Liou Law Tumahai, 30 ans de recherche sur les expéditions espagnoles à Tahiti
Si le milieu universitaire peut paraître obscur et inaccessible à certains, Liou Law Tumahai déjoue les clichés qui entourent le monde de la recherche. C’est avec passion qu’elle nous partage son travail dévoué sur l’histoire peu connue des expéditions espagnoles à Tahiti des années 1770. Cette chercheuse est à ce jour la seule professeure polynésienne maître de conférences d’espagnol au fenua. Aussi douce que déterminée, Liou impressionne. Femmes de Polynésie revient sur sa contribution à l’ouvrage collectif “Une histoire de Tahiti, des origines à nos jours”, à l’origine de l’exposition actuellement présentée à la bibliothèque de l’UPF jusqu’au vendredi 13 mars prochain.
La découverte d’une histoire moins connue du Tahiti précolonial
La carrière d’enseignant-chercheur de Liou commence par l’obtention d’une bourse d’Etat pour étudier la littérature classique espagnole en métropole. Dès son arrivée à l’Université de la Polynésie française en 1992, elle opte pour une conversion thématique vers l’histoire pré-coloniale.
“À mon retour au fenua, j’enseigne d’abord dans le secondaire. À l’ouverture de l’UPF, je démarre en tant que vacataire, jusqu’à l’ouverture du poste de maître de conférences en Langues Etrangères Appliquées.”
À l’époque où elle commence ses recherches sur la conquête espagnole dans le Pacifique sud, elle se surprend à découvrir qu’aucun autre chercheur ne travaille sur ce sujet de la fin du 18e siècle. C’est l’ouvrage de Corney1 écrit en 1908, ainsi que les trois volumes de “The quest and Occupation of Tahiti by emissaries of Spain during the years 1772-76”, qui ouvrent la piste de ses recherches personnelles.
“Deux missionnaires espagnols, en provenance du port de Callao au Pérou, ont séjourné à Tautira pendant un an en 1774, mais personne ne le sait ! Ils ont largement documenté leur séjour, témoignant de la vie des Polynésiens de l’époque, alors vierges de tout contact.”
Sur la piste des missionnaires espagnols arrivés à Tautira
Cette découverte représentera désormais sa mission : faire connaître tout document relatif à ces expéditions espagnoles, dont trop peu de gens ont connaissance.
Internet n’existait pas encore au début des années 1990. Liou parcourt alors le monde pour avoir accès à ces sources historiques, forte de ces deux doctorats obtenus en 1981 et 1991. Elle écume les centres de documentation : les archives générales des Indes à Séville, le Musée Naval à Madrid, la bibliothèque nationale du Chili, les Archives d’Ocopa au Pérou, le British Museum de Londres. C’est à la BNF qu’elle déniche le journal manuscrit de Máximo Rodríguez, soldat-interprète entre Tahitiens et Franciscains, auquel elle dédiera son travail de recherche en tant que retraitée.
“Après ces trouvailles, encore fallait-il déchiffrer la calligraphie de l’époque et l’ancien espagnol, traduire et confronter les sources qui ont plus de 2 siècles.”
Liou s’adonne alors à un travail minutieux sur plus de trente ans, afin que Tahiti soit plus riche de son histoire. Dans cette optique de partage du savoir, elle publie des articles dans le BSEO[1] et le Hiro’a.
Une histoire de Tahiti
Alors qu’elle a pour habitude de travailler en solitaire, elle embarque récemment dans l’aventure éditoriale “Une histoire de Tahiti” avec un groupe de 8 enseignants-chercheurs. Cet ouvrage, qui raconte pour la première fois sous une forme synthétique 1 000 ans d’histoire de Tahiti et des îles de la Société, fait l’objet d’une adaptation sous forme d’exposition. Si celle-ci est présentée à l’UPF jusqu’au vendredi 13 mars, elle est appelée à circuler par la suite dans les établissements scolaires et les institutions du pays.
“Je m’adresse aux jeunes : il faut aller jusqu’au doctorat, déchiffrer d’autres documents relatifs aux expéditions espagnoles et poursuivre ce travail de reconquête de notre passé. Il nous fait militer pour une vision ‘indigène’ de l’histoire, et dévoiler cette histoire oubliée ou tue.”
1 Corney, Bolton Glanvill, (1851-1924), The voyage of captain Don Felipe Gonzalez : in the ship of the line San Lorenzo, with the frigate Santa Rosalia in company, to Eastern Island in 1770-1
2 Bulletin de la Société des Etudes Océaniennes
Plus d'informations
Vaea D.
Rédactrice Web
©Photos : Vaea D. pour Femmes de Polynésie, Liou Tumahai