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Portrait

Moeata, âme de danseuse

Publié le 21 mars 2019

C’est une femme discrète et modeste dont nous vous racontons l’histoire et le parcours aujourd’hui. Moeata Laughlin est pourtant l’une des grandes dames du ori tahiti auprès de qui tant de talents actuels ont démarré. Elle a accepté de confier quelques étapes de sa vie à Femmes de Polynésie.

Elle a toujours vécu dans l’ombre du monstre sacré qu’est Gabilou, mais Moeata mérite qu’on fasse un focus sur elle, le temps d’un article.

Moeata est née d’un papa franco-italien nommé Sassone et une maman de la famille Tautu, à Papeete. Des pe’ape’a, soucis, familiaux ont un peu brouillé les origines exactes de sa maman. Elle a deux sœurs et deux frères, mais la petite Moeata a été adoptée. Elle était gravement malade et c’est son père adoptif qui s’est fixé comme mission de la sauver, avec l’aide de médicaments tahitiens traditionnels.

« J’ai été élevée à Raiatea, dans le district de Fetuna. »

À Raiatea, Moeata a été élevée dans le culte protestant et c’est par la paroisse qu’elle a approché la danse et les chants. Une époque et un milieu où l’on ne s’habillait pas comme aujourd’hui. C’est là qu’elle a été baptisée et son parrain était le grand pasteur de Fetuna.

« J’ai beaucoup appris avec mon parrain en lisant la Bible, pour améliorer mon langage tahitien »

C’est une maladie de sa maman fa’amu, adoptive, qui oblige la famille à venir sur Tahiti, et c’est à nouveau le papa, qui grâce à ses secrets sur la médecine traditionnelle, réussit à soigner son épouse. Un regret pour Moeata : que ses recettes miracles n’aient pas été partagées aux générations suivantes.
Une époque difficile pour la famille, avec l’obligation pour le papa de chercher un travail et aller habiter de ci, de là, à Papara, Vairao puis Fataua.

PREMIÈRE TROUPE DE ORI TAHITI : LES TAMARII FATAUA

Même si la petite Moeata avait déjà été danseuse à Fetuna, c’est à Tahiti qu’elle devient chef de troupe avec les Tamarii Fataua alors qu’elle n’a que 11 ans, et qu’elle gagne, par son talent et sa jeunesse dans ce groupe adulte, une belle popularité.

Elle fait sa scolarité à Pirae jusqu’en 4ème au collège, jusqu’au décès de sa maman, tandis que son papa continuait d’adopter deux enfants en bas âge, dont Moeata, qui avait une quinzaine d’années, devait s’occuper.

« Arrêter l’école pour m’occuper des petits, c’était MA décision. J’en avais parlé avec papa, et je voulais éviter que les enfants deviennent un souci pour lui »

Il faut dire que la maman adoptive avait plus appris les tâches ménagères à Moeata, que les différentes matières au programme scolaire. Et la jeune fille était particulièrement débrouillarde et volontaire comme lorsqu’elle voyait que son papa avait préparé des firi firi et qu’elle partait aussitôt les vendre. C’est avec cette même volonté, cette même détermination, qu’elle se fixe un défi…

« Je voulais tenir une promesse que j’avais faite à maman de son vivant : devenir meilleure danseuse du Heiva… Mais je n’avais que 16 ans et le règlement imposait un âge minimum de 18 ans »

Une demande est faite pour obtenir une dérogation permettant à une mineure de se présenter mais il y avait une condition préalable : que trois membres du jury viennent l’auditionner pour prendre leur décision. Et elle obtient l’accord de se présenter au Heiva avec la troupe Tamarii Fataua.

Ce n’est pas son premier concours, elle a déjà eu des titres de meilleure raatira à l’âge de 13-14 ans, et aussi des concours de chants auxquels elle est également récompensée. Mais cette fois c’est LE Heiva !

« John Gabilou en jury lors de deux concours »

Moeata se souvient que lors d’une compétition à Pirae, il y avait celui qui allait tenir un rôle essentiel dans sa vie : John Gabilou. Et une autre compétition à Tarahoi l’année où Julio Iglesias était venu voir son copain Gabilou.

« Mon projet à cette époque c’était d’être une bonne femme au foyer »

Lorsque son papa lui demande ce qu’elle veut faire de sa vie, quels sont ses projets, Moeata répond qu’elle veut déjà être une bonne femme au foyer. C’était sa priorité, réussir sa vie personnelle à une époque où l’on commençait à voir des jeunes filles de 14 ans tomber enceintes qui étaient chassées de leur foyer, ce qui était considéré comme une honte.

Et comme John Gabilou avait repéré cette jolie jeune fille, la question du mariage ne tarde pas à venir. Mais pour la famille de Moeata, il fallait se méfier de cet homme connu pour être un Don Juan, qui avait déjà des enfants. Le papa de Moeata était pourtant favorable à cette idée lui qui voulait un homme mûr pour sa fille.
La présence de toute la famille était nécessaire pour avoir un avis sur la question et pour signer une autorisation de mariage à une jeune fille mineure. D’où une réunion houleuse…

Pourtant, à l’origine, Gabilou voyait en Moeata, une femme idéale pour ses deux garçons, qui ne semblaient pas sensibles au charme de la jeune fille. Et comme Gabilou la suivait à la trace dans ses prestations et ses déplacements, il a même été jusqu’à la suivre à Hawaii lors d’un déplacement qu’elle faisait avec le groupe de Francis Teai. Sauf que Moeata repart au bout d’une semaine, et Gabilou ne la verra pas. Mais il la retrouve à Tahiti au motif d’enregistrer Moeata pour une chanson en duo ; qui ne se fera finalement pas.

