du Diadème, au Taaone, où j’ai eu mon BEP. »
Et puis une opportunité d’emploi s’ouvre à elle au Club Med de Moorea. Nous sommes loin de l’univers social auquel Marie-Lou aspire, mais la vie réserve parfois des surprises…
« Au Club Med, j’ai rencontré 3 autres anges gardiens : l’homme de ma vie, Gilles, et mes 2 associés, Sylvain Pauwels et Franck Castillo. »
Arii Heiva Rau
« Faire quelque chose pour ces enfants dans la rue me travaillait au quotidien. J’en ai parlé à Sylvain et Franck. Ils ont décidé de m’aider à lancer mon association, et de s’installer en Polynésie, à Moorea. »
C’est ainsi que Arii Heiva Rau voit le jour en juin 2000, dans la commune de Papetoai, à Moorea – dans la cantine de l’école primaire, puis dans ses propres locaux, qu’elle occupe jusqu’à ce jour. Elle y accueille un public composé essentiellement de jeunes en difficulté, avec une action socio-éducative, formation, insertion, prévention de la délinquance, CLSH2.
« En parallèle, nous organisons les animations pour les élèves à l’internat du lycée du Diadème. Je l’ai bien connu pour y avoir passé 3 ans, et 40 ans plus tard, rien n’y a changé. Je sais ce qui me pesait à l’époque, et j’aimerai pouvoir aider les jeunes qui y sont aujourd’hui. »
Alcool, paka, ice et décrochage scolaire s’ajoutent aux conditions de vie des jeunes qu’elle côtoie. Certains ont à peine 11 ans, d’autres moins…. Pour les jeunes adultes, la réinsertion permet de changer la donne, de leur redonner confiance en eux, et dans la vie.
« Pour aider les jeunes, il faut leur donner un travail. Même s’il gagne 5000 francs/semaine , il peut acheter un sac de riz et un peu de poulet, de quoi manger. Beaucoup de familles n’ont pas de quoi manger ! Il faut combattre ça, et heureusement que nous avons nos institutions qui nous soutiennent. »
Avec le soutien inconditionnel de son mari Gilles, Marie-Lou, ouvre une pension de famille, la “Pension Marie Lou”, qui immerge les touristes dans la vie de Moorea, ses incontournables, mais aussi au cœur de sa richesse humaine.
« Il ne faut pas lâcher, ne pas baisser les bras. Mon papa me disait souvent : « Les personnes qui n’ont pas de rêves sont des personnes qui sont perdues. Toi, tu as un rêve, tu as un potentiel en toi, tu dois atteindre tes objectifs ! »
1 ETC : Employé Technique de collectivité
2 CLSH : Centre de loisirs sans hébergement
Lubomira Ratzova
Rédactrice web
© Photos : Arii Heiva Rau, Marie-Lou Bygorre, Lubomira Ratzova