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Évasion

La vie de Flora Aurima Devatine, grande écrivaine de Tahiti et de Polynésie française

Flora Aurima Devatine, ou l'art d'une vie créative (2/3)

Publié le 14 août 2017

Du fenua Aihere1 à la métropole, Flora Aurima Devatine obtient en 2017 le prix « Heredia » décerné par l’Académie française pour ses poésies issues de son ouvrage Au vent de la piroguière – Tifaifai. C’est à la petite fille de la presqu’île qu’est revenue l’une des plus hautes distinctions dans le domaine de la poésie par cette reconnaissance des Immortels. S’appuyant sur ses sensations, ses émotions, son vécu, ses vers ont une sonorité, un rythme très fortement imprégné de sa culture polynésienne. Femmes de Polynésie vous propose de partir à la découverte de l’engagement de cette femme qui a, avant tout, l’amour de son peuple et de ses traditions chevillé au corps.

La découverte d’autres horizons, pour un retour au pays

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En 1958, à l’âge de 16 ans, Flora fait partie de la toute première promotion de lycéens de seconde qui vient d’être créée à Tahiti. Elle part en bateau en 1961, pour la France et une vie d’étudiante afin de devenir professeure d’espagnol. Durant toute la période de ses études en France, sa mère exigera que sa fille ne lui écrive qu’en tahitien, pour ne pas qu’elle oublie sa langue, sa culture. Oublier ? Impossible, tout en elle est en connexion avec son pays. Mais riche d’idées nouvelles, la mue sera difficile à son retour au pays. Pour obvier à cette situation inattendue, Flora choisira de rester connectée à son monologue intérieur, aux sensations qui la traversent. Son poème « À quoi me servit de tant voir et apprendre ? » exprime bien les doutes qui l’assaillent et la recherche de ce qu’elle est. En voici quelques extraits.

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Extraits du poème À QUOI ME SERVIT DE TANT VOIR ET APPRENDRE ?3</font color>

Suis revenue dans mon île,

Chargée

De mon bagage,

De maximes,

D’idées nouvelles.

Oh ! Ironie !

Je m’y suis vue étrangère,

Étrangère en ma maison

Où ma mère

Ne m’a pas reconnue

(…)

Depuis, bien sûr,

Pour rassembler les morceaux

Et rapprocher les rives,

J’ai réappris l’ignorance,

Début de la sagesse,

J’ai réappris l’humilité,

Me suis fondue dans la foule

(…)

Désormais je ne veux plus

De voyages

(…)

Je ne veux plus

Que laisser

La nature reprendre

Ce qui fut sien,

Que vivre

En communion intime

Avec les êtres

Et la nature

Qui furent miens

(…)

Le déclic d’une « conscience polynésienne4 »

Flora fait une rencontre marquante en 1964 avec le Professeur Louis Michel5 à l’ancienne faculté de Lettres de Montpellier. Il lui donnera ce précieux conseil : « Intéressez-vous à votre culture ! …». Dans son bureau, Flora verra des étudiants y déposer des enregistrements de personnes âgées qui parlaient le patois des villages et hameaux des alentours. Aussi, dès son retour de France en 1968, elle commencera, à son tour, et en solitaire, un travail d’enregistrement des Anciens, jusque dans les années ‘75-76. Ce travail, elle l’appellera : l’École des Anciens.
1976, c’est l’année de la première traversée, sans instrument de navigation, de la grande pirogue double Hokule’a6, depuis Hawaii jusqu’à Tahiti. 1976, c’est l’année de la composition d’un ensemble de quatre poèmes en tahitien intitulé Te Pehe o Hokule’a7, par Vaitiare, qui n’est autre que le pseudonyme de Flora Aurima Devatine. 1976, c’est aussi l’année où l’UNESCO8 a demandé à la Polynésie Française de faire un bilan de son patrimoine culturel matériel9 et immatériel10. Mais pas que. 1976, c’est surtout pour Flora, l’année de la prise de conscience du manque qu’il existe au niveau de la littérature polynésienne.

