Yesta, le reo par l’immersion culturelle
Elle aurait préféré s’appeler Rauhere, son prénom ne reflètant pas à ses yeux son appartenance à la terre polynésienne et à sa culture. Et c’est peu dire… Femmes de Polynésie vous présente Yesta Tefaaite, une enfant de Raiatea qui transmet son amour pour son pays à travers l’enseignement de la langue tahitienne.
Une enfance à Raiatea
Yesta est comme on dirait une demi, aux origines de Vendée et de Raiatea. Née en 1970 à Fareatai, sur l’île de Raiatea, elle y grandit avec ses parents et ses 11 frères et sœurs, dont elle est l’aînée.
“Quand j’étais jeune on allait à pieds à la rivière, le cadre était différent… on parlait tahitien, tout le monde se connaissait, le village était comme une grande famille… C’est dans ce cadre que j’ai grandi, avec les légendes et les récits de la vie d’avant. ”
Elle commence sa scolarité à l’école de Fareatai, qui ne comporte que deux classes.
“Il y avait une salle pour la maternelle jusqu’au CP, et une autre pour le primaire. ”
Elle intègre au collège l’internat d’Uturoa, où elle restera jusqu’à la Terminale. Elle se passionne pour les études, et pour la langue française aussi, qu’elle ne commence à apprendre qu’à son entrée en 6ème.
Sa culture au service d’une carrière
Attirée en premier lieu par le tourisme, Yesta part faire un stage en hôtellerie à l’hôtel IBIS à Tahiti, et poursuit avec un BTT (Brevet Technicien Tourisme).
“Quand on venait de Raiatea, être à Tahiti c’était « woaaah » ! Un peu comme le rêve américain. Nous sommes en 1988. J’ai fait mes 3 mois de stage, et je ne suis jamais rentrée. Tahiti me plaisait trop ! ”
Le tourisme laisse rapidement place à d’autres horizons professionnels, comme journaliste et rédactrice pour Radio Tefana.
“A l’époque il fallait traduire en tahitien les infos en anglais qui venaient du pacifique. Je trouvais que c’était une bonne école car ils parlaient tous très bien le tahitien. L’intonation est importante, la prononciation aussi. On se moquait de moi au début. (rires) ”
En 1989, elle rejoint le département communication de la Mairie de Faa’a, où elle restera pendant 7 ans. Elle y gagne en expérience et approfondit sa maitrise du reo tahiti.
“Puis j’ai démissionné. Je voulais enseigner, je ne sais pas pourquoi. Je voulais changer. Quand tu décides quelque chose, tu le fais. ”
La transmission
En 2007, elle est recrutée comme professeure remplaçante de tahitien au lycée Paul Gauguin. Depuis, elle n’a jamais cessé d’enseigner : collège, lycée, université, ESPE (Ecole Supérieure du Professorat et de l’Éducation, anciennement l’IUFM), ou encore pour Traduction Tahitien. Elle se reconnecte à sa culture, la transmet à ses élèves, et développe une vision de changement de certains aspects de la société polynésienne actuelle.
“Pourquoi ne pas marquer par un jour férié Mataarii i raro1 ou les unu2? Il y a la journée du potiron, la journée du cheval, pourquoi pas alors la journée de Taaroa3 ? On aimerait bien asseoir notre culture, et pas seulement sur les lèvres. Il faut changer le système pour pouvoir mieux transmettre aux autres. La politique peut le faire, et c’est pourquoi j’ai voulu l’intégrer. ”
Yesta entre alors en politique, dans une volonté de rendre à la culture polynésienne la place qu’elle estime lui revenir. En attendant, elle prend du plaisir à parler reo tahiti et à le transmettre à ses enfants et à ses élèves, en classe ou en visio-conférences.
“Parler tahitien est une façon de vivre, de voir les choses… c’est une façon de ressentir les choses. ”
Son rêve ? Ouvrir une école de reo tahiti en immersion.
“Chez les Tahitiens, on ne s’enferme pas dans une salle pour enseigner, on le fait en pleine nature. Le Tahitien montre les choses. Quand le papi apprend à son mootua comment coudre le filet, c’est en lui montrant comment faire, et pas sur un tableau. C’est ce que je rêverais de faire revivre. ”
1 Période de mai à novembre, correspondant à la saison sèche de la disette, tau o’e, mais aussi à la disparition de la constellation des Pleiades. La période de novembre à mai, lever des Pleiades et saison dite de l’abondance (tau ‘auhune), s’appelle Matarii i ni’a. Pour en savoir plus, cliquer ici.
2 saisons
3 ancêtre de tous les dieux polynésiens. Pour en savoir plus, cliquer ici.
Propos recueillis par Vainui Moreno
Lubomira Ratzova
Rédactrice Web
©Photos : Yesta Tefaaite – Vainui Moreno pour Femmes de Polynésie