Pauline Moua, le don de soi
La rédaction de Femmes de Polynésie s’est rendue à la Fraternité Chrétienne des Handicapés, dans le Centre de la Mission. Pauline Kaua épouse Moua, la Présidente de l’Association, nous ouvre grand les bras, et nous reçoit dans cet endroit imprégné de joie, d’amour et de partage ; un lieu tout à son image. Élevée au grade d’Officier dans l’Ordre national du mérite, Pauline est une dame discrète, entièrement dévouée aux autres, et à la cause du handicap. Nous avons voulu qu’elle nous retrace son histoire, un sentier semé d’embûches qu’elle a traversé guidée par la Foi.
Pauline Moua a un destin peu commun, et une volonté à toute épreuve. C’est une dame au grand cœur que nous rencontrons, qui voue un engagement sans faille à la Fraternité Chrétienne des Handicapés¹. Elle-même touchée par cette cause à titre personnel, elle est une véritable source d’inspiration pour qui la croise sur son chemin.
À la tête de l’Association depuis 1990, elle a su entre autres redresser l’Institution, développer les Centres d’Accueil, et favoriser la montée en compétences des salariés et bénévoles.
Décorée à deux reprises par l’État pour la médaille de l’Ordre national du mérite, ainsi que par le Pays au grade de Chevalier de l’Ordre de Tahiti Nui, elle est un exemple de bonté et de ferveur.
« J’ai mérité ces reconnaissances, mais pour moi ce n’est pas le plus important. Toutes les étapes et les épreuves de ma vie, aussi difficiles fussent-elles, m’ont permis de ne jamais me plaindre et d’avancer. Mais elles m’ont surtout permis d’être cette personne, prête à un don total de soi. »
Un destin qui bascule
Pauline Moua commence par évoquer ses débuts chahutés aux Tuamotu ; et trouve péniblement les mots pour décrire ses départs dans la vie. Pauvreté, pensionnat, éloignement, et tant d’autres difficultés qui, selon elle, ont forgé la personne qu’elle est aujourd’hui.
Elle passe son enfance et son adolescence à travailler, faire du coprah, pêcher, et étudier le soir au clair de lune. Lorsqu’elle arrive à Tahiti pour poursuivre son cursus scolaire, elle bénéficie d’une bourse, et s’en sort plus aisément.
Pleine d’ambition, son souhait est de rentrer aux Tuamotu pour être enseignante.
Pauline a une vingtaine d’années lorsqu’elle se met en ménage ; elle devient mère pour la première fois, d’un enfant polyhandicapé.
Dès lors, son destin bascule. Grande sportive, le basket est son échappatoire .
« Cet enfant ne devait pas être handicapé, c’était un accident d’accouchement. Ce fut un vrai coup de massue pour moi, j’ai beaucoup souffert, car je ne pouvais pas faire l’école normale ni enseigner. La Foi m’a aidée à accepter, après je ne vivais que pour lui, rien d’autre ne comptait. Avec la naissance de cet enfant, j’ai tout appris. »
Elle se marie en 1979, mais pour assumer les frais des soins, Pauline doit travailler. Elle passe alors les concours de la CPS², et évolue en interne pendant toute sa carrière ; elle occupera les postes de comptable payeur et de contrôleur jusqu’à sa retraite.
C’est à la Fraternité Chrétienne que son fils est pris en charge pendant qu’elle travaille, ce qui lui permet de s’engager parallèlement dans l’association, qu’elle intègre en 1980 comme membre, et en 1982 comme secrétaire du bureau, sans savoir qu’elle en deviendrait le pilier et le défenseur.
À cette époque-là, il y avait seulement quelques bénévoles qui encadraient une dizaine d’ enfants.
La Frat », sa joie
C’est en 2014, au lendemain de sa retraite que Pauline intègre la Fraternité à temps plein.
« En 1990, j’ai été mise sur le fait accompli lorsqu’il a fallu prendre le relais de Manu Porlier, l’un des membres fondateurs. Je n’ai pas été préparée, mais je devais assurer la gestion de la Frat ». Je ne savais pas faire, j’ai fait comme je pouvais, je prenais beaucoup de congés. Pourtant, après le décès de mon fils, en 1996, je voulais laisser tomber, mais personne ne voulait prendre la suite. La Frat », c’est une œuvre de l’Église, alors j’ai voulu continuer, ne rien lâcher, toujours épaulée par les deux piliers bâtisseurs, Monseigneur Michel et Monseigneur Hubert. »
En 2016, après quelques déboires qui ont failli entrainer la fermeture de l’Institution, Pauline,
soutenue par les membres du Conseil d’Administration, a à cœur de redresser la barre.
