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Culture

Titaua Raapoto : le tapa comme seconde peau

Publié le 15 décembre 2023

Vivant la culture polynésienne à pleins poumons tout en enseignant le français à Raiatea, Titaua Raapoto a fondé avec son mari et quelques irréductibles l’association ’A Nui Taputapuātea. À travers elle, Titaua réactive rituels, pratiques et gestes anciens qui la relient intimement à l’histoire de son peuple. Le tapa, cette étoffe locale à base d’écorce, est le coup de cœur qu’elle présente à Femmes de Polynésie.

Avant l’arrivée des explorateurs occidentaux, des missionnaires et, par conséquent, des cotonnades, les Polynésiens portaient des vêtements en tapa. Cette matière les accompagnait de la naissance à la mort puisque tout bébé y était emmailloté et tout défunt en était enveloppé. Le mythe de gens nus accueillant les navigateurs étrangers provient sans doute du fait que cette matière ne résiste pas à l’eau. Avant d’aller dans la mer à la rencontre des étrangers, les insulaires se dévêtaient. À l’époque également, il était de coutume de baisser son tapa devant un chef en signe de respect.

« C’est à la naissance de mes enfants que l’envie d’agir pour ma culture est devenue forte. Avec mon époux Wilfried, on avait le sentiment de ne pas en avoir été suffisamment imprégné quand on était jeune, d’avoir manqué de connaissances et de pratiques. Alors, on a décidé de s’engager activement pour nos enfants. »

Une matière tapée et non pas tissée

Le tapa provient des arbres, en particulier de quatre essences : le banyan (tumu ’ora), le mûrier à papier (te aute), l’arbre à pain (tumu ‘uru) et le figuier des teinturiers (tumu mati). On part d’une branche de 10 à 50 cm que l’on gratte superficiellement avec un coquillage. Puis commence le premier travail de battage. Posée sur une enclume, la branche est frappée à l’aide d’un maillet de forme rectangulaire. Au bout d’un quart d’heure, l’écorce se détache tel un rouleau de papyrus ; elle est mise à tremper pour être attendrie et aplanie.

« Le tapa me rattache à mon passé, mes origines, mes racines. »

S’ensuit la deuxième phase de battage, longue, dure et décisive quant au rendu final. L’écorce mouillée est placée à nouveau sur l’enclume et battue avec le maillet qui casse progressivement la fibre du bois. Petit à petit, l’écorce s’affine et s’agrandit jusqu’à tripler de longueur !

« Pour s’encourager, on entonne un Pata’ uta’u, une ritournelle qui ancre dans la mémoire tout le vocabulaire de cette activité, de l’enclume te tutua aux habits ’ā’ahu. »

En 2017, Titaua s’intéresse plus intensément au tapa par le biais des classes Patrimoine du collège de Faaroa dans lequel elle enseigne.

« Je connaissais l’étoffe mais pas le procédé car, petite fille, je n’avais jamais assisté à sa fabrication. J’ai alors été présentée à une Marquisienne qui le pratique encore de nos jours à Taha’a. J’ai voulu que mes élèves aient la chance de s’initier au processus en entier, par conséquent, je les ai emmenés trois jours sur l’île voisine où cette artisane leur a montré toutes les étapes de confection. »

Quelques mois plus tard, restant sur sa faim, Titaua se rend au Fare Iamanaha, le Musée de Tahiti et des Îles, dans le but d’y rencontrer Hinatea Colombani ; la fondatrice du centre culturel et artistique ’Arioi y animait des ateliers culturels un dimanche par mois.

Titaua rayonnante, en juillet 2023, lors de l’accueil d’un groupe maori sur l’île sacrée.

