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Culture

Anne Akrich : l’écriture, c’est ma vie

Anne Akrich : l’écriture, c’est ma vie

Publié le 4 juin 2018

Dans la famille Akrich, je demande la fille. Laquelle ? Kim, celle qui sublime les femmes dans ses clichés débordants de sensualité, un brin provocateurs, ou bien Anne, celle qui joue avec les mots dès les premières notes, adepte de l’autodérision et des univers intrigants qui vont de New York à Tahiti, le paradis perdu, jusqu’à la chair de sa chair ?

Il va sans dire que la créativité, c’est de famille ! Mais pour cette fois-ci, Femmes de Polynésie est allée à la rencontre de l’auteure aux racines mixtes, polynésiennes et tunisiennes, en vacances au fenua, accompagnée de son tout jeune enfant, Abel, premier garçon du clan Akrich.  Elle nous reçoit dans la maison familiale de ses parents à Pirae, un cocon rempli d’amour, de livres, de bougainvilliers et d’effluves alléchantes s’échappant de la cuisine aux petits oignons.

Des influences mixtes

Finalement, c’est en Polynésie que le père d’Anne, Gil Akrich, plus connu sous le nom de Taote Niho, aura passé le plus de temps. Né en Tunisie, arrivé en Polynésie dans les années 60 dans le cadre de son service militaire, il y rencontre sa vahiné et mère de ses filles.


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Anne naît à Paris et y vit jusqu’à l’âge de douze ans. Bonne élève à Tipaerui puis au Lycée Paul Gauguin à Tahiti, elle retourne à Paris pour suivre un cursus littéraire en hypokhâgne, puis à la Sorbonne.

« Mon enfance parisienne a été très heureuse. On venait en vacances en Polynésie. Ma maman tahitienne, famille Manuel et Mervin, a eu envie de rentrer. J’étais très contente quand je suis arrivée ici. Tahiti avait l’odeur des vacances. »

Enfant, la lecture n’était pas une évidence pour Anne. Ses parents l’y ont poussée, « c’était une obligation », mais grâce à eux, elle en vient à se passionner pour les livres, puis pour l’écriture.

« Au collège, j’étais toujours au CDI pour lire. La littérature française du 19ème siècle tout d’abord, puis on ouvre un peu le compas. Il y a toujours un/e prof qui te fait découvrir un monde nouveau. Pour moi, c’était Mme Cantarel. À la Sorbonne aussi, il y a des profs fabuleux dans ce lieu tellement beau. »

Arrivée à Paris à l’âge de 17 ans, elle est ravie d’y trouver une vie culturelle tellement simple d’accès.

« Le goût de la lecture est venu pour moi de l’ennui. Aujourd’hui, les enfants ne s’ennuient plus. La lecture demande des efforts de temps, de concentration si on n’a pas de goût immédiat pour cela. C’est une bénédiction d’avoir grandi dans une époque où les réseaux sociaux et Instagram n’existaient pas. »

L’envie d’écrire

À 23 ans, Anne arrête sa thèse après avoir obtenu un master en écriture de scénario et édition. Elle part à New York pour y écrire un film ; elle sait qu’elle ne veut pas faire de carrière universitaire.

« Je voulais écrire un roman. Comme j’avais besoin de temps, je gardais des enfants le soir. Si je prenais un vrai travail ça allait me ralentir. »

Pour Anne, l’inspiration vient petit à petit, mais elle sait où elle va avant d’écrire et a une idée de l’architecture générale du livre. Il y a des journées où elle reste devant son ordinateur à faire des recherches, et d’autres où l’inspiration est là. C’est dans les bibliothèques, qu’Anne trouve une ambiance qui la transcende et particulièrement à Paris, c’est dans celle de l’Académie française, La Mazarine, qu’elle travaille de 10h à 18h.

« J’ai besoin de rigueur dans mon travail quotidien. Je n’arrive pas à écrire 5 minutes sur un coin de table. L’écriture, c’est de la discipline. »

Le format d’un roman est celui d’une histoire longue. On y mélange le style et le récit.

