Heiani Frébault : mon fils, ma bataille
Elle s’affaire sur son stand de bijoux dans le hall de l’Assemblée pendant qu’un couple se penche sur une de ses paires de boucles d’oreilles en nacre. La vahiné, déjà conquise, sourit à son homme. Après quelques battements de cils et un regard complice avec sa belle, l’homme engage la conversation avec la créatrice des bijoux, Heiani Frébault. L’atmosphère s’emplit alors d’une douce bonté qui émane de l’artiste, malgré des traits légèrement tirés… Femmes de Polynésie vous raconte son émouvante rencontre avec cette « super » maman, dont la vie est remplie de défis, de larmes, mais aussi et surtout, d’amour inconditionnel.
« SES MUSCLES S’ARRÊTENT DE FONCTIONNER AU FIL DU TEMPS »
Petite dernière d’une famille de trois enfants, Heiani connaît une enfance paisible, très entourée par ses cousines du côté de sa mère. Après un bac littéraire, elle s’oriente vers des études de psychologie.
“Mes parents étant dans l’éducation, ils ont toujours été à l’écoute. Mais je passais plus de temps à faire des bijoux qu’à travailler. En novembre 2005, je me suis lancée et j’ai pris une patente pour pouvoir les vendre.”
Heiani commence par des expositions chez elle sur sa terrasse, puis organise des défilés, établit des partenariats avec Tahiti Eden Store, le Quai des îles et le Barramundi.
“J’ai eu mon fils Ra’i à 23 ans. C’est quand il a eu 5 ans que l’on a appris qu’il était atteint de la myopathie de Duchenne.”
Cette grave maladie dégénérative des muscles est aujourd’hui incurable. Heiani parle d’une espérance de vie limitée entre 13 et 40 ans.
“Tu sais, tu réalises l’importance de chaque moment que tu vis. Ils sont précieux. Tu as la santé, tu peux réaliser plein de choses. ”
L’émotion la submerge. Ses yeux s’emplissent de larmes. Pas pour très longtemps : déjà, un autre couple intéressé par une de ses créations, l’interpelle.
TENIR JOUR APRES JOUR
Des muscles, nous en avons pour l’articulation de notre squelette, mais aussi dans la paroi de nombreux organes comme le tube digestif, la vessie, les vaisseaux sanguins, le cœur… Leur bon état permet, entre autres, de sourire, de mâcher la nourriture, de marcher, de se tenir droit, à notre cœur de battre.
“Souvent c’est la mère qui transmet cette maladie à son fils. J’ai été testée et je n’étais pas porteuse. Il s’agit d’une modification génétique. D’un côté je suis soulagée, mais je me sens coupable de laisser mon fils seul dans ce combat-là.”
Quoi qu’il en soit, il faut faire ce qui doit être fait et trouver des solutions. Plus facile à dire qu’à faire ! D’autant plus que les médecins ne s’accordent pas sur le traitement à administrer.
“Le neuropédiatre n’était pas pour un traitement à base de corticoïdes. C’est un médecin de Paris, qui m’a donné des directives. Il a son carnet rouge1 et voit le kiné 4 fois par semaine. ”
Aujourd’hui, Ra’i a 11 ans et est élève au collège d’Arue, un établissement adapté à l’utilisation de son fauteuil électrique. C’est un pré-adolescent qui aime dessiner, jouer à Minecraft, mais aussi faire la course avec son fauteuil électrique. Il a une auxiliaire de vie de classe, un bon niveau scolaire, mais l’école le fatigue.
“Il est tombé dans les toilettes et quelqu’un est venu le chercher à la récré. Alors on lui a autorisé le téléphone portable. Beaucoup d’élèves le connaissent depuis la maternelle. Ils ont appris, comme nous, au fur et à mesure.”
L’IMPORTANCE DU SOUTIEN DE SON ENTOURAGE ET DE LA SOCIÉTÉ
“Il y a des moments de crise où tout est nul et où Rai en veut à tout le monde… En allant à la Fraternité2, au contact des autres enfants malades, il a appris à relativiser par rapport à sa maladie. Mais c’est toujours difficile de faire accepter l’appareil respiratoire, les attelles…”
Malgré leur séparation, Heiani et Marae, qui connaissent le vaste sentiment d’impuissance qui vient avec le drame de la maladie grave, s’occupent tour à tour de leur enfant. L’importance du soutien social qu’ils perçoivent est capital. Et pourtant…
“Là, je vais batailler pour avoir une aide qui va me permettre d’avoir une voiture adaptée. Nous portons Ra’i dans la douche mais sommes déjà tombés, c’est dangereux…”
Avoir le moral et l’énergie pour deux : pas toujours évident, malgré l’injonction au bonheur qui s’impose dans notre société.
“On se sent très seuls, on a tendance à se confier à peu de personnes.”
Certains regards de pitié, de gêne, de peur, de compassion… viennent quotidiennement rappeler la différence. Et si nous nous concentrions sur la personne, et pas sur le handicap ? Sans doute notre humanité grandirait…
1 Carnet de soins de la CPS pour les patients en longue maladie
2 La Fraternité chrétienne est une association à but non lucratif, subventionnée par le Pays, qui accueille des personnes en situation de handicap
Tehina de La Motte
Rédactrice Web
©Photos : Heiani Frébault