« Et comme ce n’était pas assez, en 2021, j’ai fait venir Hinatea jusqu’à Raiatea afin qu’elle dispense ses savoirs auprès des membres de l’asso ’A Nui Taputapuātea. Et depuis, je n’arrête plus ! Je crois que je n’aurai jamais fini d’apprendre. Une partie de moi voudrait se rendre aux Fidji, aux Tonga… dans ces îles où les gens vivent le tapa au quotidien, battant tous ensemble des heures durant comme autour d’un lavoir et obtenant de magnifiques et imposantes pièces. »

Le rêve de Titaua : une pépinière à tapa

Il faut bien le reconnaître, cet artisanat, en comparaison avec le tressage ou le tatouage, se fait très discret, a fortiori aux Îles-sous-le-Vent.

« Ce qui nous bloque, c’est la matière première, à savoir l’écorce de mûrier à papier ou encore celle du figuier des teinturiers. Ces arbres sont très rares sur Raiatea. On se reporte alors sur le ’uru bien qu’on en maîtrise moins le battage. En effet, quand je compare mon travail avec celui de Marquisiens, le résultat n’est pas aussi bon. Par exemple, ils réussissent à enlever l’écorce externe pour ne garder que le liber en opérant par pliage alors que, moi, faute de maîtriser leur technique, je me contente de gratter l’écorce. Il va nous falloir planter les essences manquantes ! »

Une fois la ressource trouvée, l’autre ambition de Titaua est de parvenir à confectionner de grandes pièces, des morceaux suffisamment longs et larges pour les porter en tunique ou ponchos. La technique consiste à assembler, par battage, plusieurs morceaux, mais aussi en employant une colle naturelle à base d’arrow-root ou pia, un tubercule dont on extrait l’amidon.

L’encre des tatouages

Même dans la décoration du tapa, Titaua a soif d’apprendre. Pour l’heure, elle utilise la même encre que celle utilisée jadis pour les tatouages. Celle-ci s’obtient à partir de noix de bancoul mises à brûler dans un four bien particulier. La suie qui se crée à l’intérieur du four est prélevée et mélangée à l’eau de coco, au monoï ou encore à la sève de bananier. Avec le fruit du pandanus en guise de pinceau, les réalisations sont ensuite peintes de tiki, gecko, frises en dents de requin et autres motifs traditionnels. Au cours des ateliers pratiques, qu’ils soient publics ou scolaires, Titaua ne manque jamais de glisser, sourire en coin, que le tapa ressemble à celui qui le fabrique.

Dans l’immédiat, un grand événement se profile. Du 17 au 22 décembre 2023, Rapa Nui accueille le festival Taputapuātea, un formidable rassemblement des savoir-faire et arts polynésiens.

Titaua Raapoto, à droite, célébrant l’abondance de pluie lors du Matari’i nia en novembre 2023 sur le marae Taputapuātea.

« Cela nous a semblé évident d’y aller ! ’A Nui Taputapuātea sera donc représentée par une petite délégation composée des fondateurs de l’association, du chanteur Olivier Tissot ainsi que de notre ’orero André Maramatoa. Je suis tout excitée à l’idée de battre le tapa chez eux car ils possèdent de vastes haies de mûrier à papier. Les Pascuans savent faire de belles capes peintes avec un pigment issu de la terre, j’ai envie de voir tout ça ! »

Nul doute que ces échanges vont encore renforcer sa motivation à fréquenter d’autres tapamakers. Quand certains d’Hawai, des Tonga ou bien des Fidji se déplacent sur Tahiti, Titaua souhaiterait que Raiatea soit davantage intégré à ces rencontres. Car le nombre fait la force. Pour préserver cette parure naturelle de l’oubli et la propager, il faut beaucoup de mains qui, ensemble, constitueront de grandes surfaces déclinées dans les tons ocre. Ces futures pièces admirables reflèteront le caractère éminemment précieux d’une matière que Hina offrait autrefois aux dieux.

Le tapa est souvent offert en cadeau lors de festival ou de visites de délégations étrangères.

¹La poudre d’arrow root est extraite du rhizome d’une plante tropicale, la maranta arundinacea.

Gaëlle Poyade

Rédactrice

©Photos : Gaëlle Poyade et ’A Nui Taputapuātea pour Femmes de Polynésie

Directeur des Publications : Yvon BARDES

 

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