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© archive.hokulea.com – Hōkūle’a, c. 1976. Kamehameha School Archives

Tout ce qu’elle a appris et compris auprès des Anciens au niveau de la mémoire, de l’histoire, de la langue, de la société ; ainsi que ses propres recherches et réflexions, lui ont permis d’écrire, laborieusement, à un moment où l’on parlait à peine de « peuples minoritaires, de sociétés orales, d’identité, de culture ». Trouble. Il faut sauver tout ce qui peut l’être encore. C’est en juin 1977 que Flora sortira ce premier rapport sur la culture intitulé « Les problèmes rencontrés en Polynésie pour la conservation du patrimoine culturel et le développement des cultures océaniennes ». Suite à ses écrits, et sous l’impulsion de Mme Yoriko Aikawa de l’UNESCO, Henri Hiro11 créera le Département de Recueil des Traditions orales à la maison des Jeunes et de la Culture. Il devient urgent « de diffuser les traditions orales par le biais de l’écriture, afin d’enrichir la société polynésienne12 … ». Si l’écriture n’est pas naturelle, la parole des Anciens doit être sauvegardée, Flora en est persuadée.

Extrait du poème JE DIS MERCI À MES ANCÊTRES13</font color>

(…)

Il faudrait un grand pardon des Polynésiens

d’aujourd’hui par rapport à leurs propres Ancêtres !

Egalement un grand pardon des Autres par rapport à

ce qu’ont fait leurs Ancêtres,

Ou homologues de leurs Ancêtres !

Un grand pardon,

Une réconciliation publique !

Comme il faudrait un grand ta’ira’a14 national des gens du Pays !

(…)

Je mesure aujourd’hui la grande chance que j’ai eue de m’entretenir avec une telle dame. Quelle gentillesse de la part de cette polynésienne à l’allure tranquille, au regard doux, à la voix claire, qui à 75 ans, continue encore et toujours d’œuvrer pour son peuple en se rendant tous les jours à l’Académie tahitienne où elle occupe le poste de directrice. Flora, par son charisme naturel, son regard qui scrute au-delà des choses, sa détermination et sa liberté de laisser s’exprimer sa voix intérieure – son essence, ce qu’elle est vraiment – force le respect et l’admiration.

Je me dis que parmi les poèmes de Maurice Carême, de Jacques Prévert et les Fables de Lafontaine, j’aimerais voir nos enfants de Polynésie apprendre les poèmes de Flora Aurima Devatine. Parce qu’aujourd’hui, c’est un peu elle qui représente la mémoire de nos Anciens.

Parce que leur parole vaut de l’or : il s’agit de notre Histoire.

1 Mot tahitien pour Presqu’île de Tahiti.
2 Surnom donné aux académiciens, relatif à la devise « À l’Immortalité », figurant sur le sceau donné à l’Académie par son fondateur, le cardinal de Richelieu.
3 Flora Aurima Devatine, Au vent de la piroguière – Tifaifai, Éditions Bruno Doucey, 2016, p.15.
4 Titre d’un poème de Flora Aurima Devatine « Te manava ihotupu – ‘A tae ho’i e » / « La Conscience polynésienne », en tahitien et en français.
5 « Chercheur, professeur, Louis Michel fut aussi un animateur infatigable. Sa chaire de dialectologie rayonnait dans les directions les plus diverses, langues africaines, asiatiques, romanes. » Flora Aurima Devatine.
6 Hokule’a est une grande pirogue double célèbre pour avoir réalisé en mai-juin 1976 un voyage de 5 370 kilomètres sans instrument de navigation entre Hawaï et Tahiti, voyage qui permettait de prouver la capacité des anciens Polynésiens à passer d’île en île dans l’océan Pacifique et donc à établir une parenté irréfutable entre les différentes populations du triangle polynésien. (Source : Wikipedia).
7 Hymne à Hokule’a.
8 L’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (en anglais : United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization, UNESCO).
9 Voir Définition du Patrimoine culturel.
10 Voir Définition du Patrimoine culturel immatériel.
11 Poète, artiste et militant polynésien.
 12 Henri Hiro, alors responsable du département recherche et création de l’office territorial d’action culturelle. Cliquez ici pour en savoir plus.
13 Flora Aurima Devatine, Au vent de la piroguière – Tifaifai, Éditions Bruno Doucey, 2016, p.58.
14 Mot tahitien pour “pleurs”, “gémissement”, “lamentation”.

Tehina de la Motte
Rédactrice web
© Photos : Femmes de Polynésie

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