« L’origine du rouge et des pétards au nouvel an chinois »
Une fois n’est pas coutume, pour marquer le début de ce nouveau cycle sous le signe du Rat, Femmes de Polynésie a choisi de partager avec vous un conte traditionnel chinois. Ce partage, nous le devons à l’épatante Léonore Caneri 1, qui s’est déjà confiée à Femmes de Polynésie, et qui anime un rendez-vous mensuel à la Maison de la Culture: L’heure du conte à la bibliothèque enfant. Mercredi dernier, elle présentait « L’origine du rouge et des pétards au nouvel an chinois ». Bonne lecture à tous et Kung Hei Fat Choy !
A l’époque, des puissants dragons qui vivaient sur la terre et dans les mers, personne à Taiwan ne célébrait le nouvel an lunaire. Dans un certain village, ce jour est le plus mauvais jour de l’année parce qu’un jour, un habitant avait tué un dragon des mers. Tout le monde sait que c’est une chose à ne pas commettre, car on sait que le fantôme de dragon revient hanter le village chaque année à l’aube du nouvel an.
Lorsqu’il apparait, il secoue son horrible tête et hurle:
– J’ai faim. Donnez-moi un fils premier-né à manger!
– Non! non! Nous ne ferons pas ça ! – répondent les villageois en pleurs. Nous ne vous donnerons pas d’enfant à manger!
– Alors je vous tuerai tous!
Et le fantôme de dragon souffle son haleine puante et chaude en direction du village. La fumée s’insinue partout et la population se met à tousser. Certains perdent même connaissance. Le plus sage du village, se rendant compte que le fantôme de dragon pourrait facilement les faire tous mourir, décide à contrecœur de donner un enfant nouveau-né afin de sauver le reste du village. Il espère qu’avec cette offrande, jamais plus le fantôme de dragon ne reviendrait. Mais année après année, le fantôme de dragon revient et année après année, une famille doit sacrifier son fils premier-né pour le satisfaire.
Cette année-là, c’est au tour de la jeune Veuve Teng de sacrifier son seul enfant, un beau garçon qui va avoir cinq ans. Comme le veut la tradition, quatre jours avant le nouvel an lunaire, le prêtre Taoïste quitte le temple et s’en va à travers le village jusqu’à la maison de l’infortunée qui doit sacrifier son premier enfant. Comme il marche en direction de la crique, là où se trouve la maison de la Veuve Teng, tous les villageois se demandent :
– Où va-t-il cette année ?
– Chez la Veuve Teng – dit une femme
– Oh non pas chez elle. C’est son seul enfant ! – s’écrie une autre.
Les voisins de la Veuve Teng se sont rassemblés tout autour de la maison. Ils s’attendent à des cris de douleur au moment où elle apprend la terrible nouvelle. Mais rien. Aucun son ne parvient de sa petite maison. Lorsque le prêtre repart, ils se précipitent et la trouvent assise dans sa cuisine.
– Le prêtre ne vous a pas dit les nouvelles ?
– Oui, il m’a dit – répond la veuve calmement.
– Mais pourquoi ne pleurez-vous pas ?
– Parce que je n’ai pas de temps pour pleurer – leur dit la Veuve Teng. Je pense à une façon de rouler le fantôme de dragon. Il n’aura pas mon fils !
Pendant trois jours et trois nuits, elle arpente le sol essayant d’échafauder un plan. De temps en temps, elle fait une pause et regarde son fils qui joue dans la cour. Elle prie aussi à l’autel de ses ancêtres et à tous les dieux qu’elle connait. Lorsque son fils s’endort, elle s’assoie à côté de lui et lui caresse doucement le visage qui ressemble tellement à celui de son père. Elle va même consulter la diseuse de bonne aventure, les prêtres et chacun dans le village. Mais personne ne sait que faire. La situation semble désespérée.
Lasse de tant attendre, de tant marcher, de tant prier, elle finit par s’endormir épuisée sur le sol devant l’autel des ancêtres de la famille. Son fils qui l’a vue se dit qu’il ne doit absolument pas la réveiller car elle doit sans doute rêver et il ne veut pas couper son rêve…
Bien lui en prit, effectivement sa mère rêve, une masse de rêves lui vient dans un ordre décousu, tous les rêves qu’elle n’a pas eu durant ces trois jours de veille. Elle y voit des dragons et des fantômes, la peur et la crainte, des enfants innocents et de la douleur, du sang et de grands bruits et puis de la joie le tout tourbillonnant dans sa tête.