« Même si l’on peut plus ou moins privilégier l’intrigue ou la langue, l’alliage des deux, la musique, le rythme et la manière d’agencer les mots sont essentiels. »

Pour Anne, il y a mille manières de faire : « le roman, c’est le genre de la liberté, pas un exercice normé, tu peux tout te permettre. C’est ce qui est merveilleux et terrifiant. »

« C’est difficile de parvenir à écrire un livre qui correspond à l’idée que tu t’en fais en amont. Quand tu as écrit un livre dont tu seras suffisamment satisfait pour pouvoir le présenter, le problème, c’est la publication. »

Après avoir envoyé son premier livre à une dizaine de maisons d’éditions, et essuyé de nombreux refus, Anne décide de l’envoyer à une petite maison d’édition, Julliard, qui est quand même l’éditeur historique de Françoise Sagan.

« La patronne m’a écrit pour me rencontrer. »

Trois livres en trois ans

Son 1er livre, « Un mot sur Irène », porte sur un couple d’universitaires dont le mari devient fou. Elle l’a écrit en un an et demi.

« Quand j’étais à New York, j’habitais chez une prof de gender studies. À la même époque, il y avait un fait divers, la mort du patron de Sciences Po, Richard Descoins. J’ai créé le livre autour de toutes ces influences. »

Son 2ème livre, « Il faut se méfier des hommes nus » écrit en un an, est une fiction autour de la biographie de Marlon Brando et l’histoire d’une jeune femme embauchée pour écrire un film sur ce monstre sacré du cinéma.

« C’est un mélange entre la vie de Brando ici et le retour de la narratrice au pays. »

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Son 3ème livre est une lettre qu’Anne adresse à son fils pour lui raconter d’où il vient. Elle met sept mois pour en venir à bout.

« C’est un portrait de ce qui le précède et ce qui l’attend. Un roman des origines. »

Au sujet de la littérature polynésienne

« Je ne crois pas à une identité territoriale de la littérature, ni à une littérature féminine et masculine. Chacun a son style, son regard. »

Pour Anne, les auteurs de Polynésie sont très liés à l’histoire de leur pays.

« Qu’est-ce ce que devrait être la littérature polynésienne ? Il y a toujours le risque de l’enfermement. On ne peut pas nier que l’histoire du pays et les blessures dont il souffre sont liées à l’époque de la découverte, à son passé colonial, à la question de la dépossession et de l’exil autant qu’à celui du fantasme du paradis perdu. Mais qu’est ce qui se cache derrière le paradis ? À ma manière, j’en parle aussi. »

Anne a pour projet d’écrire un autre livre sur la Polynésie.

« Il y a beaucoup de chose à dire sur la Polynésie, beaucoup de fils à tirer. Il faut donner une image contemporaine de ce lieu. Où en est-on aujourd’hui ? Quel bilan peut-on tirer de notre histoire ? »

Quoiqu’il en soit, pour Anne, il faut développer les problématiques propres à la lecture.

« Comment faire rentrer le livre dans la vie des gens ? C’est une problématique qui vaut pour le monde entier, le livre est en train de disparaître. »

Même si ses auteurs préférés sont Proust, Céline et Flaubert, Anne lit de tout ; des auteurs contemporains comme Mac Carthy, Joyce Carol Oates, Philip Roth et au moins un livre ou deux par semaine.

« Lire c’est merveilleux ! C’est la découverte de l’empathie. La littérature te donne accès à des profondeurs cachées. Elle va te donner des armes pour comprendre le monde et l’affronter. Finalement, on gagne du temps sur l’existence en lisant. »

Aux jeunes de Polynésie, Anne souhaite passer ce message :

« L’important c’est la lecture, quelle qu’elle soit. Du moment que l’on s’ouvre au monde. C’est le meilleur moyen de voyager quand on a des moyens limités. En lisant, on voyage, on n’a besoin de rien. »

Tehina de la Motte
Rédactrice web

© Photos : Femmes de Polynésie

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