Avec Nathalie, porter un autre regard sur le handicap
Tout commence par un simple regard. « C’est facile « d’être », on « est » dès la naissance. Mais pour exister, on a besoin des autres. Et cela passe d’abord par un regard… Souvent, les gens n’osent pas regarder les personnes handicapées. Or, nous, nous avons besoin d’un minimum de liens, d’exister. » Ne pas avoir peur, ne pas mettre des barrières, qui finalement, blessent… Femmes de Polynésie pose aujourd’hui son regard sur Nathalie Hudry-Salmon, une femme pleine de courage et de vie, une battante qui entend faire résonner sa voix et celle des personnes handicapées pour rappeler à notre société : nous sommes là, nous existons, posez votre regard sur nous, juste un instant.
Un souffle de vie malgré tout
« Je suis née à Papeete en 1983. Mais je suis née morte,suite à une erreur médicale. Ils ont tenté de me ranimer. Je me suis réveillée 20 minutes plus tard, d’où mon handicap d’aujourd’hui. »
Son handicap est purement physique. Nathalie ne contrôle pas ses gestes. Elle ne peut ni marcher, ni se servir de ses mains. Dans le jargon médical, on appelle ça l’Infirmité Motrice Cérébrale, ou IMC.
« Ma mère, quand elle m’a vue à la naissance, elle a vu sa fille. Mon père quand il m’a vu, il a vu un enfant handicapé. Je ne l’ai pratiquement pas connu, ils se sont séparés quelques mois après ma naissance. »
Alors que Nathalie est âgée de six mois, sa mère se rend compte qu’il y a un souci car sa fille ne réagit pas, ne se retourne pas, ne rampe pas. Le diagnostic des médecins du fenua était différent à chaque fois. Certains parlaient d’un petit souci, alors que d’autres prévoyaient un état grabataire . Devant le manque de réponses claires, elle choisit d’aller en France pour comprendre ce qu’a exactement Nathalie. Trois ans plus tard, elle apprend que sa fille est handicapée à vie, sans espoir de guérison.
La volonté de réussir
« Chaque jour, on m’emmenait au Centre, la fraternité chrétienne des handicapés de la Mission. Les écoles refusaient de m’accueillir à cause de mon fauteuil roulant. Le matin, j’avais une petite scolarité. Mais arrivée au collège, pas de prof. J’ai donc fait ma scolarité de collège et de lycée par correspondance avec le CNED. »
À l’âge de 16-17 ans, Nathalie est évasanée en France. Elle passe 13 mois en Bretagne, à Lorient. Cet événement marque sa vie.
« Là-bas, j’ai vu que l’on pouvait devenir quelqu’un même si l’on était handicapée. J’ai intégré un vrai collège avec de vrais cours et de vrais profs. Quand je voulais aller au cinéma, je prenais le taxi. On peut vivre presque normalement avec un handicap. »
En revenant en Polynésie, Nathalie décide de « se mettre à fond dans les études » car, elle en est persuadée, c’est la seule façon pour elle de réussir en quelque chose. Elle essaye d’intégrer un établissement scolaire mais son fauteuil roulant pose encore problème. Peu importe. Même si sa scolarité se révèle être un vrai parcours du combattant, sans professeur, Nathalie n’abandonne pas. Cet intermède en France lui aura appris à se battre et surtout à lui révéler ses capacités. Elle obtient son DAEU, l’équivalent du bac qui lui permet d’accéder aux études universitaires.
« Après ça il fallait me choisir un métier et là, c’était plus compliqué. Il était évident que l’ordinateur était mon seul outil, j’allais écrire. J’ai fait par correspondance une formation de journaliste sur deux ans. »
L’entrée dans la vie active
À 25 ans, Nathalie quitte le Centre.
« Je me suis dit : bon, mon CV est bien rempli, je suis motivée, j’ai un beau sourire, je vais pouvoir trouver du boulot ! »
Rapidement, elle se rend compte que finalement, tout ce qu’elle met sur son CV ne compte pas face au handicap. C’est une période dure de sa vie. Elle qui a horreur de l’ennui, il faut bien qu’elle trouve quelque chose. Alors pour s’occuper, elle écrit.
