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Culture

« Dites-nous, les arbres… » – Alexandre Moeava Ata

Publié le 17 juillet 2023

Nouvelle chronique, nouveau sujet et pas des moindres, la littérature en Océanie. Cet amour et cette envie de mettre l’accent sur les livres vient d’un désir d’une passionnée de littérature qui, abreuvée par des années de lecture de tout horizon, souhaite mettre en avant nos trésors et notre mémoire, ainsi que ceux de ces espaces non si loin de nos îles.

Ceci est un rêve éveillé, fougueusement animé par une volonté de faire rayonner cette littérature délaissée par le fast-food des réseaux sociaux, de ranimer la flamme des lettres perdues, pour qu’enfin les cœurs et les esprits s’épanouissent. Dans l’évasion et la compréhension mais aussi dans l’étude et la connaissance.

Et pour cela, je vous propose que l’on se donne rendez-vous tous les lundis pour présenter une œuvre littéraire. De sa délicatesse à ses sujets poignants, de sa ponctuation à son oralité ancestrale, nous voguerons à travers l’imaginaire, les souvenirs et le présent des auteurs.

LE CORPS DE L’ŒUVRE

Les sujets évoqués →

Arbre, mémoire, voyage
Lorsque nous rencontrons cette œuvre, les plis de la couverture entrelacés dans nos doigts et la quatrième de couverture soutenue par les auriculaires, affirmant la prise en main du corps du livre, nous étonnent tout d’abord par sa prestance atypique. En effet, son allure filiforme donne déjà l’accent sur les sujets : les arbres.

Cependant, il n’est pas seulement question de palabrer dans un pré, sous le feuillage bruissant de nos forêts, où s’entrechoquent troncs et branches, dans un rythme étourdi, apprêté de ses odeurs de pins et de vent rafraîchi. Chaque partie du livre est l’histoire d’un arbre, d’ici ou d’ailleurs, dont les souvenirs humains coulent dans sa sève. Ses racines, solidement accrochées au passé, les branches élancées vers l’avenir, il nous conte les remembrances de personnes, d’un antan achevé bien que robustement célébré.

« Dites-nous, les arbres… », est un roman où purau, marumaru mais aussi sakura et figuier disent en silence ce que les hommes pensent être la contemplation. Ils chuchotent entre les feuilles leurs histoires et leurs mémoires aux humains, à ceux qui prennent réellement le temps de les écouter, peut-être en se complaisant dans une sorte d’une inaction apparente. Mais c’est en ce temps de latence, que des secrets jamais révélés sont offerts par ces végétaux.

 « […] comme si, par le ata commun aux îles, une divinité s’était glissée dans ce majestueux arbre, qui, de fait, raconte en silence, parfois en tremblant de son feuillage en mouvement perpétuel sous le vent constant, l’impossible histoire d’avant […] »

MES IMPRESSIONS

Le tronc de l’œuvre nous donne à admirer ses cernes où des années comptées se déploient entre lignes d’histoires et de mémoires. Un chapitre est un arbre, le lieu d’un souvenir, la mélancolie d’une époque au vu de notre position de lecteur actuel, moderne.

 « Les vastes ramures du marumaru furent témoins de bien des conduites et entendirent beaucoup de choses dites. Le plus cocasse fut bien le spectacle du robuste planton, RL, ramenant dans ses bras la riche duchesse écossaise aux trois quarts nue. »

Parfois c’est avec un sourire malicieux de voyeur que nous réjouissons notre curiosité mal placée, et d’autres fois, c’est avec un pincement au coeur que nous acquiesçons ou que l’on prend conscience de faits.

 « La route goudronnée amena avec elle de sérieux changements dans la composition démographique et l’habitat. Le voisinage devint plus aisé, et même riche, parfois richissime, le long de la plage. La tahitienneté recula vers les collines, côté montagne comme on dit. Ce reflux fit du littoral une zone réservée, pas encore privatisée : seuls quelques accès publics ont été ménagés pour atteindre la mer. »

Ce sont des histoires de personnalités, parfois anonymes, seulement nommées par des initiales, mais ce sont aussi des histoires d’hommes et de femmes, connus ou inconnus qui se pavanent dans les rues, secrètement observées par nos arbres et ceux d’autres pays.

 « La terre de Pi’afau fut acquise de Teri’i Marau, qui résidait plus loin à l’Ouest, près de Vaitupa, très fréquentée pour sa source d’eau potable rafraîchissante qui attirait baigneurs et assoiffés, jusqu’à ce qu’un étourneau en mal de bon sens en empêche l’accès. »

Mais je me suis uniquement focalisée ici sur des extraits locaux, est-ce adéquat ? Je ne pense pas mais ceci est un choix.
Et puis dans ces longues phrases décrivant moult péripéties d’une autre époque, s’insinuent furtivement mais avec sagacité des traces de l’évolution et ce qu’en découle cette modernité.

 « Les marae qui montent la garde à l’entrée ouest de la baie ont depuis longtemps été désertés des dieux ou des rites. »

Nonobstant ces diverses observations, nous n’oublierons pas la poésie qui se tord et se distord dans les embranchements de ces pages grises.

 « Les jeunes gens sortaient le soir, comme le font les crabes de terre. »

 « […] pour se convaincre de la place éminente que tient cette fleur aux pétales en lambeaux, sirupeuse, entêtante, et dont tout Samoan se pare avec naturel et simplicité. »

Une poésie qui se construit à partir de souvenirs probablement naguère racontés par des proches ou à jamais celés dans son esprit, mais cela nous ne le saurons jamais.

POUR QUEL PUBLIC

« Dites-nous, les arbres… » est un roman pas si aisé à lire. Les longues phrases et souplement tournées, donnent à voir un vocabulaire riche qui fait tressaillir les littéraires. Les sens en émois, nous nous délectons de ces nouveaux mots malaxés pour distinctement les dresser en une prose judicieuse, avec cette certaine manière de tourner les phrases, nous éblouissant d’images de ses histoires.

Il peut donc être sensiblement inconfortable pour certains lecteurs qui débutent ou reprennent la lecture. Il n’en reste pas moins lisible et accessible. Car tout livre est accessible à ceux qui en ont l’envie, la sensibilité ou le coup de cœur.

 « […] des ‘ahehe chuchotements d’hier hantent encore les esprits, c’est bien cela, esprits errants, discours sans auditoire, semés aux vents stériles, adressés au néant sans tain de cette nuit privée d’étoiles. »

Et vous, l’avez-vous lu ? Partagez vos impressions

Manutea Rambaud

Rédactrice

©Photos : Manutea Rambaud pour Femmes de Polynésie

Yvon Bardes, directeur de publication

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