LE MARIAGE AVEC GABILOU

Finies les sorties de fiancés avec Gabilou, le mariage est annoncé, et l’union des amoureux se fera en septembre 1985. Un mariage catholique pas facile dans la famille protestante de la mariée, mais le papa de Moeata donne sa bénédiction, estimant qu’il n’y a qu’un seul bon Dieu.

« Nous avons subi les ragots et les rumeurs pendant dix ans »

Un couple « people » comme on dirait aujourd’hui, qui, même si les réseaux sociaux n’existaient pas, subissait des on-dit comme la rumeur selon laquelle Gabilou frappait son épouse. Mais les gens médisants ne se rendaient pas compte que plus ils racontaient de bêtises, plus l’amour du couple se renforçait. Elle tient de son papa fa’amu, adoptif, le caractère bienveillant qui fait qu’elle n’a aucune rancune.

Moeata et Gabilou auront quatre enfants, deux filles et deux garçons, et trois mootua ensemble (sans compter les 16 petits enfants des cinq premiers enfants de John). Moeata découvre au fil du temps quel bon papa devient John qui se révèle aussi un mari adorable et bienveillant.

« Tout ce que j’aime, c’est m’occuper de mon mari, de mes enfants… j’aime les plantes, j’aime la danse et ça me suffit. J’aime ce qui est simple ».

C’est donc un bonheur simple qui constitue la vie de Moeata. Elle précise qu’elle ne va en ville que pour acheter le nécessaire pour confectionner les costumes de danse, ou pour chercher un cadeau lorsqu’il y a un anniversaire. Elle ne fait pas de dîners entre copines. John estime en effet, précise-t-elle en souriant, que c’est lui la meilleure copine de sa femme. Moeata se découvre et s’épanouit aux côtés de son homme qui la pousse à danser encore après la naissance de ses enfants, et qui la guide dans l’ouverture de son école.

L’ÉCOLE DE DANSE

Il y a 30 ans cette année, Moeata ouvre son école de danse à Faaa. Elle n’a pas de méthode particulière mais suit les conseils de sa maman et de ses grands-mères. En ce temps-là, il n’y avait que trois écoles de danse à Tahiti : le Conservatoire, l’école de Makau, et celle de Moeata. Alors qu’aujourd’hui il y en a plus de quarante.

« Il y avait des miroirs dans la salle et je me découvrais en me regardant danser »

Il n’y a pas de recette pour devenir meilleure danseuse, mais Moeata précise qu’elle n’a pas le trac, et qu’elle fonce. Et si elle fait des erreurs, elle fait en sorte de se corriger la fois d’après. L’effectif de son école a baissé du fait de la multiplication des écoles, et la concurrence des prix également. Mais Moeata est particulièrement exigeante avec ses jeunes élèves pour obtenir le meilleur. Et ceux qui ne s’accrochent pas ne tiennent pas le rythme en pensant que c’est trop dur.

Mais cette exigence se traduit ensuite par la consécration de jeunes femmes qui obtiennent le titre de meilleure danseuse comme Tuiana Brodien (1) ou Augusta Alexandre, qui ont, à leur tour, ouvert une école de danse. Moeata qui rafle les récompenses du Heiva en 2002 avec la troupe Teva I Tai.

« Beaucoup de monde ne comprend pas le Hura Tapairu »

Quand on évoque avec Moeata les polémiques sur certaines tendances que prend le ori tahiti, elle rappelle que le Hura Tapairu est justement fait pour ça, pour laisser une liberté d’expression qui ne sera pas possible au Heiva et que c’est une erreur de le considérer comme un Heiva d’antan.

Et c’est avec une parole de révolte que Moeata conclut notre entretien, à propos des plaintes qui sont adressées aux troupes de danse pour nuisances sonores lors des répétitions. Elle ne comprend pas comment on a pu en arriver là alors qu’à l’époque, elle se souvient d’avoir répété à Pirae à côté de Coco Hotahota en bonne intelligence, sans plainte de personne.

« Je souffre vraiment quand j’entends que l’on inflige des amendes à une troupe et à un chef de troupe qui a une famille, qui met tout son temps, son cœur dans ses répétitions. Je ne comprends pas : c’est le Heiva quoi ! »

Le ori tahiti est une activité qui permet aussi de s’occuper de soi. Les vahine enveloppées n’ont pas de complexes à avoir. C’est le chef de troupe qui peut les mettre en valeur. Et certaines femmes fortes sont particulièrement à l’aise dans les roulés notamment, donc Mesdames allez danser !

Laurent Lachiver
Rédacteur web

© Photos : 1 à 5 : facebook John Gabilou

Photo 6 : Heremoana MAAMAAHIAUTAPU (c) conservatoire.pf

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