Difficilement, et au prix de nombreuses démarches, la situation s’améliore. Pauline envisage donc l’évolution des Centres d’accueil, la formation professionnelle des salariés (qui sont une centaine actuellement), et leur montée en compétences.
Pauline expérimente depuis tant d’années ce retour d’amour, simple reflet de tout ce qu’elle donne aux autres. Elle s’oublie parfois, ne pensant qu’à servir la Fraternité, à aider à la guérison des souffrances mentales, physiques…
La mission principale des Centres est d’apporter un soutien médical, psychologique, paramédical, éducatif et social, contribuant ainsi à l’épanouissement des personnes accueillies.
« Je priais beaucoup. Sans la Foi j’aurais été perdue. Elle m’a encouragée à œuvrer, à donner, à persévérer, à aimer. Les enfants de la Fraternité, ce sont mes enfants. Donnez l’amour, le partage, tout ce que vous pouvez, vous verrez que vous allez le récolter au centuple. »
La passion des autres
Pauline rayonne de bienveillance. Tout ce qu’elle transmet n’est que joie et lumière.
Elle a très vite compris que le bien-être des enfants dépendait du bien-être du personnel pluridisciplinaire.
Parce qu’encore une fois, s’occuper des autres est sa priorité, elle a mis en place un programme de formation pour la progression des salariés. Elle leur a offert tout le temps nécessaire pour préparer le CAFERUIS³, équivalent à un diplôme de niveau 6 (licence et master 1).
Pauline les a accompagnés pendant un an, travaillant le soir et le week-end, jusqu’à obtenir elle aussi le précieux sésame.
« Je n’ai pas eu de formation dans le social, mais le social était en moi, dans mon cœur, j’ai toujours voulu aider. Ma joie est de voir les enfants évoluer. S’ils vont bien, c’est que le personnel leur transmet de l’amour, alors je suis heureuse ; cette joie se répercutera aussi le soir à la maison sur leurs parents. »
Pauline veille à ce que son personnel ne manque de rien, mais elle a également pensé à elle, et au rêve qu’elle avait. En 2019, elle suit une formation continue à l’université et décroche avec succès un diplôme en généalogie.
Aujourd’hui, Pauline se consacre davantage à sa fille, gravement malade depuis quelques années.
Elle est auprès d’elle à chaque instant, et voudrait la remercier pour tout le temps précieux qu’elle a dédié à son grand frère, jusqu’à parfois négliger son adolescence.
« C’est ma fille, je l’aime plus que tout. Elle a un mental très fort, elle s’accroche à la vie. Elle n’a pas eu une vie d’enfant, elle a tout donné pour son frère. Le Seigneur m’a laissée vivre, c’est normal que je m’occupe d’elle et que je veille sur sa petite famille. »
Son fils cadet est quant à lui Responsable du pôle des Activités Physiques Adaptées (APA).
Pauline continue de fédérer ses équipes et d’initier des projets pour pérenniser l’esprit de la Fraternité afin qu’il soit éternel.
Nous aimerions l’écouter encore longtemps, tant la bonté et la bienveillance émanent d’elle. En sa compagnie, nous nous sentons galvanisés, forts, mais en même temps très petits.
Elle est restée pudique tout au long de l’entretien, n’osant pas trop parler d’elle. Alors nous avons voulu lui demander de se définir en quelques mots.
Pantelante, elle a pris un temps de réflexion, et nous a répondu :
« S’il n’y avait que des mots, alors ce serait en priorité l’amour, et le partage, la bienveillance, le respect. Plus tu donnes, plus tu recevras en abondance. »
¹ L’Association Fraternité Chrétienne des Handicapés a été créée en 1979. Elle est reconnue d’intérêt général depuis mars 2015. Aujourd’hui, l’Association gère 4 Établissements d’accueil des personnes en situation de handicap moteur et polyhandicap sur l’île de Tahiti. La Fraternité Chrétienne des Handicapés est devenue, au fil des années, un partenaire essentiel des tissus sanitaires et sociaux de la Polynésie française.
²CPS : Caisse de Prévoyance Sociale
³Certificat d’Aptitude aux fonctions d’encadrement et de responsable d’unité d’intervention sociale
Rédactrice
©Photos : Pauline Moua et Julia Urso pour Femmes de Polynésie
Directeur des Publications : Yvon BARDES