
Vaea Cheval, pour l’inclusion des personnes sourdes en Polynésie
La Journée mondiale de l’audition a été mise en place par l’OMS en 2013, dans le but de sensibiliser à la cause des personnes atteinte de surdité. À cette occasion, Femmes de Polynésie vous présente Vaea Cheval, présidente de l’association Apa E Reo Nui, engagée auprès de la communauté sourde.
Vaea Cheval est sourde de naissance. Elle grandit à Papeete, dans le quartier de Mama’o. Un univers chargé de sons dont elle ne perçoit que les couleurs, car c’est dans le silence que la jeune fille se construit.
LES SIGNES : UNE LANGUE À PART ENTIÈRE
Alors qu’elle est encore enfant, Vaea intègre une école spécialisée pour ceux qui, comme elle, sont atteints de surdité. Mais à cette époque, dans les années 1990 à Tahiti, les moyens ne sont pas suffisants pour permettre un encadrement adapté.
« Les professeurs ne connaissaient pas la langue des signes. On communiquait avec eux grâce à un tableau et des craies. »

Les élèves, regorgeant de créativité, ont un point commun : leur déficience auditive. Comme tous les enfants, l’envie de sociabiliser est grande, leur curiosité intarissable. Ainsi, dans la cour de récréation, ils inventent leur propre façon de manier les signes.
« C’est un code qui a été instauré de manière très instinctive par la communauté. »
La communauté sourde de Tahiti se forge ainsi sa propre identité, créant le LSPF (langue des signes de Polynésie française).
« Chacun apportait un élément de langage à l’autre. Mais cela s’est perdu lorsque nous avons acquis la LSF (langue des signes française). »
LA CRÉATION DE APA E REO NUI
En 2011, Vaea Cheval et d’autres personnes concernées ou touchées par cette cause, décident de créer l’association Apa E Reo Nui.
« Moi, je n’y connaissais rien. On était cinq personnes et on avait une équipe qui nous a beaucoup aidé. On est arrivés à la conclusion que la personne qui présiderait l’association se devait d’être une personne sourde. »

Vaea est donc nommée à la tête de l’association. Sa motivation sans faille inspire ses semblables.
« Je suis un peu un ovni dans la communauté sourde. Je servais de modèle en quelque sorte. »
LES MISSIONS QUI LUI INCOMBENT
Dès son lancement, Apa E Reo Nui n’a pas manqué d’initiatives.
« L’association a vraiment pour but de créer un lieu de rencontres, de permettre qu’un savoir collectif se crée. »
Remarquant l’isolement des personnes sourdes au niveau local, Vaea Cheval désire profondément les regrouper sous une même bannière.
« Pour moi, c’est un vrai sujet d’inquiétude que les sourds soient isolés de part et d’autre. On ne pourra pas faire sans association. La communauté en a besoin. »
C’est donc dans cette lancée qu’elle propose des rencontres mensuelles au parc Paofai.
« La première mission a été de créer un café-signes. »
Mais Vaea ne s’arrête pas là. Elle milite pour que les informations télévisées et les discours officiels soient traduits en LSF, afin que les personnes sourdes ne soient pas exclues du débat public et des assemblées citoyennes. Elle se bat également pour l’ouverture d’un internat pour personnes sourdes, toujours dans cette idée de rassembler et d’échanger. Grâce à son association, plusieurs personnes sourdes ont déjà pu être accompagnées pour passer leur permis de conduire.
S’ENVOLER POUR MIEUX REVENIR
En 2019, Vaea bat des ailes jusque dans l’Hexagone, dans le but d’obtenir un diplôme qui lui permettrait un plus grand champ d’actions.
« Je veux devenir professeure de LSF. On en manque. Les enfants sourds n’ont pas de cours adaptés, la langue des signes ne leur est pas apprise à l’école. »

Un objectif pour sa communauté, mais également pour l’intérêt commun…
« J’aimerais travailler avec les personnes entendantes également : les former à accueillir, à recevoir les personnes sourdes. »
UN COMBAT À MENER AVEC FIERTÉ
Enfin, Vaea Cheval souhaite revendiquer son identité polynésienne à travers sa lutte.
« Ce que je veux vraiment, c’est faire reconnaître la LSPF comme une langue des signes à part entière. »
Près de 3000 personnes sont sourdes au fenua, et elles peuvent compter sur la détermination de la présidente pour porter leur voix, du bout des doigts, le cœur sur la main.

Rédacteur
Un grand merci à Yves Somaini pour son rôle d’interprète lors de cette interview, cet article ne serait pas sans son aide.
©Photos : Vaea Cheval pour Femmes de Polynésie
Directeur des Publications : Yvon BARDES