Mayalen Zubia, préserver la diversité à travers les algues tropicales
Femmes de Polynésie vous invite à nouveau à l’université pour découvrir les laboratoires de recherche et l’étude des algues avec Mayalen Zubia. Enseignante-chercheuse, cette scientifique s’intéresse à la diversité des algues tropicales en Polynésie et s’engage activement pour leur préservation.
Recherche, voyages et Fenua
« Au départ, je voulais faire de la logistique humanitaire. Petite, je ne me voyais pas du tout travailler sur les algues. »
Et pourtant… Mayalen Zubia s’inscrit en IUT agroalimentaire, puis en licence DEA en environnement marin. Pour son stage de Master Environnement à Marseille, elle travaille sur les coraux.
« A la fin du master, on m’a proposé un stage sur les algues en Polynésie française, avec Claude Payri. C’est comme ça que j’en suis venue à travailler sur les algues : un hasard, une opportunité. Comme je voulais voyager, j’ai sauté sur l’occasion.
Elle arrive ainsi à Tahiti. Après trois mois, elle s’inscrit en thèse à l’Université du Pacifique où elle effectue des recherches sur la valorisation industrielle des algues proliférantes : Turbinaria et Sargassum. Il s’agit de recherches appliquées pour l’Université et l’industrie (le laboratoire Cairap et l’entreprise, Technival) dans le cadre d’une convention CIFRE [1].
A l’issue de sa thèse et de son travail en laboratoire, elle poursuit ses recherches sur les algues, d’abord aux Canaries, dans une entreprise de fertilisants biologiques à base d’algues, puis au Mexique pour étudier les activités antioxydantes des algues. Après un bref retour en Polynésie, elle repart à Brest où elle crée la plateforme Biodimar, dédiée à l’extraction et à la purification de molécules actives à base d’algues.
Deux ans plus tard, notre chercheuse-voyageuse rejoint une ONG à La Réunion, l’ARVAM [2], afin de développer ses recherches dans l’Océan Indien. Elle travaille sur des projets d’inventaires de biodiversité, de suivis environnementaux et sur différents programmes en biotechnologies marines (culture d’algues).
« Il y a 11 ans, j’ai postulé à l’université de Polynésie française comme maître de conférence sur la diversité des récifs coralliens, en me concentrant sur les algues. C’est ici que je suis restée le plus longtemps. Avant j’aimais bien bouger tout le temps. Mais ce poste me plait beaucoup. »
Mayalen occupe aujourd’hui un poste d’enseignante-chercheuse, partageant son temps entre les cours et le travail de terrain.
« Je n’avais jamais enseigné avant. Je me souviendrai toujours de mon premier cours en amphi. Je n’étais pas très à l’aise au début, terrorisée, . Mais je fais ça depuis dix ans, et je me rends compte que j’adore ça. »
Pratiquer le terrain pour en connaître la richesse
« Ce qui me passionne dans la recherche, c’est la diversité des algues. D’un point de vue génétique, il y a trois grandes catégories d’algues: les vertes, les rouges et les brunes qui sont très éloignées d’un point de vue évolutif. Et puis les algues sont incroyables avec toutes leurs couleurs, leurs textures: je les trouve très photogéniques. »
Le travail de Mayalen porte essentiellement sur les algues tropicales récifales. Elle met d’abord en avant la nécessité d’identifier les espèces locales et d’évaluer leur diversité. Elle souligne l’importance de faire des inventaires en utilisant des outils génétiques comme le «barcoding »[3], en particulier dans les territoires d’Outre-mer.
Ensuite, il y a un volet écologique qui permet d’étudier les proliférations d’algues et de tenter de trouver des solutions en collaboration avec les acteurs locaux. Enfin, elle prône la valorisation des algues tropicales à l’échelle locale.
Pour cela, elle implique ses étudiants :
« Le terrain c’est ma spécialité. J’adore être dans l’eau, récolter des espèces…. Je le fais de moins en moins avec mon poste actuel, mais je le partage avec les étudiants. Je fais des Travaux pratiques en lagon et des suivis participatifs. J’enseigne la biologie, les sciences environnementales, les écosystèmes tropicaux… Je fais un maximum le lien entre la théorie et le terrain que ce soit en lagon ou en forêt. »
Elle a aussi fondé l’association EkoAlg dédiée à la connaissance des macroalgues tropicales, mêlant l’étude de la biodiversité, la formation des gestionnaires et la sensibilisation du grand public, notamment les scolaires.
Les algues: une richesse naturelle et culturelle à préserver
Mayalen s’implique particulièrement dans son domaine de recherche car il peut avoir des applications directes dans la société.
« En Polynésie, on est déjà bien avancé sur ce point. J’ai développé de nombreux projets de valorisation au sein de l’UPF, mais aussi en collaboration avec la DAG [4] pour créer des biostimulants, ou avec la DRM [5] pour développer l’algoculture. Ce qui m’intéresse ce sont surtout les algues alimentaires. Autrefois, on les ramassait en bord de mer et on les mangeait. Le littoral, qui était un espace terre-mer, était un véritable garde-manger, avec des ressources accessibles. Les algues sont fortement ancrées dans les traditions polynésiennes. »
A travers cet intérêt pour les algues comestibles, c’est donc la question des pratiques locales qui est abordée. Pour traiter ce sujet, Mayalen mène un important travail de publication et de communication pour montrer les aspects positifs des algues tropicales récifales. Son projet actuel porte sur la réalisation d’une exposition itinérante visant à sensibiliser sur ces espèces souvent négligées. Elle combine ainsi ses recherches académiques avec des actions de sensibilisation et de préservation de ces espèces pour valoriser l’algue récifale au sein des pratiques polynésiennes.
« C’est vraiment un sujet qui me tient à cœur. La diversité c’est aussi la diversité culturelle. C’est essentiel de connaître cette diversité si on souhaite revenir à des ressources locales, qui sont à notre disposition, et gagner en autonomie. Il faut retrouver toutes ces connaissances et ces pratiques ancestrales qu’on a un peu oubliées. C’est essentiel. »
[1] Convention industrielle de formation par la recherche
[2]L’agence pour la recherche et la valorisation marines est une association qui agit à la Réunion et dans l’Océan Indien.
[3] Qui permet de donner un code-barre à chaque espèce.
[4] Direction de l’Agriculture.
[5] Direction des Ressources Marines.
Rédactrice
©Photos : Marie Lecrosnier–Wittkowsky pour Femmes de Polynésie et Mayalen Zubia
Directeur des Publications : Yvon BARDES