Quelque heures avant l’aube, elle s’éveille et doucement secoue sa tête encore douloureuse d’avoir tant rêvé. Et là, un miracle se produit. Les images décousues s’assemblent et elle sait ce qu’il faut faire. Les dragons de son rêve avaient peur de deux choses : de la vue de sang et des bruits violents.
– Mon plan sera simple – se dit-elle. Je mettrai le sang sur ma porte et je ferai tant de bruit que le fantôme de dragon sera effrayé et partira en courant… Du sang … je suis si pauvre que je n’ai pas même un poulet à tuer pour prendre son sang.
Elle prend alors son couteau le plus pointu et se coupe au doigt, laissant gouttes à gouttes couler son sang sur un tissu, jusqu’à ce qu’il soit entièrement teint. Elle prend le tissu et l’accroche à l’extérieur, sur sa porte.
– Maintenant faire des bruits violents… Les pétards seraient le mieux mais je n’en ai pas. Je suis si pauvre que je ne pourrai pas en acheter et en plus, il n’y a aucun magasin ouvert aujourd’hui.
Elle réfléchit et pense aux bambous. Elle sait que lorsque des morceaux de bambou brûlent, ils se fendent dans un bruit épouvantable. Elle prend son couteau et s’en va dans le froid en couper une douzaine de grands morceaux. Elle les place en pyramide devant sa porte juste au-dessous du tissu taché de sang. Ainsi disposés, ils brûleraient rapidement et éclateraient tous à la fois.
– Quand devrais-je allumer le feu ? Juste à temps. Ni trop tôt, ni trop tard. Juste au moment où le fantôme arrive et que ça lui pète au visage.
Elle allume une petite torche et s’accroupit dans l’embrasure de la porte, attendant l’aube et la venue du fantôme du dragon. Elle attend et attend. Le temps s’étire, c’est long, très long, si long qu’elle a l’impression que le soleil est gelé au-dessous de l’horizon et ne monterait pas aujourd’hui. Tout est calme, si calme que le seul bruit qu’elle entend sont les battements de son cœur. Finalement la lune et des étoiles commencent à disparaître du ciel. Puis elle entend le hurlement du fantôme de dragon qui rentre dans le village…
– Est-il temps d’allumer le feu ? Non, le fantôme de dragon est encore trop loin.
Chacun dans le village est tapi dans son lit sous les édredons et les couvertures. Personne ne dort sachant que la Veuve Teng attend le fantôme de dragon. Seul son fils dort tel un ange.
Soudain, on entend un hurlement. Le fantôme de dragon doit être en bas au centre du village. C’est le moment pour elle d’allumer le feu. La Veuve Teng prend sa lanterne, l’incline vers la pyramide de bambou et l’enflamme. La terre tremble sous le poids du fantôme de dragon qui marche vers sa petite maison. Il descend à présent sa ruelle, il s’approche…
Arrivé devant chez elle, le fantôme de dragon s’immobilise d’un coup, il hurle en voyant le linge taché de sang, et les os de la veuve tremblent. Au même moment, le feu de bambou éclate. Terrifié par la vue du sang humain et par le bruit des bambous qui éclatent, le fantôme s’enfuit en courant à travers le village.
Le jour se lève. De grosses larmes de joie coulent sur les joues de la Veuve Teng, son fils est vivant… Les gens du village arrivent en courant. Les gongs se mettent à sonner de tous les côtés, ils célèbrent ce grand jour tandis que les pétards font éclater la joie !
Et depuis ce jour, chaque année, dans chacun des villages, on met des papiers rouge-sang autour des portes et on allume des pétards bruyants à l’aube et depuis lors, le fantôme de dragon n’est jamais revenu.
1 Lire le Portrait de Léonore Caneri
Plus d'informations
Prochain rendez-vous : mercredi 26 février, 14h30 : conte Roms “Le premier violon”
Entrée libre
Renseignements au 40 544 541 / Page Facebook : Médiathèque de la Maison de la culture / www.maisondelaculture.pf
Bibliothèque enfants
Vainui Moreno
Rédactrice Web
©Photos : Vainui Moreno pour Femmes de Polynésie