Aloha, apprendre à s’aimer
À Raiatea, il grandit paisiblement au sein d’une famille soudée et en entamant un cursus scientifique, il se voue à une carrière dans le domaine. Rien ne se passera comme prévu. Aujourd’hui, elle a appris à s’aimer et malgré les épreuves, Aloha n’aura jamais dépéri. Avec elle, Femmes de Polynésie, rend hommage et raconte la force, le courage et la détermination dont font preuve d’innombrables âmes qui se sont retrouvées dans leur transition.
Au restaurant Jimmy où elle exerce en qualité de manager de salle depuis plus d’un an, Aloha nous accueille. Elle respire la bonne humeur et l’aisance.
« D’être accepté en tant que personne, ça change tout. »
Bien que simples, ces mots résonnent et prennent tous leurs sens. Ainsi, la conversation s’ouvre.
Questionnements
« Je n’étais pas du tout prédestinée au monde de l’hôtellerie, à la base, j’ai fait un cursus scientifique. Mais suite à un problème de finance, je n’ai pas pu continuer dans ce domaine. »
À Opoa dans la commune de Taputapuatea, il grandit et fait son parcours scolaire jusqu’au lycée à Uturoa.
« Il fallait que je gagne ma vie, que je subvienne aux besoins économiques de la famille. L’hôtellerie, ça a été un métier par défaut. »
À l’issue d’une formation au CFPA, il fait des stages à Bora Bora, là-bas « l’hôtellerie par excellence » lui plait. Un stage au Conrad puis un autre au St-Régis, il gagne en expérience et apprend à aimer le métier.
« Les choses m’ont menée à apprécier le métier. Il y a eu des moments où j’ai souhaité tout plaquer. Mais ce qui m’a plu, c’était le côté relationnel, le fait de pouvoir rencontrer des gens, partager. Comme une échappatoire, j’arrivais à ne plus penser à mes problèmes. »
Rappelé au St-Régis en tant que chef de rang, le métier lui garantit une carrière stable et prometteuse. Cependant, quelque chose ne va toujours pas dans la vie du jeune homme.
« C’était la période de ma vie où j’ai commencé à me chercher en tant que personne. J’ai commencé à avoir plein de doutes dans ma tête, je me posais plein de questions. »
Affirmation
2015 est une année déterminante, car synonyme d’affirmation. Il s’écoute profondément et décide de prendre sa vie en main.
« J’étais quelqu’un qui faisait toujours attention à ce que les gens disaient, ce qu’ils pensaient. J’avais peur du regard des autres. Cette année-là, je me suis dit qu’il était temps que je pense à moi, à mon bonheur. Certes j’étais heureux, mais il manquait ce petit quelque chose. »
Affichant toujours une apparence masculine, il décide de tout changer « du jour au lendemain ».
Transition
Au début, la transition se fait en cachette, avec pour seuls confidents un petit cercle d’amis, mais les relations familiales finissent par en pâtir.
« Ça a été dur. La relation avec mes parents s’est envenimée. J’ai été reniée. Je suis partie de Raiatea pour la capitale. Je pensais qu’à Papeete, je pourrais être plus libre, plus épanouie et accomplie. Je souhaitais me libérer de ce fardeau. »
S’ensuit une période sombre de sa vie, voire paradoxale.
« J’étais aussi contente d’avoir enfin pu affirmer mon choix. Malgré tout, on a toujours besoin du soutien de ses parents, chose que je n’avais plus. J’étais livrée à moi-même. J’avais sali le nom familial. Même à Papeete, je n’avais nulle part où aller. J’ai dû rester avec des copines. »
Seule, Aloha avance. Elle met tout en œuvre pour s’émanciper, et pour cela, il lui faut du travail.
« J’ai déposé des CV un peu partout. C’est difficile de s’intégrer dans la société et de se faire accepter en tant que rae rae1. Pendant des mois, j’ai fait face à beaucoup de rejets inexpliqués, comme une barrière infranchissable. »
Mais sa persévérance se révèle fructueuse quand le restaurant du belvédère lui ouvre ses portes.
« J’y ai exercé en tant que serveuse puis l’expérience a parlé et j’ai été promue responsable de salle. Cette expérience a été l’une de mes plus belles. Avec une équipe formidable, ils m’ont bien accepté. »
Aloha
En 2019, Aloha intègre l’équipe du Restaurant Jimmy en tant que serveuse, mais c’est surtout l’équipe qui va l’accepter entièrement. En 2021, elle devient manageuse témoignant ainsi de la valeur de ses compétences.
« Ici, ça se passe vraiment bien. J’ai vraiment bien été accueillie et intégrée. On a tout de même ce côté hiérarchique, mais il y a surtout ce côté familial. Pour ma part, je pense avoir retrouvé cet amour que j’avais perdu, j’ai trouvé une famille. »
Bien que la transition commence avec la prise d’hormones féminines, le changement de prénom et de sexe à l’état civil est une étape cruciale.
« Qu’on me connaisse et reconnaisse en tant que ‘’Aloha’’, c’est essentiel pour moi. »
Et pour cela, il est question de travail d’équipe.
« Ils m’ont aidé pour les démarches de changement de prénom et le changement de sexe à l’état civil. Ils m’ont supporté et poussé dans mon choix. Les patrons comme mes collègues de travail. J’avais besoin de témoignages. C’est à ce moment-là que toute l’équipe m’a soutenu. Ils ont participé à mon épanouissement et je les remercie du fond du cœur pour tout ce qu’ils ont fait. »
Épanouissement
Aujourd’hui, Aloha est bel et bien épanouie dans son travail et dans sa vie personnelle.
« Quand je regarde tout ce que j’ai traversé, je me rends compte du malaise. J’étais emprisonnée, j’étais dans un corps qui ne me convenait pas. À présent, quand je regarde dans un miroir, je me vois. »
Elle souligne l’importante place que l’amour pour soi a eue dans le développement de sa vie, désormais elle souhaite en donner.
« Donnez de l’amour dans tout ce que vous faites, que ce soit dans la vie familiale, professionnelle ou autres. Quand tu donnes de l’amour, tu en reçois toujours en retour. »
Et pour tous les esprits qui se posent les mêmes questions et envisagent de sauter le pas :
« Pour toutes les femmes un peu comme moi, foncez ! N’ayez pas peur de ce dont on va penser de vous, de ce qu’on dira. C’est notre vie, notre choix. Allez au bout de vos rêves, restez libre ! »
Aujourd’hui, les relations avec sa famille se sont nettement améliorées. Telle une réelle démonstration d’acceptation, Aloha peut désormais regarder vers le futur.
« Mon père a su faire la part des choses, il a compris l’importance de mon choix. »
1 Pour Aloha, un rae rae c’est : Une femme à part entière, une personne aussi normale que quiconque, une femme qui mérite d’être acceptée et respectée. On ne demande pas d’être aimé, mais juste de nous laisser vivre notre vie comme nous l’entendons. Il y a de la place et de l’oxygène pour tout le monde, nulle utilité de se battre.
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