« J’ai commencé à écrire des souvenirs que je ne voulais pas oublier. Quand on est jeune, on se la pète, on se dit : ça, je ne vais jamais oublier ! Et on se retrouve à dire 50 ans après : ah bon ? J’ai fait ça ! J’ai écrit sur des personnes que j’aime qui sont décédées. J’ai trouvé qu’elles étaient parties trop tôt. »
Sa famille, ses amis l’encouragent à poursuivre :
« Décris ta vie, les gens ne connaissent pas le handicap ! Pendant deux mois, j’ai raconté puis j’ai dit à ma mère : ça y est, j’ai mis tout ce que j’avais à dire. »
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Sa mère ne fait ni une ni deux, attrape l’annuaire, les pages Jaunes, rubrique « maison d’édition » et bientôt, elles se retrouvent devant Christian Robert de Au vent des îles.
« Maman commence son speech, elle y croyait, était à fond, et moi à côté, toute timide. Le lendemain, il m’a appelée : OK, je l’édite. »
Son livre « Je suis née morte » sort en 2012. Depuis, elle avoue ne pas avoir chômé car son ouvrage a été très apprécié par les jeunes. Depuis 6 ans, elle va à la rencontre des collégiens, des lycéens. Les professeurs de français font appel à elle, les élèves se sentent investis par son histoire.
« Dans une époque où l’on est hyper-connectés, on oublie souvent le plaisir de la lecture et de l’écriture. En fait, ce sont des activités que l’on fuit presque. Elles obligent la personne à rester seule avec soi-même. Ces moments de solitude sont une force, c’est là que l’on puise le meilleur de nous-même. »
Son combat pour ceux qui sont laissés de côté
Avec ce livre, Nathalie a l’impression d’exister aux yeux des gens : « On a besoin d’une place dans la société. Cette place, je l’ai eue à 29 ans, grâce à « Au Vent des îles » . J’ai eu la chance d’être éditée alors que beaucoup n’ont pas eu cette chance. »
Elle le sait, il y en a plein, handicapés comme elle, que l’on ne regarde même pas. Comment vont-ils pouvoir exister si on ne leur donne pas cette petite chance ? Le combat de Nathalie est tout trouvé : s’occuper de ceux qui sont laissés de côté.
« Récemment, j’ai été à Nouméa, en Nouvelle Calédonie. Ils ont des taxis adaptés aux handicapés. Tu peux prendre ton fauteuil électrique et être autonome. Pas besoin de déranger ta famille ou les copains copines. »
Dans ce territoire d’outre-mer, elle découvre des immeubles entièrement dédiés aux personnes handicapées avec la présence de surveillants qui interviennent à certains moments pour les aider.
« J’ai un ami avec le même handicap que moi mais qui vit tout seul dans son appartement. La surveillante intervient au moment du repas, de l’habillage et du ménage. Pourquoi est-ce possible en Calédonie et pas ici ? »
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Dans son pays, la Polynésie, les handicapés sont à la charge de la famille. Nathalie se pose des questions :
- « C’est maman qui s’occupe de moi, et qui s’est toujours occupée de moi. Jusqu’à quel âge elle va pouvoir me porter, me nourrir ?
- Après elle, qui j’aurais ? Ma mère n’est pas éternelle. Elle m’a porté toute sa vie et commence à fatiguer. »
Pour elle, c’est évident, la Calédonie l’a compris : il faut décharger les familles. Lorsqu’elle expose son problème au service social, il la renvoie vers ses frères et sœurs.
« Ma sœur a 30 ans, un master 2 en environnement. Elle va avoir sa vie, ses enfants. Mon frère a 22 ans, une petite copine. Il aura sa famille, sa vie. Est-ce que je peux leur dire de s’occuper de moi ? Ils ont assez porté mon handicap je trouve. »
Sinon, c’est vers des familles d’accueil à la charge de sa famille qu’elle devra se retourner.
« 180 000 F/mois… Énorme ! C’est là que tu te dis que rien n’est fait pour aider les handicapés. »
Nathalie me parle d’une Loi d’obligation d’emploi des travailleurs handicapés.
« À la COTOREP, on classe les handicapés par catégorie selon le degré de handicap. Je caricature mais en gros catégorie A, il te manque un doigt. La catégorie C est la plus lourde, c’est la mienne. Les entreprises recherchent et embauchent majoritairement ceux de la catégorie A. »
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Aujourd’hui, Nathalie n’a pas dit son dernier mot. Elle qui lutte depuis sa naissance est remplie d’espoir, malgré tout.
« Des amis de Nouméa m’ont dit : « reste ici ! Tu trouveras un travail plus facilement. » Oui mais… j’aime mon Pays, j’aime ma Polynésie ! Je veux la même chose dans mon Pays, chez moi. Je me battrai pour ça ! »
Tehina de la Motte
Rédactrice web
© Photos : Nathalie Hudry-Salmon